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Critique de HundredDreams


« Qui sait si la vie n'est pas la mort,
et si mourir n'est pas vivre ? »
Euripide

Je referme ce roman, émue par cette histoire, à la fois tragique, sensible et cruelle.
Inspiré d'une histoire vraie, ce récit est en apparence simple, mais il est porté par une écriture belle, dramatique, poétique et par une tension qui s'impose progressivement.
Le lecteur a la sensation d'être précipité dans un tourbillon émotionnel.

*
Malgré l'annonce d'une très forte tempête, Bolivar, un petit pêcheur sud-américain, persuade Hector, un jeune adolescent inexpérimenté de prendre la mer avec lui.

« Un jour tu devrais m'épouser, Rosa. D'accord, je ne suis qu'un pêcheur, mais je finirai de rembourser le crédit pour ta télé. Et peut-être même que je t'achèterai une jeep. Je te paierai des meubles pour ranger tes affaires. Et tu auras tous les citrons verts que tu voudras. »

*
Tout d'abord, c'est le calme.
La pêche s'annonce excellente.
Et puis le vent se lève sans crier gare, violent, impétueux, qui déchire le silence. L'océan se transforme alors en un monstre géant, ouvrant sa gueule vorace pour engloutir la frêle embarcation.

« Et alors la mer devient ciel. Il plonge la tête entre ses jambes tandis que le bateau atteint le sommet de la vague et qu'un monstrueux tonnerre de glace leur tombe dessus. »

« Les sens à l'affût du moindre frémissement à bord. Il sait qu'une embarcation plus grande se serait déjà disloquée. le panga, en revanche, franchit tel un insecte la montagne de chaque vague. »

Ainsi, la tempête les surprend, les balaie, et les rejette loin de la côte.
Vivants après cette terrible épreuve, mais perdus dans l'immensité de l'océan Pacifique, ils ont peu d'espoir d'être secourus.

« le temps n'est plus le temps, il reste immobile au lieu de s'écouler. »

La vie prend ainsi un sens différent lorsque l'on est à la merci des forces de la nature. Au fil des jours, chacun doit se battre et repousser ses limites physiques et mentales pour rester en vie, ne pas renoncer. Les corps sont sollicités, soumis à la faim, à la soif, au manque de sommeil.

« Il pense aux diverses formes sous lesquelles pourra se présenter la mort. »

Mais comment survivre au manque de nourriture, à la réserve d'eau qui s'épuise ? Comment endurer la chaleur implacable, le froid mordant, les pluies torrentielles, la fureur de l'océan ? Comment surmonter l'épuisement, le découragement, la peur, l'attente interminable, la solitude ?

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Le ton est juste, saisissant. L'écriture est belle, soignée.
Sans voyeurisme, ni pathos, Paul Lynch restitue avec beaucoup de justesse et de finesse, la psychologie de ses personnages. Son analyse est vraiment remarquable, l'auteur s'attachant à décrire au plus près, leurs sentiments et leurs émotions. Et c'est ce qui donne toute sa force à ce récit parfaitement maîtrisé.

La nature hostile est initiatique, elle confronte les deux pêcheurs à de terribles tempêtes intérieures et les dénudent peu à peu, sans faux-semblant, elle révèle leur vraie nature.

« Plonger au creux des vagues, plonger aux tréfonds de la peur insondable et aveugle qui repose dans le coeur de chaque homme. »

Par flashbacks, Paul Lynch remonte dans leurs souvenirs, leurs erreurs passées et l'on comprend mieux leurs remords et leur envie d'une seconde chance.

« Ce ne sont que des petites choses, dont je suis coupable, mais elles s'ajoutent les unes aux autres. Et moi je suis la somme de tout ça… Et ce sentiment est plus fort que toutes mes souffrances physiques… Et je passe mon temps à me souvenir de tout, je me reporte à chacun de mes actes. »

Se dessine aussi, doucement, leur caractère. L'auteur sait parfaitement suggérer leurs peurs, leur égoïsme, leur colère, leur solitude, le désespoir qui monte, la folie jamais très loin.

« Son esprit lui présente une image – le garçon se laissant glisser dans l'eau qui l'enveloppe comme une sépulture. »

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L'océan n'est pas seulement une toile de fond, elle interfère dans leur vie et leur survie. L'auteur n'a pas son pareil pour décrire sa beauté, sa placidité, sa violence aussi. Ces passages sont magnifiques et montrent les différents visages de l'océan, du ciel, les jeux de lumière qui créent de multiples ambiances.

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J'ai apprécié également le message écologique contenu en arrière-plan, l'océan « poubelle » charriant des tonnes de déchets plastiques dont les résidus se retrouvent dans les viscères des oiseaux.

« Démêlant sa provision de sacs en plastique, il entreprend de les trier. Il y a là des teintes et des inscriptions de toutes sortes. Il examine les logos délavés, les langues qui lui sont inconnues. Des mots brouillés, des idéogrammes. À observer ces sacs, il se fait brièvement l'impression d'un homme vivant la fin des temps humains, s'interrogeant sur les vestiges de civilisations étrangères et englouties, dont la mer a patiemment réduit à néant toutes les traces écrites. »

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Pour conclure, Paul Lynch a écrit un magnifique roman d'atmosphère, à la fois effrayant, envoûtant et incroyablement émouvant. « Au-delà de la mer » entraîne le lecteur dans un huis-clos marin, tragique et captivant dans lequel l'homme est autant face à la mer qu'à lui-même.
Les questions de survie, de souffrance, de courage, de force, d'entraide, d'espoir, de renoncement sont abordées avec beaucoup de finesse et de sensibilité.

J'ai aimé plonger dans l'intimité de ces deux hommes, j'ai aimé ce récit à la beauté tragique et déroutante. Une très belle lecture.
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