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Critique de Pitchval


Après avoir été subjuguée par son brillant « Martin Eden », que j'ai lu trois fois, ainsi que par « Les vagabonds du rail », il me fallait revenir à London, au minimum pour vérifier une constance qui m'importe chez un écrivain. Mon choix s'est porté sur « L'appel de le forêt », qui est probablement l'un des plus célèbres et des premiers romans de l'auteur.

Si je n'ai jamais lu « Croc-Blanc », j'en ai lu deux notes fort soignées, presque professionnelles, qui me permettent de conclure que « L'appel de la forêt », écrit avant, en est l'exact inverse. Cette fois, c'est le chien domestique qui devient animal sauvage à la façon du loup.

Buck est un chien de maison, que rien ne prédestine à une autre existence que celle d'un chien domestique, fidèle, obéissant et choyé par son maître. C'est pour ces raisons que jamais il ne s'est méfié des humains. Chien très prisé pour sa robustesse, il est volé à son maître, dressé de manière rude et revendu pour être chien de traîneau en Alaska. Malgré les efforts physiques, le froid, les privations de nourriture, les bagarres dans la meute, la rudesse des maîtres successifs, Buck non seulement s'adapte, mais devient le chien le plus puissant de la meute. Enfin, après une carrière de chien de traîneau réussie avec brio, à la mort de son dernier maître chéri, Buck cède à l'appel de la forêt et rejoint une meute de loups sauvages.

Ce roman, vendu généralement sous des éditions de littérature jeunesse, est faussement destiné aux enfants. Évidemment, l'intrigue et les rebondissements sont à la portée d'un jeune lecteur. Cependant, l'intention, la démonstration de ce qu'est un animal, domestique ou sauvage, s'adresse sans aucun doute à un lecteur adulte. de même que les scènes d'une grande violence, où le gentil chien blesse un congénère à mort. Je garde en mémoire un très bon roman, é dans la littérature jeunesse également : « Rrou », de Maurice Genevoix qui raconte avec une belle justesse le parcours d'un chat aux instincts sauvages, qu'il était à peu près impossible de domestiquer. J'ai fait le parallèle car ces deux romans m'ont conduite à la même remarque: il est extrêmement ardu et ambitieux de choisir un animal pour personnage principal sans tomber ni dans le fantasme mièvre de l'animal qui pense et ressent comme un humain, ni dans le piège de ne prêter aucun sentiment ni aucune pensée construite à celui-ci. Il faut être fin observateur et avoir côtoyé intiment les animaux pour triompher d'un tel projet. J'ai cru lire que London avait passé beaucoup de temps auprès des chiens de traîneaux, et qu'il les avait côtoyés intimement. Il me semble que l'expérience est la seule boussole dans ce genre d'entreprise. Quiconque n'a pas vécu au contact d'une meute, pas même un spécialiste-scientifique-animalier, ne pourra réussir ce genre de récit si celui-ci est uniquement fondé sur des connaissances théoriques.

Le devenir de Buck est un glissement lent, une transformation progressive et par étapes d'un animal domestique en bête sauvage. Si un chien tout à fait domestiqué et dépendant entièrement d'un l'homme ne peut devenir, du jour au lendemain, un loup féroce et respecté, chassant et tuant pour assurer sa survie, London montre en quelles circonstances un retour à la nature et aux instincts est possible.

Le chien, qui avait jusqu'alors vécu dans le confort apporté par un maître aimant, est confronté soudain à la cruauté de l'homme, ainsi qu'à la faim, au froid, à la fatigue, aux blessures, et surtout aux rivalités dans la meute. Buck devra d'abord se soumettre aux lois en vigueur du troupeau, et donc obéir non seulement au maître, mais également au mâle dominant, ou bien se faire mordre. Il devra s'habituer au ventre creux, à l'épuisement, aux coups de fouet, à la cruauté de plusieurs maîtres successifs pour lesquels il ne sera qu'un outil. Buck s'adaptera progressivement, jusqu'à retrouver des instincts de survie et plus encore: Buck apprendra à se défendre et à se battre. Il deviendra un animal rusé et indépendant. Jusqu'à tuer un rival pour devenir le chef de meute.

Enfin, Buck trouvera un dernier maître avec qui il sera à nouveau chien de compagnie, fidèle et complice. Il lui sera loyal à nouveau, probablement grâce à son passé de chien ami de l'homme. À la mort de ce dernier, Buck ira rejoindre les loups, et même s'en faire respecter. le chien soumis et bien domestique devient, par expérience de la ruse et par observation de son nouveau milieu, une créature redoutable.

Si je ne connais pas les chiens au point de pouvoir juger de la plausibilité du récit, si je n'ai pas vu de mes yeux une telle transformation, je la juge très réaliste. Buck, le gentil toutou, ne se métamorphose pas sans raison en loup féroce. C'est une suite de circonstances minutieusement menées qui effaceront peu à peu ses automatismes de chiens domestique et feront naître en lui des instincts de survie et de conservation. Et cela me parait très logique. N'a-t-on pas lu les récits d'hommes déportés, notamment celui de Primo Levi, qui explique comme l'humanité n'avait plus sa place dans les camps? Comme la ruse et l'instinct de survie étaient à peu près les seules armes? Comme ils étaient déshumanisés, en quelque sorte. Et l'on prétendrait que ce n'est pas possible pour un chien, être vivant qui n'a, contrairement à l'homme, jamais été baigné de morale ?

Car on l'a prétendu. de supposés experts en comportement animal ont attaqué London. D'ailleurs le roman, dans cette édition, comprend un épilogue dans lequel Jack London répond à ses détracteurs, notamment au président Roosevelt, qui a accusé l'écrivain de prêter aux animaux des pensées et sentiments dont ils ne seraient pas pourvus, défendant la thèse qu'un animal n'agit que par instincts. Très habilement, London donne plusieurs exemples précis prouvant que le chien est capable de raisonnements - certes rudimentaires- ou de sentiments comme la honte. Et je ne sais, moi, si j'aurais pris la peine de me défendre et de répondre à des gens qui ne connaissent les chiens qu'à travers des ouvrages de biologie. Rien ne vaut un sens aiguë de l'observation et des heures de pratique de ces animaux pour pouvoir les décrire. L'expérience valant plus que n'importe quel manuel ou n'importe quelle théorie. N'a-t-on pas cru que la terre était plate jusqu'à ce qu'une expérience et une observation humaine démontre le contraire?

« L'appel de la forêt » est un bon roman, minutieux et soigné. Cependant, j'ai été dérangée par une sorte de mysticisme qui m'a fort surprise, venant de London. Il associe parfois l'atavisme de Buck à quelque chose de magique et de l'ordre du conte fantastique. À quelques reprises, il laisse supposer que le chien entend la voix de ses ancêtres. de même, à la fin, il explique, comme une légende, le fait que la descendance de Buck, des loups gigantesques, très poilus, monstrueux, hante les villages et terrorise les habitants à la manière de créatures imaginaires. C'est un peu dommage, cette part d'irrationnel.

Cette déception est probablement due à mes grandes exigences. J'aime London. Je considère « Martin Eden » comme un chef-d'oeuvre suprême. Mes attentes étaient proportionnelles à ma grande admiration.
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