AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782365331272
320 pages
Asphalte (15/09/2023)
3.59/5   55 notes
Résumé :
Nous sommes à Fort Détroit, ancienne ville industrielle à présent en faillite. Installée dans la maison à demi abandonnée de sa fille, Gloria cherche à découvrir la vérité à propos du drame qui s'est abattu sur sa famille. Et à retrouver ses deux petites-filles, Cassandra et Mathilda.

Petit à petit, Gloria prend la mesure de la désolation qui l’entoure et de la beauté d’une nature qui reprend ses droits. Elle rencontre les derniers habitants du quart... >Voir plus
Que lire après L'AvenirVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (18) Voir plus Ajouter une critique
3,59

sur 55 notes
5
8 avis
4
6 avis
3
2 avis
2
1 avis
1
1 avis
Parfois, il faut du temps à un talent pour franchir les océans.
C'est le cas de Catherine Leroux, autrice québécoise qui, après avoir exercé le métier de journaliste, se tourne vers l'écriture et la traduction.
Publiée aux éditions Alto à Québec, elle enchaîne les romans avec La Marche en forêt, le mur mitoyen ou encore Madame Victoria. Régulièrement récompensée pour ses écrits, c'est seulement avec son cinquième ouvrage sobrement intitulé L'Avenir qu'elle franchit l'Atlantique pour se poser aux éditions Asphalte et rejoindre les rayonnages français.
…Et il était temps !

Dans L'Avenir, les choses sont d'abord incertaines. Étranges pourrait-on dire. Gloria débarque dans une ville du nom de Fort Détroit où tout semble aller à vau-l'eau. Les maisons se meurent, les habitants survivent, les violences sont banales, la décrépitude guette à chaque rue.
L'arrivée de Gloria ne doit pourtant rien au hasard. Vient-on de toute façon par hasard dans cette ville au bord du précipice ? Certainement pas.
Elle emménage ainsi dans la maison abandonnée de sa défunte fille, Judith, dont elle ne connaît plus grand chose. On sait qu'un drame s'est passé, que Judith est morte. Oui mais pourquoi et surtout comment ?
C'est là toute la question au début du roman de Catherine Leroux. Simultanément, un autre drame montre son hideuse face avec ce vieillard fauché en pleine rue par un chauffard et qui passe de vie à trépas sous les yeux médusés de Gloria…et d'Eunice. Cette dernière, impuissante devant la mort de celui qui se révèle être son père, n'a pas d'autre choix que de se résigner et d'encaisser. Ce ne sont pas les flics brutaux et inefficaces de Fort Detroit qui pourront l'aider. En restent-ils d'ailleurs de ces flics ?
Petit à petit, Gloria visite les alentours et fait la connaissance des habitants qui restent envers et contre tout. Comme Salomon, le cultivateur féru d'Histoire ou encore Raquel , la vieille femme qui parle aux fantômes.
Des fantômes, Fort Détroit en semble rempli et chaque nouvel arrivant apporte avec lui son lot de spectres blafards. En essayant de comprendre la mort de sa fille, Gloria tente surtout de retrouver ses petites-filles, Mathilda et Cassandra, disparues toutes les deux juste après le décès de leur mère. Pourraient-elles être dans cette forêt aux abords de la ville ? Et ces vols de légumes et de fruits ont-ils quelque chose à voir avec les ombres d'enfants que l'on aperçoit près des fourrés ? Gloria et Eunice vont mener l'enquête pour découvrir leur propre vérité.
Ainsi, nous voici lecteurs dans une ville que l'on ne connaît pas, à une époque qui semble filer entre nos doigts. On sait que nous sommes quelque part dans le futur, un futur qui semble avoir pris un mauvais tour comme souvent mais cette ville, en vérité, qu'elle est-elle ?
Pourquoi nous est-elle aussi familière qu'étrangère ?

