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Critique de jovidalens


Comment en parler ? C'est toujours la question qui "flotte" quand le livre refermé, il faut trouver un peu de recul, de sérénité après une immersion dans une oeuvre qui a ému, arriver à ordonner touts les feux d'artifices, les connexions avec d'autres oeuvres qui ont affleurées, en tournant les pages...
Lu d'une traite, et, déjà, repris plusieurs fois.

Plongé dans un monde cauchemardesque, basculement cul par-dessus tête dans un monde dictatorial, sans issue, avec la peur la plus froide qui immerge dans ses eaux marécageuses et boueuses.

En premier visuel, le livre est beau, bien équilibré, format à l'italienne.
Six chapitres, en double-pages légères, aérées mettant en valeur et le texte et les dessins, scandant en douceur et fermeté le récit : une pleine page pour l'illustration, l'autre pour le texte et quelques graphismes.

Quant au texte, ce sont des sonnets de Pedro Mairal, toujours présentés sur le tiers gauche de la page, avec immédiatement en dessous, en italiques, le texte original. C'est une colonne, une colonne qui assoit le récit dans sa verticalité. Inconsciemment, le lecteur s'y appuie, y reprend souffle. Ou l'espace restant sur la page du texte est vide, ou, un ou deux petits dessins soulignent le récit. Souvent l'espace est libre et donne encore plus d'éclat et de force au dessin de la contre-page ; là, pas de marge, le dessin occupe tout l'espace et nous fait plonger dans son rêve cauchemardesque (celui de l'auteur et du dessinateur).

Je ne connais pas l'espagnol, mais j'ai apprécié la traduction de Thomas Dassance qui a su transmettre et le lyrisme et la cruauté du récit.

Pedro Mairal construit un récit sur une réalité noire de son pays : l'Argentine de la dictature militaire et de la famine et de la misère de la fin du vingtième siècle. Y a-t-il un fond de vérité ? Je pense que oui, sur la façon brutale de recruter des marins pour la chasse au grand Surubi .

C'est un récit mythique, et somptueux, comme « le vieil Homme et la mer », avec ce grand plus, de le situer à notre époque.
Etrangement, pour moi, il résonne avec la chanson de Charles Trenet « Je chante », comme le double enfantin et charmant de cette odyssée sans retour.

Quand Pedro Mairal écrit :
« Personne ne te sortirait de ce guêpier,
Y'avait pas de message ni d'ADSL,
Ni de demande à l'aide exceptionnelle,
Tu étais un entre tous, tu étais un poulet. »,
ce sont aussi tous ces otages raptés par quelques groupes armés, ceux qui font la une de nos journaux et dont il est difficile d'entrevoir l'isolement deshumanisant.

Bien sur, on pense à Hemingway, mais dans le « Vieil Homme et la mer » c'est un combat courageux et plein d'honneur tant pour la bête que pour l'homme. Ici, il n'y a pas d'honneur. Ce n'est même pas une lutte pour la survie. Ils sont enrôlés, entassés, humiliés, réduits à l'état de bêtes sauvages, et peut leur chaud qu'ils pêchent pour nourrir leurs concitoyens, les sauver de la famine. Celui-là qui s'en tirera, coupable et humilié, n'est pas mieux que les autres, aussi avili que ces compagnons, que ses gardes. Juste motivé par l'envie de sauver sa peau, ou plutôt d'éviter un enfermement encore pire que celui qu'il vit.

La beauté du texte est équilibré par la beauté du graphisme. Jorge Gonzales utilise des graffitis, ceux que l'on trouve maladroitement gribouillés sur un vieux mur couvert de salpetre, ceux d'une cellule, les tôles rouillées d'une épave, ou les parois métalliques d'un entrepôt plus ou moins désaffecté. Gribouillis qui évoquent la solitude et la douleur d'hommes utilisés, épuisés, désespérés.
Sa palette ce sont des bruns de rouille, des rouges de boue et du gris anthracite comme celui de l'acier. La majorité de l'action se passe sur un fleuve mais il n'y a pas de bleu et le vert clair apparaitra à la fin du récit. Et pas de ciel bleu ! Obscur est le jour.
Sur ces fond sombres se détachent des silhouettes d'hommes, presque toujours éclairés par de la lumière, qui réchauffe et humanise même les trognes des tortionnaires.
Jorge Gonzales nous plonge (presque au sens premier du terme) dans un monde étouffant et cauchemardesque, une ambiance misérable d'où va émerger une lumière. Celle apporter par la confiance en un autre, à un animal, à la nature qui va, au sortir de l'eau marécageuse va le revêtir de blanc " Et avec l'argile je me suis retrouvé tout blanc". Mais cette fausse blancheur ne trompera pas l'enfant pas encore femme, qui lui portera secour et lui fera croire à d'autres possibles.

Comment se fait-il qu'avec un tel récit, de tels graphismes, je garde un souvenir lumineux de cet ouvrage ? Et bien, tout de suite, je n'ai pas de réponse. C'est un peu …comme une magie, un délicieux envoutement.

Cet ouvrage est un véritable cadeau, de la Masse Critique de Babelio et de l'éditeur ; avec un merci tout particulier et joyeux à Nicolas pour la petite carte glissée dans le livre et m'en souhaitant bonne lecture. Ce fut une merveilleuse lecture.
Et puis, avec un tel nom d'édition : « Les Rêveurs » qui aurait pû mieux publier une si belle BD ?
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