Une histoire des abeilles : une histoire d'effondrement… une de plus.
Le roman des abeilles est un autre roman de l'humanité. Et si la fin des abeilles est une tragédie en soi, celle des hommes pourrait s'en suivre, comme chacun le sait depuis Einstein (quoiqu'il paraît que la fameuse prophétie qu'on lui attribue ne soit en réalité pas de lui).
Dans un style très séduisant, au travers de l'histoire profondément humaine de trois familles, sur trois continents et en trois époques différentes,
Maja Lunde retrace trois pages décisives de notre historie commune avec des petites bêtes couleur nuit et soleil ; infatigables travailleuses, dévoués soldats au service de la ruche, symboles de courage, de loyauté, et de don de soi… dont, sans vergogne, les plus grands criminels (Napoléon) mais aussi les plus belles figures de notre histoire (la résistance française) ont su faire leur emblème.
Apparues il y a 100 millions d'années, ces jolies petites créatures pourraient bien disparaître par notre faute. Si dès l'antiquité les hommes mirent les abeilles au travail pour en exploiter le miel et la cire, c'est avec la révolution industrielle et les débuts de l'agriculture intensive que se noue le drame. Au point qu'en ce début du XXIe siècle on observe des vagues de mortalités phénoménales (de 30 à 40% aux USA par exemple en 2007 comme l'évoque ici Maja Lund) voire des régions entières dont elles disparaissent complètement, comme en Chine, obligeant à mettre femmes, hommes, et enfants peut-être aussi un jour (comme l'imagine encore Maja Lund) au travail de polonisation qu'elles assuraient avant gratuitement pour notre compte.
La fin des abeilles, comme nous l'enseigne ce récit, n'est donc pas tant la disparition de l'homme que sa transformation en un esclave, enchainé aux travaux les plus pénibles pour sa survie, un être à côté duquel le chasseur cueilleur est un nabab (ce que, par ailleurs, bien des travaux d'anthropologie tendent à montrer, si l'on veut bien entendre que l'abondance dont on nous parle en ce moment n'a rien d'une panacée). La disparition annoncée des abeilles est une des plus émouvantes et rageantes illustrations de ce que le progrès, à commencer par celui de l'agriculture (son intensification en fait) est une parfaite imposture.
Voyageant du futur au passé, Maja Lund attire, avec style et émotion, notre attention sur l'importance des choix que nous devons faire au présent : ils sont absolument décisifs pour qu'un futur digne de ce nom existe. Et exigent une rupture radicale.