Une fois n'est pas coutume, les éditions La Volte éditent durant cette année 2020 un recueil de nouvelles sous un pseudonyme collectif : Adorée Floupette. Elle nous présente ses Affaires du Club de la Rue de Rome.
Principe très méta
Les Affaires du Club de la Rue de Rome sont une aubaine. Tout d'abord pour quatre auteurs (
Léo Henry,
Raphaël Eymery, luvan et
Johnny Tchekhova) qui ont l'occasion de réunir leur plume pour créer un univers commun, ensuite pour Adorée Floupette et ses disciples, car cette autrice méconnue du début du siècle dernier a, ô grand malheur, vu son oeuvre être disséminée aux quatre vents par les hasards de l'histoire, c'est
Léo Henry, grâce à bien d'autres hasards, qui a pu réunir quelques notes ça et là afin de reconstruire des récits malheureusement perdus. Enfin, c'est une aubaine pour de nombreux auteurs de la fin du XIXe siècle, car ils sont réunis en ces
pages par le truchement de quelques aventures scabreuses : le Club de la Rue de Rome ressemble à une société secrète où
Stéphane Mallarmé règne en Maître, re
crutant comme il l'entend des enquêteurs de l'étrange qui ne sont autres que des écrivains bien connus (
Oscar Wilde,
Alphonse Allais,
Octave Mirbeau,
Arthur Rimbaud et bien d'autres à découvrir). Ces enquêtes sont l'occasion de fouiller le Paris de la fin du XIXe siècle et de plonger dans les affres du symbolisme et du décadentisme, français comme anglais.
Un recueil au goût étrange
Les quatre nouvelles qui se succèdent entre janvier et août 1891 sont très cohérentes, mais optent pour des thématiques assez rudes. « L'Étrange chorée du Pierrot blême », de
Léo Henry, commence doucement en nous narrant l'enquête dans certains cabarets parisiens d'
Alphonse Allais et surtout
Jane Avril pour élucider le « mystère » d'un Pierrot qui inquiète fort le Maître du club de la rue de Rome ; l'enquête devient burlesque quand se mêlent les danses et les vapeurs d'absinthe. Puis « L'Effroyable affaire des souffreuses », de
Raphaël Eymery, nous emmène dans une face sombre de certains écrivains, notamment britanniques : pour déjouer un mystère où de jeunes fillettes souffrent le martyr, le Maître fait appel à
Oscar Wilde et à ses amis décadentistes.
Le « Coquillages et
crustacés », de luvan, aborde la fascination de sociétés secrètes pour l'obscur et le grandiloquent, ici en lien avec l'univers marin. Enfin, « Les Plaies du ciel », de
Johnny Tchekhova, misent sur les mésaventures de
Judith Gautier dans un Paris hanté par les morts grotesques et monstrueuses de poètes en détresse.
Ressenti
Clairement, nous sommes, avec ce recueil, dans un exercice de style très marqué. le symbolisme est parfois difficile à comprendre, tant il mise sur l'abscons, notamment cette obsession pour le personnage de
Stéphane Mallarmé qu'on peut à peine cerner, malgré quatre récits dans son giron. le premier récit, celui de
Léo Henry, est probablement le plus abouti ; le deuxième récit, de
Raphaël Eymery, a lui aussi des qualités littéraires certaines, par contre le propos, l'intrigue monopolisent l'attention. Ainsi, le fait de suivre des écrivains aimant s'entourer constamment de petites filles pour leur faire le thé et leur raconter des histoires trouble un brin, mais les entendre rabâcher, sans vis-à-vis, que les femmes ne sont que flétrissures passé 12 ans, bon… Voilà. Même en sachant pertinemment que les autrices et auteurs de ce recueil ne sont pas débauchés comme leurs personnages, ça fait quand même rude à lire. D'ailleurs, je crois bien que la lecture de cette deuxième nouvelle m'a tellement gêné par moments, qu'enchaîner sur les deux suivantes leur en a coûté. « Coquillages et
crustacés », de luvan, ne me laisse pas un souvenir impérissable, loin de là ; comme dans
Susto, l'autrice m'a malheureusement perdu avec son style ; ses idées ont l'air captivantes, mais sa façon de les placer me les rendent cryptiques, c'est dommage. Enfin, « Les Plaies du ciel », de
Johnny Tchekhova, semble un premier texte publié tout aussi intéressant mais qui ne gagne pas forcément à se trouver en dernier dans ce quatuor. D'une façon générale, les idées qui surnagent me transportent plutôt : les conditions de vie des classes populaires dans un Paris déshumanisé et embourgeoisé, la dureté du XIXe siècle en matière d'inégalités femmes-hommes, la corruption morale et physique de nombreux écrivains de l'époque donnant lieu à des écrits troublants (le fameux C.L.D.), etc. Mais, pour les apprécier, il est nécessaire de surpasser une écriture volontairement chargée, misant sur le
cru et le grotesque jusqu'à l'écoeurement (les vomissures de toutes les parties du corps sont légion). J'imagine très bien que ces récits montrent les abus du décadentisme (du peu que j'en connais en tout cas), mais qu'il est difficile de trouver un contrepoint à ces abus dans ces récits ! Anecdotique sûrement, mais intéressant quand même : les rares moments positifs sont ceux où c'est une protagoniste (
Judith Gautier ou
Jane Avril par exemple) qui vit l'action.
Ces écrits « retrouvés » d'Adorée Floupette pourront fasciner autant que lamenter, tant ils veulent amener le lecteur à l'hermétisme bien connu du poète mallarmé ; malheureusement, cela peut être le lecteur qui peut se sentir à hermétique à cette littérature quand c'est poussé à l'extrême, c'est dommage.