Un jour, on fait une fête. On annonce à l’un de nos camarades de cellule que sa femme, détenue ailleurs, vient de mettre au monde une petite fille. La mère et l’enfant se portent bien. Les yeux du père se remplissent de larmes. Nous le serrons sur notre cœur, nous chantons en son honneur, nous plaisantons.
Alors le père, plein de décision, fait quelque chose que personne ne peut croire. Il trouve une aiguille et du fil, ôte sa chemise et commence à la couper en morceaux, et à coudre ces morceaux. Puis il prend un marqueur. Il est merveilleusement adroit de ses mains. En une demi-heure il a fabriqué une poupée, à grands yeux, longs cils, lèvres rouges. C’est son cadeau pour la petite qui vient de naître. La poupée a l’air belle. C’est la première fois, et jusqu’ici la seule, que je vois « naître » une poupée. Une poupée unique, née des mains d’un homme, parmi des hommes.
D’une certaine façon lui et moi nous sommes faits de la même pâte, nous venons du néant. Le néant dans mon pays c’est ne pas avoir un nom, un oncle, des amis connus de tout le monde, aucun lien avec le pouvoir. Nous venons de nulle part et nous avons l’intention d’être respectés. Pourquoi devrait-on nous respecter ? Eh bien, pour quelque chose, pour quelque chose que nous sommes capables de faire. Rester debout, par exemple. Étudier la langue espagnole en prison, par exemple.