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Critique de Erik35


DE LA RUÉE VERS L'OR A LA RUÉE VERS L'ENCRE;

1902. Jack London est encore un écrivain débutant, malgré plus d'une cinquantaine de nouvelles déjà écrites, dont un grand nombre publiées en revues, deux recueils édités (un troisième cette même année), un court récit très largement autobiographique, La croisière du Dazzler, en 1902 également, mais aucun roman. Et il le sait : il ne pourra véritablement considérer sa carrière comme assise qu'en devenant véritablement romancier. Il en allait hier comme il en va toujours aujourd'hui.

Quoi de plus naturel, alors, que de puiser dans ce fonds incroyable d'histoires toutes plus fortes, rocambolesques et fabuleuses que lui ont conté tous ces aventuriers, chercheurs d'or, indiens, traîne-misères et autre hâbleurs que ses propres pas lui ont fait croiser au pays du grand silence blanc ? Mais il faut marquer les esprits. C'est donc tout naturellement que son premier héros de roman est en fait une héroïne. Et quelle ! Cette fille des neiges, nommée Frona Welse, va nous entraîner dans un tourbillon d'aventures dramatiques. Personnage étonnamment actuel, la jeune femme qui, après avoir fait ses études, revient an pays partager l'existence rude des prospecteurs, se révèle être un personnage hors du commun car cette fille d'un personnage illustre et influent du Klondike est une rebelle au grand coeur, où surnage une pointe de naïveté qui lui fait honneur. London va, tout au long de ce roman d'aventure et de duel amoureux, nous faire partager le quotidien de cette jeune Walkyrie moderne et de ses deux prétendants : le bel et charismatique Gregory de Saint Vincent, aventurier homérique - du moins, c'est ce que tout le monde croit, jusqu'à sa chute mémorable - face au jeune, honnête mais plus réservé Vance Corliss - une sorte d'avatar de notre écrivain en formation -. A la suite de moultes aventures picaresques, de rencontres étonnantes, de la description toujours aussi fidèle et bouleversante de ces êtres humains, souvent naturellement solitaires et individualistes mais voués à une solidarité sans faille, face à une nature impitoyable autant qu'elle est fascinante, la vérité va se révéler, au cours d'une description de la débâcle des glaces sur le Yukon qui est proprement à vous couper le souffle de réalisme et de puissance : le beau Saint Vincent, le chéri de ses dames autant qu'il est invariablement détesté des hommes (jalousie expliqueront les premières ; fausses gloires semblent répondre les seconds), finira percé à jour au cours d'un procès aussi inoubliable que brutal. Saint Vincent échappera de très, très peu au lynchage, mais il y perdra toute sa superbe, le bonhomme apparaissant d'une lâcheté crasse et d'un affabulateur aussi inventif qu'imprudent.

Mensonge, lâcheté : deux tares inexcusables dans ces paysages où le moindre faux pas, ou le moindre faux semblant s'avère très immédiatement mortel. Deux pêchés que London ne parviendra jamais à excuser tant dans ses ouvrages que chez ses contemporains. Une des leçons du narrateur du futur Martin Eden, lorsqu'il perce les secrets de la bourgeoisie, pour son plus grand drame.

Bien entendu, ce texte n'est pas exempt de nombreux défauts : personnages encore un peu trop monolithiques, enchaînement de situations parfois un peu tirée par les cheveux, répétitions. Mais le style est là, qui enchante le lecteur. Les descriptions, naturalistes, certes, mais sans jamais ennuyer de ce Grand Nord sauvage, sont souvent à couper le souffle. Mais il y a, déjà, un peu trop de ces remarques racialistes et racistes, qui émailleront, ici et là, une certain nombre de romans, à notre plus grand désespoir, et même en remettant ces écrits dans leur contexte idéologique, social et personnel de l'époque. Remarquons tout de même que le presque double de Jack London s'insurge régulièrement, dans ces pages, des thèses beaucoup plus virulentes sur cette question des races que la jeune héroïne. Qu'à tout le moins, il en dénie une partie des fondements. Remarquons aussi que le personnage proche du London de l'époque s'oppose déjà ouvertement à la peine de mort, à l'idée d'une justice bâclée, quand bien même Vance n'éprouve plus aucune sympathie pour son adversaire, en raison de sa mystification. Et que l'ensemble de la fille des Neiges peut être considéré comme un roman pour le moins féministe. Pour un homme de son temps, même très engagé dans le socialisme, ce n'était pas si courant, et mérite toujours d'être porté au crédit de l'auteur... Malgré sa multitude de défauts peu pardonnables.

Un premier roman manquant d'équilibre et de la puissance de L'appel de la Forêt qu'il écrira très bientôt, mais pour un coup d'essai, c'est une excellente introduction à la découverte de ce californien de génie.


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