L'étrangeté que l'on ressent à la lecture de L'Avenir ne vient pas du fait qu'on lise une sorte de roman post-apocalyptique déguisé. Non. Elle tient à ce que Catherine Leroux brouille les cartes du passé. Son roman, malicieusement, s'essaie à l'uchronie puisque si Fort Détroit nous semble si tangible, c'est que dans notre monde, on l'appelle Détroit tout court.
Une ville américaine. Oui. Mais pas ici, pas cette fois.
Dans le roman de Catherine Leroux, Fort Détroit est tombé aux mains du chef Pontiac et des Amérindiens alliés aux français. Dès lors, tout en est bouleversé et c'est la langue même qui se retrouve profondément affectée.
Voilà pourquoi les habitants de Fort Détroit parlent ce patois québécois qui surprend autant qu'il dépayse. Pour autant, l'uchronie n'est que le socle sur lequel se construit l'histoire. C'est dans le genre imaginaire que s'enfonce le récit par petites touches. Par cette époque où la société est déjà tombée en morceaux, comme une Apocalypse par glissements plutôt que par fracture. Et puis des touches de fantastique envahissent la vie de nos protagonistes. D'abord de façon complètement évanescente puis, dès la seconde partie, de manière plus frontale, à la manière d'un conte.
Arrivé dans la forêt, le lecteur fait la connaissance des orphelins qui y résident, des gamins, des mini, des kids. Pow-Pow, Vlime, Tic-tac, Terreur, Baleine, Adidas, Lego et tant d'autres sobriquets qui renvoient immédiatement aux enfants perdus d'un certain Peter Pan. Qui refuse non seulement de grandir mais aussi les règles du monde adulte d'en face, celui qui tombe en morceaux et vit dans le feu, dans les cendres. C'est Gloria, dans sa quête de vérité qui va prendre contact avec eux, qui va s'inviter dans ce monde qui, pourtant, fonctionne très bien sans elle, sans eux, les grands.
L'Avenir se transforme alors en roman quasi-féérique, doucement mélancolique, où l'on chasse la chape de plomb du présent par les brillants feux follets d'une jeunesse qui fraye où elle veut, comme elle veut et avec qui elle veut.
Catherine Leroux ne souhaite pas esquiver la dureté de son histoire.
Des drames, des morts, des explosions, des larmes, il y en aura.
Mais son message n'est pas celui de la fin ou du pessimisme. Loin de là.

Toute la beauté de L'Avenir réside dans la réconciliation et la renaissance. Catherine Leroux l'avoue d'ailleurs volontiers dans ses remerciements. Malgré les catastrophes et les désastres, derrière les soulèvements, l'armée, les bombes et tous les empoisonnements du réel, la québécoise montre l'espoir. Alors peu à peu, on apprivoise les enfants sauvages et les fantômes rancuniers pour comprendre que le monde continue à tourner. Que l'entente est possible, que la solidarité entre voisins et entre générations, que le respect des aspirations des uns et des autres offrent un monde nouveau. Meilleur pour autant ? Trop tôt pour le dire. Mais il bouillonne ce monde décrit par Catherine Leroux. le feu détruit autant qu'il purifie, il permet à une nouvelle génération de pousser et de s'épanouir. Qu'une tour branlante soit mise à terre, ce n'est que partie remise. Ce n'est qu'un cycle.
La force immense de L'Avenir, c'est cet optimisme envers et contre tout, sa capacité à pardonner au monde et même à ceux qui tuent. C'est sa capacité à comprendre plutôt qu'à condamner. Pour cela, impossible de faire l'impasse sur le style vraiment sublime de Catherine Leroux, aérien et léger, qui se promène de poésie en métaphores, qui jette des poussières d'étoiles sur un monde pourtant bien noir dans le fond.
Reste alors les mots, qu'il faut comprendre, qu'il faut lire, des mots comme un passage, des mots comme un pardon, des mots comme un espoir.
À Fort Détroit, lentement mais sûrement le monde prend fin et renaît comme il le veut, comme ceux qui le peuplent le veulent.

