AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de R-MDominik


Plus qu'une critique, une chronique de sa lecture...
Un ouvrage passionnant, foisonnant avec ses 16 auteurs, pour parler de ce que nous devons à la ZAD. C'est peu de dire que s'est joué là le sort d'un avenir prometteur, car il y a des alternatives, des possibles.

Un autre monde est possible.

Ne lâchons rien, comme si nous étions déjà libres, disait Graeber…

« Si l'action directe consiste pour les activistes à relever avec constance le défi qui consiste à agir comme si l'on était déjà libre, la politique préfigurative consiste à relever avec constance le défi de se comporter les uns vis-à-vis des autres comme nous le ferions dans une société véritablement libre. » David Graeber

J'avais déjà pensé que la « Jungle » de Calais avait été un laboratoire, une expérience de vie, même si cette vie en commun était contrainte. Comme un microcosme d'une organisation différente.

Le PEROU nous en proposait une lecture de ville-monde.

Ce qu'écrit Patrick Bouchain ici à propos de la ZAD était tout aussi pertinent quand il s'agissait de la « jungle de Calais » :

« On ‘arrête pas de se plaindre qu'il n'y a plus de services publics, de commerces dans les petits villages, qjue la grande distribution a tout appauvri. Et là, vous avez des gens qui disent qu'ils veulent faire une boulangerie, une brasserie, une bibliothèque. Ils démontrent qu'à une autre échelle, on peu recréer de la vie dans un hameau. C'est magnifique. Ce qu'ils font est innovant. »

Cette expérience fut, elle aussi, interrompue en Octobre 2016.

« S'auto-organiser pour rester libres, construire sa maison pour vivre avec les autres, produire collectivement mais pas pour vendre, habiter avec les animaux et les végétaux pour apprendre d'eux, échapper aux normes pour fuir la violence des dominations. Alors que la légitimité des institutions et de la politique représentative vacille et que l'économie produit les inégalités à la chaîne, la ZAD fabrique des réponses à un monde qui s'écroule. » Jade Lindgaard

Décidément et quelqu'en soient les raisons le système ne veut pas que l'on puisse entrevoir qu'une autre vie est là, qu'un avenir en commun est possible (celui qu'on nous impose, de compétition et d'exclusion ne peut mener qu'à notre propre disparition).

« On a tendance à croire qu'en étant vigilants, qu'en étant informés, qu'en étant cultivés, qu'en faisant appel à son intelligence critique – on se protègerait de la propagande.

(…)

La propagande attaque nos cerveaux par l'arrière – dans l'angle mort, on croit la tenir à distance -, elle nous traverse, elle nous occupe » Virginie Despentes

Mais je reste persuadé que cette forme (ZAD) ou même d'autres formes de résistances se rendront incontournables, impossibles à soumettre, même par la force (la violence, telle qu'elle fut déployée à Notre-Dame-des-Landes).

Dans l'ombre, les forces se fédèrent, apprennent des échecs

« Notre-Dame-des-Landes invente des formes de vie, des styles de vie différents. Ce n'est pas seulement une « biovariété » qui est menacée et écrasée aujourd'hui, c'est la possibilité même, constitutive du « politique », de mettre au coeur de la cité la pluralité des manières d'interpréter la vie. C'est ce processus d'uniformisation que Pasolini vitupérait dans sa colère contre tout ce qui saccage les styles, les formes de vie qui faisaient jadis parler les villes et les nuits de son pays, et dont il mesurait déjà l'écrasement. »

« En néerlandais, la flibuste signifie « libre butinage ». Les boucaniers formaient une société multiraciale de rescapés, de proscrits et de dissidents. Ils avaient appris des Indiens à boucaner, sécher la viande et tanner le cuir, ainsi que l'usage des plantes médicinales. C'est que, dans les nouveaux mondes, tout est offert à profusion par la divine Providence. On pourrait aller jusqu'à dire que ces boucaniers avaient rouvert certaines formes très archaïques des sociétés de cueillette et de chasse, qui se figurent le monde en termes d'itinéraires, de butinages racontés et de pactes, et non d'espaces enclos. On n'est plus dans une économie de l'échange, ni même du don, mais de la « prise ». C'est d'ailleurs aussi ce que décrit Richard White dans « le Middle Ground », ce livre singulier où il évoque les grands lacs et plaines nord-américains au temps du délicat mélange entre les Indiens et les trappeurs. C'est là une des tiges majeures de l'invention démocratique, et la source d'un droit vif, un droit différentiel qui pourrait apporter, au droit sédimenté et plat des contrats, à la fois le respect des usages, des droits coutumiers, et l'invention d'alliances inédites. Notre-Dame-des-Landes est un laboratoire d'alliances, de pactes fragiles, entre des acteurs hétérogènes dont aucun ne prétend avoir le dernier mot, justement parce qu'ils lancent entre eux un archipel de promesses à tenir ferme dans un océan d'incertitudes.

