N'hésitez pas à consulter ma critique sur mon blog pour plus complet. Merci!
L'amateur de SF peut être désarçonné à la lecture des premières pages : les scènes initiales proposent une ouverture digne de nos dramaturges du XVII° siècle. D'ailleurs, ce fut Racine (avec Phèdre) qui me vint à l'esprit avant que l'intrigue ne se développe pleinement. Puis, Othon de
Corneille s'imposa rapidement quand les jeux politiques de l'Urbs et l'ambition du proconsul éponyme s'épanouirent. Les décors grandioses, l'architecture intérieure des immenses Nefs, l'accoutrement des protagonistes (des toges), l'organisation « sociale » des Intelligences, les termes grecs et latins, tous participent à cette volonté de l'auteur de donner vie à un opéra dans l'espace. C'est assez déroutant, car mis à part le triptyque des unités théâtrales, Latium possède tous les marqueurs propres à cette littérature. Est-ce pour autant un opéra déguisé en SF ?
Les deux, mon Capitaine! Indéniablement, le roman nous embarque dans une réécriture de l'Othon de
Corneille (qui lui même mit en scène une période troublée de l'Empire romain, consécutive au règne de Néron). Ainsi, le lecteur y rencontre-t-il Plautine et Othon, alors que Vinius et Galba ne sont qu'évoqués ; nous devrions les croiser dans le second tome. Reste à savoir si
Romain Lucazeau a conçu une trame fidèle à la tragédie de l'auteur du XVII°…
Or, Latium n'a rien à renier à la SF, et cela à deux titres.
Des Nefs immenses parcourent notre bras de la Galaxie. Ce ne sont pas la quarantaine de provinces du Princeps qui servent de cadre à l'intrigue, les distances sont astronomiques (😉 ). Les personnages sont soit des noèmes plus ou moins élaborées – depuis celle qui contrôle l'armement d'un fusil à la puissante Intelligence (Plautine, Othon), soit des homme-chiens qui forment un peuple en voie d'évolution. le personnage central demeure le Grand Absent : l'Homme. Ce dernier a disparu de la surface de… notre bras de Galaxie. Les Intelligences appellent cette terrible perspective l'Hécatombe (même si sous la période hellénique, l'Hécatombe était un sacrifice de « 100 boeufs », et non pas la totalité du troupeau, bien souvent moins d'une dizaine…). Finalement
Romain Lucazeau nous offre un space opera post apocalyptique (et dystopique)!
De plus, les thèmes abordés dans Latium sont des classiques de la SF : le mort, les manipulations génétiques, l'eugénisme, l'Homme, L'intelligence, les IA, le moi… et ancre davantage ce roman dans le genre SF. La filiation avec Banks et Simmons, notamment en raison de la présence et de l'importance des IA n'est pas absconse. Même
Asimov influence le récit. le Carcan auquel sont confrontés les IA dérive intégralement des 3 lois de la Robotique de l'auteur américain.
Pour autant, la forme et l'exploration de certains concepts flirtent avec « l'essai » philosophique. J'emploie flirte volontairement. Ce sont des touches, des passages, des échanges entre protagonistes qui m'incitent à employer ce terme. Nous n'avons pas de gros pavés ou des chapitre intégraux visitant une idée ou une notion. Rien qui ne ressemble au Mythe de la Caverne de
Platon (ou à sa République), même si certaines introspections (ou rêves) sont suffisamment longs pour exploiter le moment.
« L'opposition » homme/machine est au coeur de ce roman, sans que ce soit une confrontation brutale. La machine IA qu'est Plautine s'interroge sur sa nature, celle de l'homme et sur leurs différences, avec des propos surprenants de prime abord.
« Au contraire des créatures computationnelles, les hommes n'ont pas d'âme. Lorsque leur corps meurt, ils ne peuvent changer de support.«
« Les automates, eux, avaient le mode d'existence des objets techniques, plus computation que corps, et métaphysique que vivant. Pour eux, chaque disparition faisait scandale, constituait une absurdité, une béance dans l'ordre du monde« .
Ces créatures sont « bridés » par le Carcan, par conséquent leur raison d'être se concentre sur le service de l'homme. Comme le rêve Plautine : « le moi ne trouve son unité que par l'agir. » Une action presque puérile en l'absence de leur créateur, et d'autant plus vaine si l'espoir s'éteint. Les Intelligences perdent peu à peu le fil de leur longue existence, d'où des tensions, frictions et conflits entre elles et l'émergence des fameux jeux politiques … Et des recherches désespérées pour palier à la Grande Absence.
J'adore l'ironie de la situation concernant Othon et les Intelligences : Dieu ne crée pas des dieux (Malebranche).
Tout n'est pas parfait. Les notes en bas de page sont trop nombreuses et pas forcément des plus judicieuses ( Okéanos = Océans, je pense que le lecteur lambda peut deviner tout seul!). de flamboyantes batailles spatiales… il n'y en a qu'une. L'intrigue tortueuse se développe à peine dans ce tome, alors je fonde mes espoirs sur le suivant.
Le rythme est parfois trop posé en raison de quelques longueurs ou introspections, compensées par une prose lumineuse, élégante et fort agréable. J'ai lu Latium après L'ancillaire 3, j'ai cru que je ne maîtrisais plus ma langue maternelle pendant une dizaine de pages. Ensuite, j'ai été vraiment emballée par le style, à tel point que le roman suivant m'a paru bien terne et bien pauvre après cette lecture.
Latium est à l'image d'une obsidienne, qui dévoile des nuances et une richesse insoupçonnée à mesure de notre découverte de l'objet (j'aurai pu utiliser l'image d'un oignon avec ses couches, c'est moins élégant). Il s'agit d'un space opera, dans toute son acception avec en sus des touches d'uchronie*, de dystopie et de post-apocalyptique. L'intrigue qui baigne dans le tragique, est porteuse de manoeuvres politiques dignes des époques troublées de l'Histoire et d'enjeux à l'échelle cosmique. L'ensemble est soutenu par un style fort agréable.
Qu'ajouter ? Vers l'infini et au-delà!* *me semble d'à propos.
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