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Critique de Pecosa


Pour se faire une petite idée de ce qu'était le cinéma français sous l'Occupation, il faut regarder Laissez-passer de Bertrand Tavernier, qui dépeint dans son film les conditions de tournage sur les plateaux parisiens, entre bombardements, résistance, (l'assistant-réalisateur Jean Devaivre, les scénaristes Jean Aurenche et Paul le Chanois), « aryanisation » des studios et directives allemandes imposées par le producteur allemand Alfred Greven, directeur de la Continental-Films.

Greven est nommé par Goebbels à la tête de la Continental-Films, crée la SOGEC, société d'exploitation des réseaux de salles de cinéma, puis l'ACE, filiale de la UFA dédiée à la distribution. de février 1941 à avril 1944, la Continental produit 30 films (sur 280 durant cette même période), dont beaucoup sont des réussites: L'Assassinat du Père-Noël, Les Inconnus dans la maison, L'Assassin habite au 21, La Main du diable, le Corbeau… Pour l'occupant, le cinéma est une industrie, qui doit rapporter de l'argent et surtout divertir les masses en évitant de préférence de susciter la réflexion. Mais Greven, lui, veut travailler avec les meilleurs. Pour les metteurs en scène, actrices, comédiens, techniciens, tourner pour la Continental est un cas de conscience. Quelques-uns, comme Renoir ou Gabin, ont pu quitter la France. La majorité est restée et il faut bien gagner sa vie. Entre menaces, pressions, censure, ou ruses des intéressés (certains faisant preuve d'un grand courage, comme le Chanois, ou de beaucoup de sang froid comme Christian-Jacque, Carné, Decoin...), la Continental fait tourner Raimu, Danielle Darrieux, Maurice Tourneur…

Dans ce remarquable ouvrage, Christine Leteux nous propose un voyage au coeur du cinéma français sous contrôle allemand. C'est en parcourant les archives pour un livre consacré à Maurice Tourneur que la chercheuse découvre des milliers de pages de procès-verbaux des commissions d'épuration du cinéma qui permettent d'en finir avec les idées reçues sur cette période, de revenir sur des évènements (mal) connus de tous, comme le tournage du Corbeau de Clouzot, le voyage à Berlin organisé en 1942 pour lequel des chantages sont exercés sur une partie des acteurs, ou sur l'assassinat du comédien Harry Baur.
En choisissant de donner la parole aux femmes et aux hommes qui ont vécu « la Continental », de l'intérieur, en revenant sur la préparation, le tournage et la réception des films produits, l'auteure dresse un panorama complet de ce que fut le cinéma français sous tutelle, un cinéma populaire puisque les Français fréquentèrent avec assiduité les salles obscures, un cinéma sous cloche et pourtant parfois subversif grâce à l'ingéniosité des scénaristes et des réalisateurs. Point de manichéisme donc, et beaucoup d'interrogations quant à la personnalité assez complexe de Greven, un nazi peut-être francophile, sans doute cinéphile, inconscient parfois, qui prend des libertés avec les directives de Goebbels mais qui n'hésite pas à user de menaces et de chantage pour parvenir à ses fins.

Bertrand Tavernier qui signe l'éclairante préface de Continental Films écrit ces lignes « Oui, je l'avoue, j'ai passé un moment extraordinaire , en parcourant ce livre que je n'ai pu lâcher, qui détruit tant de clichés, rend certains comportements plus humains, certaines motivations plus complexes. » Comme Tavernier, je l'ai lu d'une traite et j'ai de nouveau visionné son Laissez-Passer, histoire de boucler la boucle.
Je remercie Babelio et les éditions La Tour Verte pour cet ouvrage reçu dans le cadre de l'Opération Masse Crique.

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