A l'heure où nous tentons de comprendre Mai 68, d'en démêler les effets multiples, il nous faut faire place, dans notre monde, à tous ceux qui se refusent à la réalité « réaliste » telle qu'elle va, qui veulent s'en sortir. Ces marques de la société, ces « zones du dehors », pour reprendre le beau titre du roman d'Alain Damasio, personne n'aurait songé à l'époque à les désigner comme des zones de non-droit. Nos sociétés modernes se sont construites sur la liberté de partir ailleurs. Mais aujourd'hui le monde est fini, on ne peut plus aller « ailleurs ». Où se retirer, alors ? Si l'on veut résister aux terribles processus d'exclusion, de bannissement des uns, et d'érection de murs terribles qui empêchent les autres d'entrer, il nous faut inventer la possibilité de faire dissidence et sécession « sur place », ici, là où l'on est. Ne nous trompons pas sur le sens de cette « sécession » : ce n'est ni un isolement autosuffisant ni une rupture définitive. Car je ne peux résilier mon consentement à la société, m'en retirer dans ma cabane, que si plus profondément je m'associe avec ceux qui y demeurent. En réalité, même si je proteste contre cette société telle qu'elle va, je donne mon assentiment au fait d'être en société. Mais pour pouvoir entrer dans le monde, et y rester sans burn-out, sans en être écrasé, ne faut-il pas pouvoir s'en retirer ? Pour refaire le pacte, ne faut-il pas pouvoir le rompre ? » Olivier Abel

Partout les tentatives se mettent en place.

Souvent ce sont les laissés pour compte du système libéral, les rejetés surnuméraires, ceux qui n'ont plus rien, qui tentent de regagner leur droit de vivre. Tentatives libertaires, squats, paumés, comme cette friche Saint-Sauveur et ses vingt-trois hectares en plein coeur de Lille, qui incarne les enjeux lillois de la préservation de la nature en ville, dans une commune en manque de végétation comme de logements. Depuis quelques mois, des sans-papiers et des sans domicile fixe y organisent leur quotidien. Entre protection des personnes et de la nature, plusieurs causes cohabitent dans cette zone à protéger unique en son genre.

Nous avons croisé la route de l'un de ces fous par le biais de couchsurfing, l'un de ceux, nombreux si on sait regarder, qui tentent une autre vie. Erik vivait à Limans dans cette communauté appelée Longo maï. D'origine belge, il parcourait le monde de « canapé en canapé ». Lorsque nous l'avons rencontré il revenait d'un séjour de plus de 6 mois en Chine, il était passé par la Russie où il avait passé quelques mois, là aussi. Il pratiquait je ne sais combien de langues (français, flamand, russe, espagnol, allemand, chinois…).

C'était un vrai citoyen du monde, vivant de (très) peu et heureux, plein d'espoir. Comme en contrebande…Comme un pirate, un flibustier, justement.

Les « Longo maï » (« Que ça dure » en occitan) qui existent depuis près de 50 ans, sont partis d'un constat, celui que beaucoup d'entre nous font, que la chasse au profit à court terme détruit notre planète. La nature souffre. L'humanité perd le sol sous ses pieds.

Que nous devons réfléchir et changer de cap.

Longo maï prouve avec des petits pas concrets qu'un autre chemin est possible. Des nouvelles formes de vie solidaires et écologiques sont nécessaires afin de laisser une chance aux générations futures.

Mais il existe autant de ZAD (qui n'est même plus un acronyme) que de lieux de résistance, je pense aussi à ces lieux qui tissent des rapports humains différents, et leurs relations avec le monde qui les entoure. Ces résistances qui se vivent en faisant « un pas de coté ». C'est ainsi que se vit ce lieu de partage et de vie culturelle où la porte d'entrée porte l'invitation « entrez libre » : « le Channel », notre scène nationale. Les rapports, les liens, les « hyphes » dirait Alain Damasio, entre êtres hétérogènes, où artistes, spectateurs voire même badauds, se rencontrent et fabriquent une vie en commun, un « être ensemble » – je n'aime pas cette phrase galvaudée par les manuels pour DRH – mais ici, elle est vraiment à sa place. (Par parenthèse Patrick Bouchain, que je cite ici à plusieurs reprises, est l'architecte de ce lieu, ce que semble oublier le recueil qui l'omet dans les lieux qu'il a réhabilités)

Il appartient à chacun, seul ou en groupe, d'inventer d'autres formes de ZAD, pas forcément contre la société mais de toute façon, dans la société. Comme l'écrit Patrick Bouchain « Leur acte n'est pas une désobéissance à l'ordre républicain, mais à la stupidité républicaine ». Pour préfigurer un autre monde de demain. Cela veut aussi dire parfois, oublier la sacrosainte propriété privée pour la remplacer par un droit d'usage.

Car il y a d'autres possibles.
Commenter  J’apprécie          10



Ont apprécié cette critique (1)voir plus




{* *}