Latium, tome 1

Même après sa disparition, l'Homme imposait toujours ses règles - celles qu'il avait inventées dans un passé lointain, bien avant l'âge industriel, dont il ne restait que des fables. Depuis que la Louve avait allaité les deux frères fondateurs, la civilisation avait suivi ce principe immuable de succession entre les deux seuls régimes possibles, l'Imperium et la Res Publica. Rien d'autre n'était envisageable.

Ses centres d'intérêt l'avaient toujours portée en deçà des strates fondamentales d'interrogation sur le monde. L'ingénierie formait son domaine de prédilection. Les systèmes complexes existaient localement, qu'il s'agit de biotopes ou d'échanges économiques. Elle ne s'était jamais penchée sur les implications ontologiques de ses analyses. Elle ne les comprenait pas. Et voilà qu'un... fantôme lui disait que son existence dépendait d'un fatras d'élucubrations métaphysiques. Elle soupira, garda le silence tandis qu'Oikè continuait sur sa lancée, nullement troublée par sa réaction.

Mè, phila psycha, bion athanaton speude, tan d'emprakton atlei machanan.
Ô mon âme, n'aspire pas à la vie immortelle, mais entreprends dans le champs du possible.

Et il apprit ainsi une mémorable leçon de choses, que jamais il n'oublierait, dût-il assister à l'effondrement final : survivre ne se réduisait pas à perdurer. C'était également jouir du passage du temps.

L'univers avait deux caractéristiques principales : il était souvent vide, et en général prévisible.

Encore une fois, ce sourire et ces yeux mi-clos, pleins d'ironie sous-jacente. Il s'amusait, encore et toujours, convertissait chaque chose en une plaisanterie cosmique, mettait tout à distance. La marque d'un esprit curieusement endolori ou exagérément sensible, songea Plautine.

Et même à présent, longtemps après, il ressentit une grande terreur et un puissant désir mêlés. Être débarrassé des turpitudes du réel. Voir des réalités alternatives, plus brillantes, plus vives que le triste quotidien dans lequel on était plongé, de la naissance à la mort. Une telle tentation ne pouvait laisser indemne le rapport au réel. Nul ne pouvait durablement user de ces... choses et rester sain d'esprit. L'accoutumance n'était pas un mythe. On pouvait s'oublier jusqu'à en mourir d'inanition.

Et chaque instant de veille lui rappelait que le désastre avait eu lieu, que l'univers entier ne contenait plus de but, plus de raison de perdurer dans l'existence. C'était là que se nouait l'absurde paradoxe. Là que s'achevait l'ordre et que commençait la folie.

le moi ne trouve son unité que par l’agir

Les automates, eux, avaient le mode d’existence des objets techniques, plus computation que corps, et métaphysique que vivant. Pour eux, chaque disparition faisait scandale, constituait une absurdité, une béance dans l’ordre du monde