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Critique de beatriceferon


Ostracisée dans son école de richards, la narratrice est heureuse d'y rencontrer Ariane. Comment cette fille, la plus populaire du lycée, peut-elle s'intéresser à elle, si insignifiante ? Pourtant, les deux adolescentes deviennent amies, plus que cela, inséparables. Mais cette belle histoire va vite tourner au cauchemar.
J'écoutais avec plaisir les chroniques cinglantes « Myriam Leroy n'aime pas ». J'ai suivi plus d'une fois ses conseils en lisant les livres qu'elle recommandait et n'ai regretté aucun de mes achats. Alors, lorsque j'apprends qu'elle revient, dans la peau d'un écrivain, il faut que je découvre son premier roman.
Je peux avouer qu'il m'a fallu un peu de temps pour me remettre de cette lecture. Si Voltaire s'exclamait : « Mon Dieu, protégez-moi de mes amis, mes ennemis, je m'en charge ! », c'est qu'il ne connaissait pas Ariane. Pour se préserver d'un tel fléau, à côté duquel Attila et Vlad l'empaleur font pâle figure, tous les dieux de l'Olympe ne suffiraient pas.
Le roman démarre doucement, en quelque sorte. La narratrice, dont nous ne connaîtrons jamais le nom, sans doute parce qu'Ariane lui a volé jusqu'à son identité, connaît bien quelques contrariétés, mais rien de plus que ce qui tarabuste toutes les filles de son âge (douze ans). Ses parents, elle les trouve assommants, tellement beaufs, qu'elle se demande ce qu'elle fait dans cette famille. Ce n'est pas possible, on a dû l'échanger à la naissance. Sa mère renie sa condition comme si elle faisait partie d'une caste d'intouchables. « Mes parents se prenaient pour des bourgeois. Ma mère surtout. Elle aimait ce mot qui sonnait pour moi comme un juron (…) Elle répétait souvent avec une gourmandise satisfaite : "Nous sommes des bourgeois." Ça me faisait le même effet que si elle avait dit : "Nous sommes des nazis." » de cette innocente prétention vont découler tous les déboires de sa fille. Elle est inscrite dans un « collège chic », où tous les enfants sont blonds avec un teint « subtilement abricoté » et vêtus de « mocassins à la semelle en gomme hérissée de picots (…) bermudas (…) polos (…) rose pêche et bleu layette qui flattaient leur carnation. » La pauvre, qui ne peut pas rivaliser, est reléguée « du côté des ploucs ». Elle habite dans le « Brabant wallon, une province au sud de Bruxelles, située dans l'angle mort de l'analyse sociale et de la production littéraire », à « Nivelles (…) un gros bourg moche » où il ne se passe rien d'intéressant. Aussi ressent-elle une immédiate attirance envers cette Ariane qui, comme elle, détonne dans cet univers rose et blond. Oui, c'est vrai, Ariane est riche, elle vit à Lasne, « la commune aux maisons les plus chères de Belgique. » Dans sa propriété, qui ressemble plus à un parc qu'à un jardin, il y a une piscine ET un court de tennis. Mais Ariane « avait la peau foncée (…) [de] longs cheveux noirs (…) ses lèvres étaient épaisses, brunes, ses orbites enfoncées fendues d'yeux noirs aux commissures relevées. » Elle est indienne et adoptée, sa mère ne s'occupe que de sa propre petite personne, son père et son frère ont avec elle une attitude plus que suspecte, incestueuse.
Au fil des pages, une tension se crée, qui va crescendo. Au début, les deux filles sont inséparables, à tel point qu'autour d'elles, commentaires et ragots vont bon train, on juge leur relation équivoque. Pourtant, ce qui les lie, plus qu'une affection, c'est un goût malsain qui les porte à tourmenter ceux qui les entourent, comme Émilie, qui devient leur souffre-douleur. Ariane en veut toujours plus. Elle réclame de son amie des preuves d'allégeance de plus en plus effrayantes. Elle excite sa jalousie, allant jusqu'à l'impensable. le moment où elle exige que la malheureuse s'humilie devant elle avant de la repousser dans un éclat de rire malsain met vraiment mal à l'aise.
