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Critique de JustAWord


Quatrième roman en France pour l'irlandais Paul Lynch avec, cette fois, une escapade hors du continent pour Au-delà de la mer.
Après Grace, formidable récit sur la « Grande Famine irlandaise » en 1845, c'est d'une autre épreuve terrible que va nous parler l'auteur, une épreuve à taille humaine inspirée d'un fait divers qui voyait à propos de deux pêcheurs emportés par la tempête en 2013 et dont l'un a échoué sur les plages de l'île Marshall l'année suivante.
Prenez vos provisions et cramponnez-vous au bastingage, nous voici au large pour la rentrée littéraire d'Albin Michel !

Deux hommes à la mer
C'est sur une journée ordinaire dans un village côtier d'Amérique du Sud que s'ouvre Au-delà de la mer alors que Bolivar, pêcheur chevronné mais égoïste et paresseux, cherche son fidèle associé, Angel.
Mais voilà qu'Angel a disparu et qu'en l'absence de son complice habituel, c'est le jeune Hector qui doit faire équipe avec Bolivar.
Inexpérimenté et timide, Hector s'embarque pour une pêche à haut risque. En effet, au large, une tempête se prépare mais Bolivar, entêté et orgueilleux, s'obstine. Bientôt ballotés par les flots et fouettés par les vents, les deux hommes luttent pour ne pas finir noyés, écopant sans fin dans ce qui semble être la fin du monde. Perdu en plein milieu de l'océan, Hector et Bolivar vont devoir affronté la solitude, la faim, la soif et…eux-mêmes !
Une fois l'introduction passée et les premiers coups de serpes sur le personnage rude de Bolivar, Paul Lynch emmène son lecteur pour une confrontation à la Nature et, plus particulièrement, face à la colère de l'océan. Au-delà de la mer s'intéresse à l'homme confronté aux forces naturelles mais, surtout, à l'immensité et au vide. Bolivar et Hector comprennent rapidement que, perdus dans ce désert bleu qui n'en finit pas, leur existence même ne signifie plus rien, qu'ils ne sont eux-mêmes plus rien.
Cette révélation de l'insignifiance humaine va de pair avec un aspect survivaliste où chacun des deux personnages possède un approche différente de la situation. D'un côté, le vieux Bolivar pour qui le sauvetage ne fait aucune doute, qui pense pratique, qui s'occupe, pêche, se construit une routine face au néant. de l'autre, Hector, beaucoup plus faible psychologiquement, abattu (ou lucide ?) sur leur condition désespérée et qui se laisse lentement glisser vers le désespoir et la mort.
Deux approches, deux humanités, deux destins différents.

Vivre pour exister
Au-delà de la mer n'est cependant pas là pour nous expliquer par le menu la façon dont vont pouvoir survivre (ou pas) les deux pêcheurs. Paul Lynch n'écrit pas un roman de survie mais un roman sur la rédemption et sur l'homme mis face à lui-même. Coupés du monde, Hector et Bolivar n'ont plus grand chose d'autre à faire que de penser à leurs vies respectives et à leurs propres péchés. Il est d'ailleurs intéressant de voir que Paul Lynch utilise volontiers « pêcheur » dans ses deux sens du terme : le sens pratique et le sens spirituel/religieux. La survie des deux hommes prend rapidement une envergure mystique et philosophique, replongeant l'un dans sa jalousie exacerbée et l'autre dans sa lâcheté. Les deux sont rongés par des femmes, qu'ils les aient quitté de gré ou de force. L'auteur irlandais s'interroge et se questionne, sonde les âmes et les histoires, lui dont la plume offre encore une fois nombre d'envolées poétiques et une implacable précision pour saisir les turpitudes de l'esprit humain.
Le roman, pourtant, semble bien plus âpre que Grace, la faute à une unité de lieu et à un temps qui s'effiloche, devenant même une donnée secondaire puisque le lecteur ne sait rapidement plus combien de jours se sont écoulés depuis la tempête. Ce parti-pris narratif demande donc un surplus de concentration au lecteur et d'accepter de se perdre dans la psyché de deux hommes en pleine introspection, deux hommes qui frôlent dangereusement la folie et qui se soumettent au jugement du lecteur comme à celui de Dieu.

Avoir la foi
La foi occupe une place à part dans Au-delà de la mer. On sent le récit marqué par la chrétienté et le sens biblique, Hector et Bolivar se révélant pêcheurs et l'océan une sorte de purgatoire qui leur permet d'affirmer le meilleur et le pire d'eux-mêmes. Lentement, l'histoire dérive vers la noirceur et le désespoir et la foi des deux hommes est testée, une foi qui prend des formes différentes, littérale pour Hector qui prie la Vierge et le Seigneur, plus « réaliste » pour Bolivar, totalement convaincu qu'une équipe de sauvetage est en route, si convaincu qu'il en prépare Noël avec gaieté. Au fur et à mesure de cette longue épreuve, des éléments quasi-fantastiques viennent s'ajouter au chemin de croix des survivants et cet océan devient la métaphore d'une rédemption, celle de Bolivar, hanté par sa fille et son ex-femme, hanté par ce qu'il a vu dans les montagnes et par les péchés de sa vie d'antan. L'expiation flirte avec la mort, les regrets avec la douleur, le sel marin avec les hallucinations. Tout se brouille et se mêle, confrontant l'homme à sa véritable nature, faillible et insignifiante au milieu de l'immensité et de la Toute Puissance du Dieu Nature. C'est l'épreuve de la solitude qui finit par révéler l'âme des uns et des autres, c'est aussi, en filigrane, la pollution de notre planète par ces bouts de plastiques et déchets que recueillent nos naufragés sur l'océan et dans l'estomac des poissons et oiseaux qu'ils piègent. C'est enfin la cruauté du temps qui passe, de l'oubli par les siens et de l'infini de l'esprit humain capable de se tourmenter au moins autant qu'il se réconforte même en l'absence d'une seule lueur d'espoir à l'horizon.

Plus rude à aborder que Grace, Au-delà de la mer finit par emporter l'adhésion grâce à la plume toujours formidable de Paul Lynch et à son tableau sans concession de l'homme face à lui-même. Métaphore de la rédemption et de l'expiation, renaissance et mort, beauté et noirceur, voici donc les mots qui résonnent sur l'océan tandis que Bolivar et Hector s'accrochent désespérément à la vie. Une expérience fascinante.
Lien : https://justaword.fr/au-del%..
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