Uchronie, fin du monde, policier, fantastique, conte, récit familial et initiatique, chemin de croix et d'acceptation, de rédemption, que de mots et que de thématiques pour ce roman aussi élégant que généreux qui brûle les cases pour capter l'humanité incandescente de ses personnages, pour apprivoiser l'autre et donner une nouvelle chance au monde.
Un roman qui aime et qui brille, qui voit le monde et le réenchante pour en faire jaillir un fleuve d'espoir. Catherine Leroux vous offre tout cela en moins de 300 pages et c'est beau, tout simplement.
Lien : https://justaword.fr/lavenir..
Commenter  J’apprécie          282
L'Avenir est un roman uchronique (*) dont l'intrigue se passe dans une version de la ville de Détroit dégradée par une quelconque catastrophe autant économique que climatique: un Fort Détroit que l'auteur imagine sombre et brûlé où on continue de parler français comme à l'époque de sa fondation.
Dans ce monde un peu gris, Gloria s'installe dans la maison désertée de sa fille à la recherche de ses deux petites filles qui ont disparu après la mort de leur mère. Elles vivent sans doute dans la forêt avec les autres enfants à l'écart des adultes, se protégeant de leurs excès. Dans la ville, malgré le chaos et la violence, une communauté tente de s'organiser pour survivre, ensemble. Comme Salomon qui laisse volontiers les enfants de la forêt chiper ses légumes, elle tente de les approcher, de créer un pont.
Petit à petit, elle prend la mesure de la désolation et de la violence qui l'entourent, mais aussi de la beauté d'une nature qui reprend ses droits et de la résilience des humains qui tiennent bon. Au sein d'une communauté têtue et généreuse, elle s'éprend de la complexité de ce lieu où les rivières guérissent et empoisonnent, où les enfants fondent des royaumes dans les arbres, où les maisons brûlent pour mieux repousser, où la jeunesse arrache sa vie à l'ancien monde, et où passé et futur sont confondus dans un même mouvement libérateur.
C'est un roman empreint de résilience, de complicité et même de tendresse malgré la dureté, la désolation et la violence.
C'est aussi un roman d'espoir et de renouveau porté par la beauté de la nature qui reprend ses droits et de la forêt où les enfants fondent des royaumes dans ses arbres.
Une histoire qui prouve que la beauté peut renaître à tout moment même au milieu des cendres d'une maison carbonisée. Un roman à l'écriture juste et audacieuse qui nous rappelle à l'ordre sur notre impact face à la nature et qui nous assure que l'amour et l'entraide sont à la source même des grands changements.
Un roman porté par une écriture riche, troublante et évocatrice.
Les maisons qui sont habitées sont des « mortes ressuscitées »

