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Citations sur Revenir à Vienne (14)

Avec la haine, on raccourcit tout, même la vie.

Arthur Schnitzler
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Agrippé des deux mains à la balustrade du petit pont supérieur, l'émigré de retour voyait resurgir la côte d'ù il était partie dans l'incertain, huit ans auparavant. Il se souvenait de tout.
De douces collines. Des maisons. Lui avait-on dit que Le Havre n'était plus ? Il était là. Le Havre avait toujours été le lieu où commençaient et finissaient les voyages dans l'inconnu.
Le "Brésil" avait réellement ralenti. Ce n'étaient plus de vagues contours qu'on voyait maintenant mais la réalité. Elle lui sauta à nouveau à la figure, brutalement cette fois. Et il vit les premières traces de la destruction. Jusque-là, il les avait vues dans des films ou en photos, à présent elles étaient sous ses yeux. Le Havre n'existait plus. Le plus terrible est qu'il semblait tout de même encore là. Sa silhouette y était. Elle se dessinait dans des ruines de murs et de fenêtres calcinées derrière lesquelles béait le néant intégral. On avait vu ces images au cinéma ; les reporters avaient écrit un tas d'articles, on avait reçu des lettres qui tentaient de les dépeindre, mais tout cela restait bien en deçà de cette réalité indescriptible. Apercevoir des gens devant les ruines proprement dégagées et une voiture rouler là où il n'y avait pas de route rendait le tout encore plus sinistrement irréel.