Myriam Leroy réussit le tour de force de s'incarner dans les deux filles et je ne pense pas important de savoir si elle s'est inspirée de sa propre expérience ou non. Qu'elle ait un jour été la narratrice, ou Ariane, ou les deux, qu'importe ? Que cette histoire se déroule dans les années 90 (des allusions à l'époque sont disséminées tout au long du roman sous forme de chansons ou magazines pour adolescentes dont raffole le personnage principal) n'a aucune importance. Ce qui est présenté ici, est susceptible de toucher les jeunes à n'importe quelle époque, puisque sont évoqués des adolescents mal dans leur peau, le besoin de se couler dans un certain conformisme, tout en revendiquant sa différence, celui d'être reconnu, la cruauté consciente ou non, les différends avec les parents, l'alcool, et surtout, le harcèlement. Heureusement pour la narratrice, à l'époque, pas encore de réseaux sociaux. On frémit à l'idée de l'usage qu'Ariane aurait pu en faire.
J'ai beaucoup apprécié le style de Myriam Leroy qui se coule avec facilité dans le langage des jeunes : « C'est ça que j'aime chez toi, t'es folle. -Folle de toi, ma poule. -Allez, je raccroche, ma mère m'appelle. -C'est ça, raccroche, espèce de monstre sans coeur -A demain, connasse ? -A demain, pétasse. » Puis, passe à la distanciation de l'auteur qui examine son travail et s'interroge : « Je n'apprends rien à ceux qui écrivent pour eux-mêmes ou pour la postérité : il demande bien du travail de donner ses accents de vraisemblance à la vérité. » A une ironie mordante : « Ma mère était une grande femme sèche comme une merluche, noueuse comme un saule, née fâchée comme en attestait la ride profonde entre ses sourcils. Mon père, de son côté, rasait les murs tel un moine capucin et ne parlait pour ainsi dire jamais, sauf pour donner l'heure à ma mère qui persistait à ne pas porter de montre pour entretenir sa dépendance à son époux. » Écrit une sorte de poème :  « Mourir à vingt ans. Partir dans la pleine fleur de sa beauté (…) Faire ses adieux à la scène à son zénith, déguerpir avant de se laisser choir dans le lent délabrement de la maturité. » qui me fait penser à certains textes de Boris Vian, comme « Je voudrais pas crever ». Elle passe avec aisance de la méchanceté pré-adolescente : « Simon (…) était petit, gros, roux, il avait un appareil dentaire dans lequel il trimballait la moitié de ses repas », à la douceur d'une femme épanouie : « Ce matin, quand je me suis levée, tu dormais encore (…) J'ai voulu te faire un baiser, je me suis ravisée. »
J'ai aimé découvrir avec quel talent l'auteur arrivait à faire prendre conscience du danger de cette prétendue amitié, basée sur des rapports dominant-dominé, sado-masochistes et des répercussions lointaines qu'elle aura.
J'ai aimé découvrir des clins d'oeil littéraires comme : « Je faisais souvent ce rêve étrange et ragaillardissant ». J'ai aimé sa critique de la société : « Maman, qui se sentait amputée d'un prestige dont le membre fantôme la grattait, pensait qu'à force de déguisements, d'imitations et d'opportunisme relationnel, elle donnerait à notre nom de famille le lustre qui aurait dû lui revenir. » « A table, je me suis aperçue de mon inculture en matière de protocole, de savoir-vivre, de nadine-de-rotschilderies. »
En revanche, j'ai été un peu fâchée des critiques contre le Brabant wallon et la si jolie ville de Nivelles que j'aime beaucoup.
Je ne suis pas d'accord quand Myriam Leroy pense qu'aucun auteur ne parle de nos régions. Je connais bien la littérature belge et je peux en citer beaucoup ! (comme Armel Job, Jean-Louis Aerts, Muriel Monton, Véronique Biefnot et tant d'autres).
Ce roman m'a beaucoup plu et je le recommande chaudement.
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