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Critique de JustAWord


Parfois, il faut du temps à un talent pour franchir les océans.
C'est le cas de Catherine Leroux, autrice québécoise qui, après avoir exercé le métier de journaliste, se tourne vers l'écriture et la traduction.
Publiée aux éditions Alto à Québec, elle enchaîne les romans avec La Marche en forêt, le mur mitoyen ou encore Madame Victoria. Régulièrement récompensée pour ses écrits, c'est seulement avec son cinquième ouvrage sobrement intitulé L'Avenir qu'elle franchit l'Atlantique pour se poser aux éditions Asphalte et rejoindre les rayonnages français.
…Et il était temps !

Dans L'Avenir, les choses sont d'abord incertaines. Étranges pourrait-on dire. Gloria débarque dans une ville du nom de Fort Détroit où tout semble aller à vau-l'eau. Les maisons se meurent, les habitants survivent, les violences sont banales, la décrépitude guette à chaque rue.
L'arrivée de Gloria ne doit pourtant rien au hasard. Vient-on de toute façon par hasard dans cette ville au bord du précipice ? Certainement pas.
Elle emménage ainsi dans la maison abandonnée de sa défunte fille, Judith, dont elle ne connaît plus grand chose. On sait qu'un drame s'est passé, que Judith est morte. Oui mais pourquoi et surtout comment ?
C'est là toute la question au début du roman de Catherine Leroux. Simultanément, un autre drame montre son hideuse face avec ce vieillard fauché en pleine rue par un chauffard et qui passe de vie à trépas sous les yeux médusés de Gloria…et d'Eunice. Cette dernière, impuissante devant la mort de celui qui se révèle être son père, n'a pas d'autre choix que de se résigner et d'encaisser. Ce ne sont pas les flics brutaux et inefficaces de Fort Detroit qui pourront l'aider. En restent-ils d'ailleurs de ces flics ?
Petit à petit, Gloria visite les alentours et fait la connaissance des habitants qui restent envers et contre tout. Comme Salomon, le cultivateur féru d'Histoire ou encore Raquel , la vieille femme qui parle aux fantômes.
Des fantômes, Fort Détroit en semble rempli et chaque nouvel arrivant apporte avec lui son lot de spectres blafards. En essayant de comprendre la mort de sa fille, Gloria tente surtout de retrouver ses petites-filles, Mathilda et Cassandra, disparues toutes les deux juste après le décès de leur mère. Pourraient-elles être dans cette forêt aux abords de la ville ? Et ces vols de légumes et de fruits ont-ils quelque chose à voir avec les ombres d'enfants que l'on aperçoit près des fourrés ? Gloria et Eunice vont mener l'enquête pour découvrir leur propre vérité.
Ainsi, nous voici lecteurs dans une ville que l'on ne connaît pas, à une époque qui semble filer entre nos doigts. On sait que nous sommes quelque part dans le futur, un futur qui semble avoir pris un mauvais tour comme souvent mais cette ville, en vérité, qu'elle est-elle ?
Pourquoi nous est-elle aussi familière qu'étrangère ?

L'étrangeté que l'on ressent à la lecture de L'Avenir ne vient pas du fait qu'on lise une sorte de roman post-apocalyptique déguisé. Non. Elle tient à ce que Catherine Leroux brouille les cartes du passé. Son roman, malicieusement, s'essaie à l'uchronie puisque si Fort Détroit nous semble si tangible, c'est que dans notre monde, on l'appelle Détroit tout court.
Une ville américaine. Oui. Mais pas ici, pas cette fois.
Dans le roman de Catherine Leroux, Fort Détroit est tombé aux mains du chef Pontiac et des Amérindiens alliés aux français. Dès lors, tout en est bouleversé et c'est la langue même qui se retrouve profondément affectée.
Voilà pourquoi les habitants de Fort Détroit parlent ce patois québécois qui surprend autant qu'il dépayse. Pour autant, l'uchronie n'est que le socle sur lequel se construit l'histoire. C'est dans le genre imaginaire que s'enfonce le récit par petites touches. Par cette époque où la société est déjà tombée en morceaux, comme une Apocalypse par glissements plutôt que par fracture. Et puis des touches de fantastique envahissent la vie de nos protagonistes. D'abord de façon complètement évanescente puis, dès la seconde partie, de manière plus frontale, à la manière d'un conte.
Arrivé dans la forêt, le lecteur fait la connaissance des orphelins qui y résident, des gamins, des mini, des kids. Pow-Pow, Vlime, Tic-tac, Terreur, Baleine, Adidas, Lego et tant d'autres sobriquets qui renvoient immédiatement aux enfants perdus d'un certain Peter Pan. Qui refuse non seulement de grandir mais aussi les règles du monde adulte d'en face, celui qui tombe en morceaux et vit dans le feu, dans les cendres. C'est Gloria, dans sa quête de vérité qui va prendre contact avec eux, qui va s'inviter dans ce monde qui, pourtant, fonctionne très bien sans elle, sans eux, les grands.
L'Avenir se transforme alors en roman quasi-féérique, doucement mélancolique, où l'on chasse la chape de plomb du présent par les brillants feux follets d'une jeunesse qui fraye où elle veut, comme elle veut et avec qui elle veut.
Catherine Leroux ne souhaite pas esquiver la dureté de son histoire.
Des drames, des morts, des explosions, des larmes, il y en aura.
Mais son message n'est pas celui de la fin ou du pessimisme. Loin de là.

Toute la beauté de L'Avenir réside dans la réconciliation et la renaissance. Catherine Leroux l'avoue d'ailleurs volontiers dans ses remerciements. Malgré les catastrophes et les désastres, derrière les soulèvements, l'armée, les bombes et tous les empoisonnements du réel, la québécoise montre l'espoir. Alors peu à peu, on apprivoise les enfants sauvages et les fantômes rancuniers pour comprendre que le monde continue à tourner. Que l'entente est possible, que la solidarité entre voisins et entre générations, que le respect des aspirations des uns et des autres offrent un monde nouveau. Meilleur pour autant ? Trop tôt pour le dire. Mais il bouillonne ce monde décrit par Catherine Leroux. le feu détruit autant qu'il purifie, il permet à une nouvelle génération de pousser et de s'épanouir. Qu'une tour branlante soit mise à terre, ce n'est que partie remise. Ce n'est qu'un cycle.
La force immense de L'Avenir, c'est cet optimisme envers et contre tout, sa capacité à pardonner au monde et même à ceux qui tuent. C'est sa capacité à comprendre plutôt qu'à condamner. Pour cela, impossible de faire l'impasse sur le style vraiment sublime de Catherine Leroux, aérien et léger, qui se promène de poésie en métaphores, qui jette des poussières d'étoiles sur un monde pourtant bien noir dans le fond.
Reste alors les mots, qu'il faut comprendre, qu'il faut lire, des mots comme un passage, des mots comme un pardon, des mots comme un espoir.
À Fort Détroit, lentement mais sûrement le monde prend fin et renaît comme il le veut, comme ceux qui le peuplent le veulent.

Uchronie, fin du monde, policier, fantastique, conte, récit familial et initiatique, chemin de croix et d'acceptation, de rédemption, que de mots et que de thématiques pour ce roman aussi élégant que généreux qui brûle les cases pour capter l'humanité incandescente de ses personnages, pour apprivoiser l'autre et donner une nouvelle chance au monde.
Un roman qui aime et qui brille, qui voit le monde et le réenchante pour en faire jaillir un fleuve d'espoir. Catherine Leroux vous offre tout cela en moins de 300 pages et c'est beau, tout simplement.
Lien : https://justaword.fr/lavenir..
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