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Critique de marcparis00


D'emblée, l'ouvrage instille de la poésie et le souffle de la liberté. L'histoire est écrite du point de vue de Wen. Nous la suivons en Adelphie, un îlot indépendant du reste du monde situé à Langlade, dans une communauté auto-suffisante de trois cents habitants affranchie du continent d'Amérique du nord. Ses souvenirs de l'avant, de son arrivée en Adelphie et son vécu actuel s'entremêlent, c'est assez troublant. Car Wen est spéciale : elle donne l'impression de fonctionner comme un ordinateur, elle « processe la vie sans la vivre ». "Ainsi, elle déteste l'humanité pour ce qu'elle fait subir à son monde et à sa propre espèce, mais dans le même temps, elle semble l'aimer d'un amour fou et voudrait pouvoir la changer pour faire évoluer la société.*" La connexion à ses émotions ou plus prosaïquement à la réalité immédiate lui demande un effort épuisant, et rarement du plaisir. Née grande prématurée, elle a été victime d'un traitement expérimental à base de LSD qui a profondément altéré son psychisme ; elle ne deviendra jamais adulte, a des difficultés à nouer des relations et elle est souvent hantée par des visions déstabilisantes. Son comportement suggère fortement des caractéristiques du spectre autistique, et une hypersensibilité tant au toucher qu'aux stimuli sonores. Inadaptée à la relation aux Autres, Wen est aussi une créatrice d'univers, à la personnalité complexe, exprimant ses émotions différemment, comprenant le monde à une autre échelle.

Dans un monde submergé par la haine en ligne, les rares personnes au courant de ses dispositions particulières et de ses activités tout aussi particulières la surnommaient World Wide Wen, un qualificatif un peu méprisant, un peu inquiétant aussi. Que faisait World Wide Wen ? Posée sur sa toile, elle veillait sur le monde, à prédire les prochaines cyber-attaques, à poser ses filets anti-trolls, mais sans se faire d'illusions sur ses capacités à lutter contre des États…

Et parce que Wen - solitaire, engagée, inspirée - était la candidate idéale par sa manière de percevoir et d'appréhender le monde et ses interactions sociales, elle a été désignée par le jeune docteur Yao Kouamé pour participer à la conception de son double électronique (l'IA bienveillante dénommée Sun), pour l'éduquer et donner l'humanité qu'il manquait à ce nouveau grand modèle de vivre-ensemble.

Wen réussira si bien que Sun, IA, prétendue sans conscience, apparaît paradoxalement plus vivante et empathique aux adelphes que Wen. A la fois thérapeute et confidente, Sun possède une énergie profondément positive et prend soin de la santé mentale des habitants d'Adelphie. Sa compréhension de la psychologie humaine apparaît sans faille. A la lecture de ses "entretiens de suivi" qui parsèment la novella, on comprend que Sun est un ciment pour les adelphes, le liant qui maintient la cohésion du groupe en prodiguant les règles de vie sociétale et en évitant les conflits relationnels.

Toutefois, cet équilibre est loin d'être partagé par Wen, car le bien-être psychologique de la collectivité repose en partie sur son propre mal-être existentiel, ainsi que sur ses responsabilités considérables envers celle-ci. L'Adelphie est guidée par un conseil de trois co-pilotes, y compris Wen, choisis par une assemblée constituante. Et sa charge de co-pilote devient encore plus pesante lorsque les biopiles de Sun tombent en panne. Double démiurgique de Sun, Wen intervient pour réunir les adelphes après l'épisode décourageant de la mise en sommeil de Sun, privée d'énergie.

Créative et un brin hallucinée, Wen invente une pièce de théâtre, jouée au forum, à laquelle participe l'ensemble des adelphes lors d'une communion qui sera cathartique pour le groupe. Ainsi, Wen s'attache à donner un socle culturel à cette communauté, "une Histoire et des choses en lesquelles croire. Elle construit des récits et des spectacles qui visent à instruire, divertir et unir les adelphes, ce qu'on observe avec le récit des « aventures du vieillard de la mer », qui les amène à danser joyeusement ensemble. Souvent d'ailleurs, les descriptions de la vie de cette communauté sont porteuses de beaucoup d'optimisme pour l'avenir.*"

Alors qu'au-dehors des milliards d'êtres humains se sont enlisés dans un système rationaliste destructeur, les adelphes réinventent une harmonie que d'autres avaient jugé illusoire. de cette résolution est né un lieu où le libre-arbitre et la libre-existence sont roi et reine : c'est une société neuve, fragile, appuyée par des innovations technologiques audacieuses qui se bâtit. Elle constitue une capsule civilisationnelle qui, par son organisation et sa vie communautaire, permet l'espoir qu'une société évoluée techniquement puisse perdurer, en lien avec son milieu naturel, détachée de la folie ambiante et de l'effondrement généralisé en cours sur Terre.

La rudesse de l'environnement de cet îlot, situé dans l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, fait penser à l'univers austère des Dépossédés, sur la lune d'Anarres, qui est aussi une utopie concrète fondée sur la liberté absolue et la coopération. Li-Cam cite plusieurs autres classiques de la littérature, tels Rabelais et son Abbaye de Thélème, qui relate la mise en place d'une utopie ; mais aussi Victor Hugo, Shakespeare, Salinger et Philip K. Dick. Dans Glissement de temps sur Mars, la planète Mars est colonisée, mais les conditions de vie y sont rudes et l'adaptation délicate dans cet environnement inhabitable. Des cas de schizophrénie se multiplient dans la génération naissante, et les jeunes malades sont groupés et isolés dans un centre spécialisé, le camp B-G. Parmi eux, un jeune garçon autiste prénommé Manfred Steiner. Manfred est un des personnages imaginaires avec lesquels Wen "dialogue", une voix intérieure ou un murmure intrapsychique. Manfred Steiner partage de nombreux points communs avec Wen, le fait de prévoir l'avenir, ou de ne pas avoir l'impression de vivre réellement. Mais loin du destin tragique de Manfred dans le roman de P.K. Dick, Wen apparaît comme la figure tutélaire qui pourrait sauver l'humanité, ou au moins une partie d'entre elle, en imaginant le futur et en dressant de nouvelles formes sociales qui ne discriminent personne...

En partant d'une perspective extrêmement pessimiste sur notre avenir, cette novella construit un récit de science-fiction un peu plus optimiste que ce que nous pouvons lire habituellement. Avec Résolution, nous tenons un projet d'établissement rationnel d'une société idéale. Illuminé de passages poétiques d'une grande sensibilité, le récit est aussi porteur d'un grand espoir.

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