page 74
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Seuls les Juifs s'en souvenaient, mais on le savait, il n'y en avait plus beaucoup à Vienne. En ce moment, l'antisémitisme rentrait encore ses griffes et se drapait dans une équité de façade en distribuant ici et là quelques postes à des non-Aryens ; mais les Juifs ne décrochaient pas les postes-clés. Lui-même avait eu une conversation éclairante avec un fonctionnaire, un chef de section nommé Pauspertl, un de ces messieurs se souvenait peut-être de lui ? On ne l'avouait pas officiellement, mais on n'avait pas la moindre envie de voir resurgir les émigrés, encore moins des noms réputés. On voulait rester entre soi et ménager sa plus ou moins mauvaise conscience.
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Un jour il lui demanderait, et cela se dresserait ensuite toujours entre eux : Qu'as-tu fait le 14 mars 1938, quand ils ont traîné dehors madame Polatschek, ta voisine de soixante-quatorze ans, pour lui faire effacer neuf heures d'affilée les croix potencées du trottoir ? Tu étais à ta fenêtre et tu regardais. Tu t'es même dit : « C'est bien fait pour cette vieille pimbêche ! » Qu'as-tu fait, quand le vieux Dr Emil Geyer, l'ancien directeur du théâtre in der Josefstadt, a couvert son étoile jaune de sa main en te croisant, gêné, dans la Singerstrasse, et qu'un voyou lui a ôté sa main et son chapeau ? Il t'a crié comme pour t'appeler à l'aide : « Bonjour, mademoiselle Wagner ! », et tu as fait comme si tu ne le voyais pas (…). Qu'as-tu fait, quand Feldmann, l'oto-rhino qui t'avait sauvé la vie quand tu avais onze ans, t'a implorée de cacher sa sœur chez toi une quinzaine de jours ? Tu lui as donné asile deux jours, puis tu es partie chanter à Cologne. Et ils l'ont trouvée et ils l'ont gazée.
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Au diable les amplitudes américaines ! Quand il faisait chaud, c’était l’étuve ; quand il pleuvait, le déluge. Toujours les extrêmes. À Salzbourg l’été n’était pas des plus secs, mais avec un imperméable et un parapluie on était à l’abri du désastre.
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L'état du pays se voyait, il se sentait. Aux vêtements des gens. Qui échangeaient leurs livres contre de la farine. À leur fierté amère. Aux grappes de passagers qui s'accrochaient aux marchepieds des tramways. À ces camions non bâchés que les gens attendaient des heures comme le messie dans la poussière des routes et sous la pluie avec leurs valises, dans l'espoir que l'un d'eux les prendrait à son bord, c'était l'unique possibilité de voyager et peut-être pourraient-ils s'y tasser, serrés comme des sardines ; pour y monter ils apportaient des caisses que les vieillards escaladaient au risque de se rompre le cou. À ces innombrables cas de décès par asphyxie au gaz, qu'on oubliait de fermer parce qu'on en avait chaque jour à une heure différente. Aux immeubles sinistres portant les inscriptions LSR, Lufschutzraum : abris antiaériens. Aux flèches blanches indiquant les endroits où l'on pouvait déterrer des personnes éventuellement enfouies sous les décombres. Aux fleurs jaunâtres qui poussaient sur les gravats. Le mot " espoir" ne faisait plus partie du vocabulaire.
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Un jour il lui demanderait, et cela se dresserait ensuite toujours entre eux : Qu'as-tu fait le 14 mars 1938, quand ils ont traîné dehors madame Polatschek, ta voisine de soixante-quatorze ans, pour lui faire effacer neuf heures d'affilée les croix potencées du trottoir ? Tu étais à ta fenêtre et tu regardais. Tu t'es même dit : « C'est bien fait pour cette vieille pimbêche ! » Qu'as-tu fait, quand le vieux Dr Emil Geyer, l'ancien directeur du théâtre in der Josefstadt, a couvert son étoile jaune de sa main en te croisant, gêné, dans la Singerstrasse, et qu'un voyou lui a ôté sa main et son chapeau ? Il t'a crié comme pour t'appeler à l'aide : « Bonjour, mademoiselle Wagner ! », et tu as fait comme si tu ne le voyais pas (…). Qu'as-tu fait, quand Feldmann, l'oto-rhino qui t'avait sauvé la vie quand tu avais onze ans, t'a implorée de cacher sa sœur chez toi une quinzaine de jours ? Tu lui as donné asile deux jours, puis tu es partie chanter à Cologne. Et ils l'ont trouvée et ils l'ont gazée.
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Son poste au ministère de la Justice qui annonçait une carrière prometteuse remontait à un bon bout de temps. Et depuis lors il avait fait des sottises en se gargarisant de grandes phrases : avancer par ses propres moyens, pas le moment de mener une vie de luxe, vivre comme les autres émigrés… Qu’à cela ne tienne. Si ça lui faisait plaisir.
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Je n’aime pas me mêler des affaires d’autrui, mais tire un trait, Felix, solde tes comptes avec l’Autriche, aurait dit ton grand-père s’il s’était vu forcé d’émigrer. Si tu t’employais activement à aimer l’Amérique au lieu d’excuser l’Autriche, tout ça aurait un sens. Ne viens pas me dire que c’est une question d’âge et de confort, et qu’on voit les choses autrement à quatre-vingts ans, de l’hôtel Plaza, qu’une jeune tête de mule de ton espèce. J’ai aimé l’Amérique depuis le premier jour. Je n’avais alors que soixante-quatorze ans et ce petit appartement horrible dans Lexington Avenue. Il faut te décider, Felix. Pas parce que tu as signé quelque chose aujourd’hui, mais parce que, sans cela, tu n’avanceras pas.
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Il était myope certes, mais il y voyait assez pour vendre chèrement sa peau. Estime-toi heureux, lui avait dit la famille (à l’exception de bonne-maman Viktoria), au moins tu as la paix. Au diable la famille ! C’est bien à eux qu’il fallait rappeler qu’on était en guerre. Ils étaient si convaincus d’avoir souffert le martyre lors de leur émigration plus ou moins forcée (cabines de luxe sur le Queen Mary et le Normandie) qu’ils se posaient en victimes héroïques dans leurs suites au Plaza, leurs appartements au coin de la 5e Avenue et de la 68e Rue, leurs villégiatures au Lake Placid et leurs week-ends de golf au Westchester Country Club. À la pensée de la famille, Felix rejeta impétueusement la tête en arrière, geste dont il était coutumier. Pas moyen de discuter avec des incorrigibles.
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