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Critique de berni_29


La ménagerie de papier est un recueil de dix-neuf nouvelles d'un auteur que je découvre ici et dont je retiens désormais le nom, Ken Liu, car il n'est pas du tout impossible que je retourne dans son univers littéraire sans tarder, bien au contraire.
Ce recueil aborde indifféremment la science-fiction ou la fantasy et ce détail n'est pas sans importance car on peut aimer la science-fiction et ne pas du tout aimer la fantasy. L'inverse est vrai aussi. Ah, je vois déjà que certains se reconnaissent dans mon propos.
Certains pourraient même vous rétorquer qu'il y a entre la science-fiction et la fantasy un fossé aussi éloigné que notre bonne vieille Terre l'est des autres galaxies qui lui sont étrangères.
Pourtant, - mais c'est peut-être parce que je suis un peu encore novice sur les deux genres, cette association ici ne m'a pas du tout dérangé.
Le regroupement de ces dix-neuf nouvelles est le fruit d'un choix opéré par les éditions le Bélial et je trouve que l'agencement est fort réussi. L'ensemble tient debout comme un bel édifice défiant les astres, le temps et l'imaginaire...
Parmi ce champ des possibles qui est visité ou revisité dans ce recueil, la science-fiction occupe une large part du recueil, mais peu m'importe les genres en définitive, j'ai lu quelque chose qui tient de la littérature, celle qui me séduit.
S'il fallait rechercher un fil qui couture l'ensemble pour en délivrer un chapelet de perles dans son harmonie, ce serait peut-être le thème de l'enfance. L'enfance résonne ici avec tendresse, parfois avec nostalgie ou douleur. Souvent un enfant va éclairer de sa candeur, - c'est-à-dire de cette part d'intelligence capable de s'approprier un monde hostile, les chemins où tâtonnent ses parents et peut-être toute une communauté en proie au doute, à la peur, à la haine comme seule réponse...
L'exil, le douloureux exil dont on ne reviendra jamais, la quête d'un autre monde par choix ou par obligation...
L'inquiétude et le pessimisme traversent souvent le paysage de ces nouvelles, puisqu'il s'agit souvent en SF de s'inspirer, d'une certaine manière, du monde qui nous entoure, mais parfois des chemins philosophiques s'invitent, comme une tentative d'apaiser l'effroi d'un vide. Mais il y a quelque chose qui rassure malgré tout, apaise nos plaies, l'enchantement peut-être... ou bien la rencontre avec certains personnages...
L'humanité est là aussi présente dans toutes ces nouvelles avec toute sa palette de nuances, ses failles, ses odyssées, ...
La recherche d'immortalité... Pourquoi est-ce tant un mythe intemporel ? C'est dit avec inspiration et beauté dans quelques-unes de ces nouvelles et qui m'ont rappelé le recueil de Greg Egan, océaniques, même si ce dernier va sans doute davantage fouiller avec plus de profondeur et d'acuité certains des thèmes abordés, plus de dureté aussi... Choisir, c'est renoncer... Choisir entre l'immortalité mais rester au stade physique où l'on est, - dix ans, trente-cinq ans..., ou bien vieillir et mourir mais traverser tous les stades de la vie et les aborder avec l'immanence de l'instant, ces vertiges, ces espoirs, ces chagrins, celui de partir, de voir l'autre qu'on aime partir...
« Partout, la vie continuait sans fin, mais on n'était pas plus heureux pour autant. Les gens ne vieillissaient pas ensemble - ils ne grandissaient pas ensemble non plus. Les couples mariés revenaient sur leurs voeux, et ce n'était plus la mort qui les séparait, mais l'ennui. »
L'autre, l'étranger, la confrontation des cultures... Celui qui vient d'une Terre nouvelle. Comment ne pas voir ici une poignante allégorie aux destins parfois tragiques des migrants ayant quitté leurs territoires hostiles vers quelque eldorado improbable.
« Fouler dans un lointain futur le sol d'une autre planète, respirer l'air libre... »
Parfois, ces mondes étranges ne semblent pas si éloignés des nôtres, lorsque les thèmes évoquent la dépossession de notre libre-arbitre face aux algorithmes « géniaux » capables de nous « aider » et nous prendre en charge au moindre pas, au moindre faux-pas... voulant tout contrôler à partir de nos données personnelles. Parfois en lisant certaines de ces nouvelles, j'ai pensé que Ken Liu s'était inspiré des origines du monde dont il est issu, la Chine et son oppression sur un peuple systématiquement contrôlé, verrouillé... La SF, ce serait un peuple chinois enfin libéré d'un carcan qui pèse depuis des décennies sur un peuple qui ne souvient plus d'avoir connu un jour la liberté...
Le langage, la communication avec l'autre... L'amour peut-être... Demain, plus tard après-demain, le désir et l'amour, qu'en adviendra-t-il ?
Le thème de la mémoire aussi m'a séduit, la manière dont il est abordé ici, celui de la transmission forcément n'est jamais très loin...
J'ai aimé les thèmes abordés, j'ai aimé l'élégance réjouissante et la douceur des mots que pose cet écrivain pour les aborder, j'ai aimé la puissance de certains des textes, j'ai aimé me projeter dans une sorte de vertige intersidéral, y perdre pied, m'éprendre de certains personnages attachants en me demandant à chaque fois s'ils n'étaient pas à des années-lumière de moi. Pourtant, j'étais si proche de leurs pensées, de leurs gestes que je me suis demandé si certains de mes contemporains qui parfois m'entourent et que je côtoie dans le même espace-temps, ce ne sont pas eux plutôt qui seraient à des années-lumière de moi...
C'est aussi un magnifique pas de côté, un regard acerbe et percutant sur notre société, nos aliénations, nos servitudes volontaires... Comme toujours, la SF sait puiser dans notre quotidien pour projeter en miroir ce qui pourrait nous arriver de pire, mais pourquoi pas de meilleur aussi...
J'ai aimé voir ici certaines mythes antiques revisités à la sauce SF, le mythe de Pygmalion, celui de Prométhée, l'inspirante Athéna... C'est selon moi la prouesse d'un écrivain inventif. Et si vous aimez l'humour ou l'ironie qui n'est guère loin, vous serez servi à certains endroits...
Il y a une émotion pure, vibrante, minérale, sidérale qui traversent ces nouvelles. La nouvelle éponyme est sans nulle doute un bijou d'émotion, sa poésie, sa beauté et son côté onirique magnifique m'ont touché, mais ce n'est pas peut-être pas celle que je retiendrai pour capter tout le sens qui porte ces textes. Je retiendrai davantage les nouvelles suivantes : « Les algorithmes de l'amour », « Mono no aware », « La forme de la pensée » et « Les vagues ». Je pourrais vous en citer d'autres, je pourrais vous dire que j'emporte tout ou presque sur ma planète déserte car beaucoup de ces textes sont de haut vol.
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