(*)Dans la fiction, l'uchronie est un genre qui repose sur le principe de la réécriture de l'Histoire à partir de la modification du passé.
Commenter  J’apprécie          110
« Je remonterai sur mon cerf-volant
Et vous laisserai vos cent mille enfants
Chargés d'eux-mêmes
Pour jeter les dés dans la main du temps »
Gilles Vigneault
Poignant, la pierre angulaire d'une littérature hors pair.
« L'avenir » et ses enfants, horde sauvage battue par le vent.
Détroit, le mythe des résistances, des Amérindiens. Ici, la contemporanéité d'un texte de renom, sombre et tendre, rude et olympien.
« On croyait que Fort Détroit était un lieu protégé par une alliance de démons. le Satan des catholiques, le Wendigo des Outaouais, le Nain rouge du détroit.Les Américains ont rien voulu savoir. »
Gloria c'est elle le portrait de ce grand livre. Une fille unique Judith qui s'est éloignée peu à peu, distance et marginalité. Cette dernière vivait à Fort- Détroit avec ses deux filles Cassandra et Mathilda dans un antre délabré comme la région rude et intestine dont la communauté oeuvre à la résistance, aux veilles solidaires. Judith vient de mourir, Gloria est effondrée en proie au vertige et aux vérités qui vont éclater immanquablement. Les lignes bleu-nuit, soudées et magnifiques empreintes d'humanité soufflent sur « L'avenir ». Les deux petites filles ont disparu. Qu'importe ! La police est indifférente, le drame est ordinaire. La communauté rejetée dans ses malheurs, assignée à l'entraide entre amis et voisins. Gloria est en quête, retrouver ses petites-filles et renouer avec l'austérité d'un lieu dont le fantôme de sa fille hante les chemins gorgés de poussière et de rudesse.
« La maison tremble toutes les nuits. Et toutes les nuits,Gloria se répète que c'est le vent, que c'est un avion qui passe au-dessus de Fort-Détroit. »
Gloria ressent les menaces d'un lieu qui trace les messages. Des bruits sourds, la nuit, des pas chapardeurs, le nécessaire aux survies disparaît. Qui et pourquoi ?
Gloria va remonter le fil du temps, rassembler l'épars et enquêter. Où sont ses deux petites-filles ? Litanie, matrice et rédemption. Gloria erre dans les lieux sombres, peuplades d'enfants abandonnés, autarcie aux ailes brisées , « Sa majesté des mouches » bandes de gosses, anges-démons, la forêt matrice. Elle pressent les fillettes dans les tréfonds épais, faim aux abois, la fuite tenaille. Gloria est d'une empathie stupéfiante pour ces enfants poulbots. La tristesse douce, l'obsession des retrouvailles est son coeur qui bat en diapason, « elle n'est plus que flair », d'ombre et de lumière, d'instinct et de mémoire.
« L'avenir » est profondément vivant, tenace et sensible. Dans une double lecture, excelle l'infinie douleur d'une communauté rejetée comme du pain moisi.
Ce roman de Catherine Leroux, intranquille, d'une force inouïe, magnifique est un chef-d'oeuvre fascinant.
Gloria le point d'appui d'un périple rédempteur et initiatique.
Un roman piédestal, un monument !
Publié par les majeures éditions Asphalte.
Commenter  J’apprécie          70
L'avenir. Si fragile. Si incertain. Et cette peur qui tenaille. L'avenir qui peu être lumineux, chantant. Et cette confiance en demain qu'il faut chérir, malgré tout.

Mais pour comprendre l'avenir, il faut se retourner sur le passé. Et si Detroit était encore une ville francophone ? Si cette ville avait gardé le français comme langue première, aurait-elle connue un autre destin ? A Fort Detroit, on parle français, on vit dans quelques quartiers plus ou moins préservés, la nature reprend peu à peu ses droits. Et une petite communauté d'humains s'organise. Encore plus petite autour de Gloria qui cherche ses petites-filles disparues. Dans cette quête, elle pourra compter sur Eunice et Salomon, deux rocs, force tranquille et énergie de vie. Ceux dont on sait qu'ils sont faits d'un bois solide, qu'ils font toujours face aux épreuves et se nourrissent des contraintes. Eunice, qui épaule et guide Gloria, en soeur. Salomon, qui cultive et nourrit, en grand-père.

Et puis une autre communauté, celle des enfants perdus, plus proche du pays imaginaire. Une autre langue aussi. Un français où les verbes se conjuguent différemment, plus enfantin, plus direct. D'autres rites, une autre appréhension de la nature, du monde qui les entoure. Ces enfants vivent selon leur propres codes (pas moins violents), en marge, mais on ne peut plus présents au monde. Ils se tiennent éloignés des adultes, apeurés. Ils les défient aussi. Et se laissent parfois apprivoiser.

L'avenir c'est un roman dystopique qui regarde du côté de l'utopie. Et si les enfants avaient le pouvoir de ressentir plus fort, de rêver plus ? de s'adapter à ce monde qui brûle en se raccrochant aux racines plus qu'aux branches ? Et si les adultes, dans l'urgence de vivre, prenaient malgré tout le temps de regarder au loin ? Et de se dire que les lignes peuvent bouger, si on est ensemble, solidaires, soudés. Des langues différentes mais une compréhension mutuelle. Ce qui fait que nous sommes vivant au monde.

