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Critique de JLBlecteur


Drôle de pitch pour finalement une jolie surprise !

Étonnant pitch donc que celui-ci : un auteur alcoolique de 71 ans en incapacité d'écrire à la suite d'un AVC se voit proposer par deux jeunes producteurs l'écriture du scénario d'une mini série pour Netflix sur la période 67/70 des Rolling Stones alors qu'il ne les a jamais rencontrés et est plutôt réfractaire aux séries télé comme aux biopics !

Ha !?!?

C'est ce septuagénaire hors normes mais pas hors sol qui sera le narrateur et le protagoniste principal de ce court roman intitulé donc : Performance.

Performance, bien sûr c'est le titre du fameux film de 1970 avec le lippu félin Mick Jaguar, mais c'est aussi le qualificatif que l'on pourrait attribuer au premier chapitre de ce livre qui, sans en avoir l'air, distille immédiatement une ambiance ambivalente à ce récit de l'auteur à priori peu inspiré qui pourtant décrit avec un certain panache l'idée qu'il se fait du projet qui lui est soumis.

Il a son point de vue et son angle d'attaque bien arrêtés qui ne sont pas forcément en adéquation avec ceux des producteurs.
Balayée donc l'idée d'une biographie classique, linéaire ou iconographique au profit d'une évocation plus sulfureuse, d'une esquisse plus transgressive mais néanmoins finement documentée.

Même s'il est désormais bien loin de l'âge qu'avaient ses célèbres personnages à l'époque considérée, il pense pouvoir se remémorer et bien dépeindre cette période d'alors encore proprette et singulièrement pop mais qui allait bientôt s'aiguiller et dégénérer vers un univers plus sombre voire maléfiquement glauque.

Keith Richard sera au générique du roman certes, Brian Jones aussi, bien sûr, mais le véritable héros, c'est ce romancier d'un âge certain.

C'est lui qui parle, c'est lui qu'on entend !
Après la scène d'ouverture et sa rencontre avec les producteurs, quand il s'en retourne rejoindre sa très (très) jeune et très (très) camée dulcinée dans un hôtel parisien du faubourgs St Germain, c'est avec la voix de Gainsbourg découvrant Melody Nelson que j'entends les mots qui noircissent ma page. C'est ce débit reconnaissable entre tous et difficilement imitable finalement, ce détachement, cette classe décadente, cette provocation chic et érudite, cette culture ostentatoire aussi qui murmurent à mon oreille.

C'est son quotidien qu'il nous livre, celui de l'écrivain écrivant. Quand il fini par convaincre les jeunes producteurs, c'est son travail que nous voyons prendre forme pour nous raconter sa vision du swinging London sous acide qui rend stone et plus particulièrement les tribulations des rollings & Co puisque élargis à leurs proches, Marianne Faithfull ou Anita Pallenberg entre autres.

Bien sûr, il faut connaître un minimum l'abécédaire stonien pour suivre les nouvelles déambulations littéraires de Liberati comme il fallait connaître Manson, Polanski et Sharon Tate pour suivre ‘Californian Girls' il y a quelques années. Pour coller au récit, mieux vaut avoir les références au fameux épisode de Redlands dit de ‘la barre Mars' réputé avoir précipité aux enfers l'apparente angélique et évanescente Marianne Faithfull.

Pourtant, le fond du roman est ailleurs, dans la démarche créatrice du narrateur plutôt en déveine depuis un certain temps. L'écrivain raconte la stone-storie, évidemment, mais ce n'est que le média, l'histoire dans l'histoire ou l'alibi, le propos du livre est l'écriture, l'élaboration du script, la réflexion et les recherches de l'artiste comme sa vision par anticipation de ce que devrait être l'oeuvre télévisuelle en construction.

La performance est là dans cette prestation sur commande qui devient d'autant plus une obsession que sa propre vie actuelle comme passée semble sortir tout droit d'une composition survoltée du plus grand groupe de rock'n'roll du monde (il vit avec la fille de son ex-femme qui a quasiment cinquante ans de moins que lui mais qu'il ne connait que depuis trois ans seulement (transgressif mais pas incestueux))

Cette double Odyssée quasi punk est écrite avec un esthétisme léché parfois même maniéré qui, comme un riff de six cordes électrifiées, distorsionne et tranche avec le propos et l'édulcore naturellement sans qu'il y ait effet ou posture.

Il y a du style et de l'élégance dans la forme même si c'est pour évoquer alcool, sexe, drogue, rock'n'roll et déchéance physique.

On suit le narrateur dans sa quête de vraisemblance voire sa fuite en avant à perfectionner le moindre détail pour être le plus proche possible de l'ambiance de l'époque, visuellement bien sûr mais aussi idéologiquement, socialement, replongeant dans les us et coutumes d'alors aujourd'hui éliminés par le temps passé. Au delà du folklore et des clichés qui ont franchi les barrières du temps, il cherche à se rapprocher de la psyché de ses personnages quitte à tordre le cou à des idées reçues bien installées.

Cette série télé sera l'oeuvre d'un dandy décadent peut-être mais quand même conscient du décalage (revendiqué) qui existe entre lui et le reste du monde. Lui, vieillissant, subissant les assauts du temps dans sa propre enveloppe corporelle revient sur la jeunesse flamboyante des hérauts du Rock.
 C'est classieux comme disait initial SG.

Un triple voyage, en fait que ce roman :
- Un voyage physique et géographique à travers la France et l'Espagne, dans les pas lointains de Keith et Anita.
- Un voyage virtuel dans la quatrième dimension, l'espace temps, à la recherche des Rollings Stones et de la jeunesse perdus.
- Un voyage introspectif et crépusculaire enfin, celui de l'homme vieillissant qui regarde sa vie finissante et son corps en déliquescence épris de la jeunesse personnifiée par sa compagne.

Un roman en forme d'autofiction où tout est faux, à l'instar du décor de la série télé et de son jardin en plastique découpé au laser où se ferme le récit.

C'était ma quatrième rencontre avec Simon Libérati, après ‘Jayne Mansfield 1967', ‘Eva' et ‘California Girls'. Sûrement pas la dernière !
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