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Critique de Arimbo


Arimbo
12 septembre 2022
« Les yeux horribles des pontons ».

Ma passion pour Rimbaud m'a souvent fait penser à cette période extraordinaire, que le jeune poète a connu et qui apparaît en filigrane dans certains de ses magnifiques poèmes.
Mais, en réalité, je la connaissais mal, à part le fait qu'elle était porteuse des grandes idées sociales et politiques qui se concrétisèrent plus tard, ou ne sont pas encore achevées, comme l'éducation pour tous, la séparation de l'Eglise et de l'Etat, l'égalité homme-femme. Et aussi qu'elle a inspiré Marx qui était présent je crois à Paris au même moment, et aussi la révolution bolchevique, entre autres.

C'est l'analyse passionnante de ce livre faite par mon « ami » babeliote Hulot, qui m'a incité à lire ce livre, tout en commençant au préalable par le Que-sais-je de Jacques Rougerie, spécialiste éminent de cette période décédé récemment.

Le livre de Rougerie était pour moi une étape indispensable, car le récit de Lissaragay, long de près de 500 pages, est extrêmement dense et exhaustif.

L'auteur, Prosper-Olivier Lissaragay est un journaliste, qui était présent lors des événements, et a participé à la défense de Paris lors de l'arrivée
de l'armée dite des « Versaillais », armée aux ordres d'Adolphe Thiers qui avait pris le pouvoir de l'Assemblée Nationale réunie à Versailles. Proscrit, il avait fui à Londres, et c'est là qu'il a écrit, se servant à la fois de ses souvenirs, du recueil des témoignages de Communards exilés en Angleterre ou en Suisse, mais aussi en examinant une masse énorme de documents relatifs à cette période.
Le livre a été publié une première fois en 1876, et avec des remaniements et ajouts en 1896, l'édition que j'ai eue en main.

Et de ce fait, lectrice ou lecteur, accroche-toi, ça en vaut la peine, car c'est, précédé de la narration de la débâcle de l'armée française face à l'armée prussienne de Bismarck, de la chute de Napoléon III, un récit presqu'au jour le jour, mais passionné et passionnant de l'avènement et de la chute de la Commune de Paris. Parfois, on se perd un peu dans les détails, parfois, l'auteur se laisse entraîner à la vindicte ou au mépris, mais il faut le prendre comme ça, c'est un récit engagé et courageux.

Je ne vais pas résumer ce qui est raconté dans le livre, mais vous faire part de mes impressions et sentiments.

D'abord, je ne savais pas que ça a été si court, la Commune de Paris, un peu plus de deux mois seulement. Et pourtant deux mois porteurs d'avenir, car l'ampleur des mesures prises, effacement de la dette des petits commerçants et ouvriers, éducation pour tous, égalité homme-femme, etc..impressionne.

Mais j'ai découvert aussi à quel point ce mouvement, dans lequel beaucoup ne voulaient pas de chef, était divisé, par exemple entre des partisans d'une gouvernance plutôt autoritaire et ceux qui voulaient une démocratie directe (ça résonne encore chez nous en 2022, ne trouvez vous pas); combien certains, avec lesquels l'auteur n'est pas tendre, parlaient beaucoup et agissaient peu; enfin combien l'impréparation, les tergiversations de toutes sortes que décrit Lissaragay, n'ont pas permis aux Communards de s'organiser et de résister longtemps à l'offensive des Versaillais, malgré leur courage incroyable.

Et puis, il avait raison, ce peuple de Paris, de ne pas être d'accord avec une capitulation indigne devant la Prusse, et de vouloir garder ses canons et ses soldats de la garde nationale, soldats qu'au passage Thiers refusait de payer, et de ce fait de se révolter ce 18 mars 1871 pour garder ses canons et sa garde nationale, dans le but de se défendre.

Et puis, le récit de la répression est bouleversant, écoeurant, une répression inique menée par Thiers, des massacres inouïs des populations civiles, une préfiguration, je trouve, des horreurs des guerres du 20ème siècle, des entassements horribles dans les abattoirs(« le sang coula aux abattoirs, dans les cirques » nous dit Rimbaud), sur les pontons, des déportations de masse, des procès sommaires, et j'en passe. Et aussi, il faut noter tous les récits partiaux et malveillants d'écrivains et de journalistes qui ont fait passer les gens de la Commune pour des brutes et des sauvages, alors que, par exemple, les responsables de la Commune avaient édicté des consignes strictes, certes pas toujours suivies, pour le respect des prisonniers.

Mais, paradoxalement, si j'ai bien compris, c'est aussi cet épisode qui confortera l'avènement de la République et l'abandon complet de l'idée du rétablissement de la Royauté ou de l'Empire, République qui proclamera bien tard, en 1880, l'amnistie totale des Communards.

Enfin, je suis ressorti de cette lecture avec l'idée que la Commune a sans nul doute payé le prix fort pour ses idées novatrices en matière d'égalité, d'éducation, de décentralisation des pouvoirs, bref, tous ces thèmes encore bien d'actualité.

Évidemment, un témoignage indispensable à qui veut comprendre cet épisode emblématique, je trouve, de l'Histoire de France.
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