Encore une fois, la littérature québécoise apporte une autre voix. Comme dans Indices des feux, la crise écologique est abordée avec subtilité. C'est intelligent. Différent. Et c'est un pas de côté qui fait du bien.
Commenter  J’apprécie          70
Gloria cherche ses deux petites-filles disparues après le meurtre de leur mère dans Fort Détroit, un double inventé de la ville de Détroit, ayant subi on ne sait quelle catastrophe. C'est une uchronie sur la famille, les erreurs des adultes, le retour à la vie sauvage, à la nature.

C'est un roman dense qui use de beaucoup de phrases descriptives. Trop peut-être. C'est parfois contemplatif, parfois historique, et ses réflexions ralentissent le récit. Certain.e.s aimeront, personnellement je préfère quand c'est par petites touches. Sinon ça me lasse. Et j'ai bien failli arrêter ma lecture tant la première partie m'a paru longue. Mais, à partir de la deuxième partie, on entre dans le vif du sujet et je n'ai plus lâché ce livre.

L'histoire de Gloria et de sa famille est assez addictive. On a envie de connaître le fin mot de l'histoire. Qui a tué sa fille ? Où sont ses petites-filles ? Pourquoi cette femme a-t-elle perdu le contact avec sa famille ? Etc. Bon, il y a des choses qu'on soupçonne progressivement mais c'est assez intrigant quand même...
J'ai également trouvé les personnages de ce roman lumineux, particulièrement Salomon, Eunice et les enfants sauvages. Il y a une jolie fin aussi, sur le passage de l'enfance au monde des adultes, sur le fait de s'apprivoiser ou de retourner à une liberté plus primitive. C'est bien amené et c'est une lecture qui pousse à s'interroger sur pas mal de choses : la place de la nature, la place de l'enfant dans la société, la gestion des violences et le fait de laisser chacun.e être soi-même dans la société. Intéressant.
Commenter  J’apprécie          80


critiques presse (3)
LaPresse
08 mars 2024
La traduction anglaise du roman L’avenir, de Catherine Leroux, a remporté le concours Canada Reads 2024, le « combat des livres » de CBC.
Lire la critique sur le site : LaPresse
LeJournaldeQuebec
29 juin 2021
Catherine Leroux craque pour les romans choraux aux personnages nombreux et au style lyrique alliant réalisme et fantastique. Tellement qu’elle vient de rafler, avec son dernier roman L’avenir, le prix Jacques-Brossard de la science-fiction et du fantastique.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
LaPresse
21 septembre 2020
Dans son quatrième roman, simplement intitulé L’avenir, Catherine Leroux conjugue avec brio écoanxiété et solidarité. Parce que le salut du monde sera nécessairement collectif, croit l’écrivaine qui déploie depuis 10 ans une œuvre aussi riche que signifiante.
Lire la critique sur le site : LaPresse
Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
Elle rejoint leur propre potager, impeccablement entretenu au milieu de la prairie échevelée. Sur le sentier, ses pas soulèvent une onde vivante, celle de dizaines de sauterelles qui bondissent, de centaines de mouches qui s'élèvent. De loin, la maison lui apparaît sous un jour différent. Ses angles jaunes et blancs offrent une lumière douce. C'est une maison-lanterne, un œil de chat qui éclaire les friches. À son arrivée, elle prend le panier à lessive. Francelin l'a aidée à installer un tendoir au milieu de la cour. Ses blouses tremblotent dans le vent et le secret des criquets. Il y a des voix partout, à Fort Détroit ; tout parle et chuchote, tout soupire tout le temps. Il lui a fallu un mois et demi pour commencer à entendre et assimiler ce qui n'est ni un récit ni une incantation, mais plutôt une sorte de liste dont les termes mis bout à bout arrachent au monde son opacité.
Commenter  J’apprécie          90
Dans le salon, elle se lève de son lit de fortune. Il existe encore certainement un matelas plus convenable que ce canapé souillé et défoncé, à l’étage. Mais Gloria n’arrive pas à se résoudre à y monter. Dans la rue, les lampadaires sont tous morts ; l’obscurité est lourde comme l’eau d’un puits. Bien qu’elle ne distingue pas grand-chose, elle est certaine qu’il y a du mouvement, dehors. Une sorte de froissement de l’espace, un soubresaut dans le temps lisse de la nuit. Les chiens errants aboient. Elle pense au conseil qu’Eunice lui a donné, au sujet de l’arme à feu. Elle pense à toutes les histoires qu’elle a entendues sur Fort Détroit et à celles qu’elle n’a pas entendues. Ces récits, quand on commence à y prêter attention, se suivent comme des foulards sortis de la manche d’un magicien. La ville des révoltes, des faillites, des injustices et des balles perdues, la ville des mauvais sorts, des pyromanes, des esprits frappeurs. Gloria appuie les mains très fort contre la vitre, comme pour leur bloquer le passage.
De l’autre côté de la rue, une maison délabrée semble tousser dans le noir. Un couinement fuse, qu’elle prend d’abord pour un rire aigrelet, mais qui pourrait bien être un grincement. Puis le silence revient napper la nuit. Ce n’était sans doute rien d’autre qu’une poutre qui s’affaisse, des vestiges qui lâchent prise. Là d’où elle vient, on donne des noms aux maisons, et une fois baptisées, elles ne s’écroulent pas, ne se vident pas. Comment elle s’appelle, celle-ci ? se demande-t-elle en écoutant les craquements qui dégringolent de l’étage. Mais elle se bouche vite les oreilles. Elle ne veut pas entendre la réponse des fantômes.
Commenter  J’apprécie          00
Qu’est-ce qui disparaît lorsque meurt un ami ? [...] Une des choses qu’on perd, pense Salomon, c’est celui qu’on était avec cette personne, les parties de nous qu’elle faisait exister. Dans le cas d’un ami aussi ancien, on est également dépouillé du souvenir de ce qu’on a été. Plus personne, désormais, ne se rappelle le Salomon de vingt ans, amoureux fou, demandant à César d’être son témoin à un mariage qui n’aurait pas lieu. Plus personne ne peut décrire le garçon de treize ans qui jouait aux dés dans la rue pour payer ses leçons de musique, qui fuyait les brutes du secondaire, qui lançait des roches à la police. Plus personne ne se souvient de la tête qu’il faisait lorsqu’à cinq ans on l’avait assis pour la première fois devant un piano droit.
Commenter  J’apprécie          10
Qu'est-ce qui disparaît lorsque meurt un ami? (...) Une des choses qu'on perd, pense Salomon,c'est celui qu'on était avec cette personne, les parties de nous qu'elle faisait exister. Dans le cas d'un ami aussi ancien, on est aussi dépouillé du souvenir de ce qu'on a été.
Commenter  J’apprécie          40
Gloria reste figée, les poings serrés. Des larmes à la texture de pétrole collent à ses paupières.
Commenter  J’apprécie          70

Videos de Catherine Leroux (9) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Catherine Leroux
Dans une nature malmenée par les hommes, il ne reste parfois plus beaucoup d'options. Comment survivre lorsque l'équilibre a été rompu ? Que reste-t-il aux enfants des générations futures pour reconstruire sur les cendres d'un monde à l'agonie ? Dans ces multiples interrogations sur notre rapport à l'environnement, la littérature nous montre que tout est encore possible. Antoine Desjardins, Catherine Leroux et Matthew Neill Null
autres livres classés : uchronieVoir plus
Les plus populaires : Littérature étrangère Voir plus


Lecteurs (142) Voir plus



Quiz Voir plus

Littérature québécoise

Quel est le titre du premier roman canadien-français?

Les anciens canadiens
La terre paternelle
Les rapaillages
L'influence d'un livre
Maria Chapdelaine

18 questions
219 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature québécoise , québec , québécoisCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..