- Auriez-vous peur, apprenti ?
- Bien sûr qu'il a peur, répondit Caer à la place du garçon. Et heureusement pour lui ! La peur est un sentiment salutaire. Elle vous évitera des actes inconsidérés.
Jorgan parcourut la foule du regard.
- Le roi ne vous accompagne pas ?
Asdile eut un rire grinçant.
- Il n'y a pas de roi. Vous devrez traiter avec moi et les miens. Cela vous pose-t-il un problème, roi Jorgan ?
- Ma foi... non, répondit-il après une courte hésitation. Suivez-moi dans ma tente, nous y serons plus à l'aise pour discuter.
- Pourquoi ne pas débattre en public ? Faire tous connaissance ? Avez-vous des choses à cacher ? Il semble que nos sociétés diffèrent dans leur fonctionnement.
- C'est possible, reine Asdile.
- Tu es sûre de toi, Ascane ? lui demanda le licornier Ulb. Ta licorne ne pourrait pas... inventer ces choses ?
- Inventer ? s'écria la jeune fille.
- Oui, imaginer une raison pour te revoir par exemple ?
- Bien sûr que non ! Météor est une licorne. Il n'invente pas. Son esprit ne fonctionne pas comme le nôtre. Il ne connaît pas le mensonge ou la ruse.
- Vous avez notre parole que nous ne dirons rien, intervint Séber.
- Ah, la parole, estranger, la parole est une étrange chose. Les promesses n'engagnent que ceux qui les escoutent. Mes ancêtres ont appris à ne point accroire la parole des hommes.
Ici, nous trouvâmes refuge, loin des turpitudes de votre monde. Et votre discours nous prouve à quel point nous sommes dans le vrai. Depuis que nous nous enfuîmes, les hommes n'ont pas changé d'un pouce. Ils ne songent qu'à infliger douleur, peine, misère, humiliation à leur prochain.
L'union confère aux unis force et dons particuliers, résultant du mélange de leurs deux natures. L'un des unis ne peut s'imposer à l'autre. Ils doivent atteindre un point d'équilibre qui les satisfasse tous les deux. C'est pourquoi chaque union est unique et différente d'une autre en bien des points.
– Vous êtes fous ? lui lança Séber. Vous voulez nous faire tuer ?
– Et vous ? cracha Caer. Souhaitez-vous la fin des licornes sauvages ? La guerre avec le Kaltesland ? Quel autre choix avons-nous ? Que savez-vous de l’Enclave, hormis ce qu’en disent les contes pour faire peur aux enfants ? Qui y a pénétré depuis des générations ? A-t-on vu la moindre âme en sortir ? Quel danger réel, en dehors de l’altitude et du froid, y connaissez-vous ? Je vous écoute, maître licornier…
Séber restait silencieux. Il écarta les bras en signe d’impuissance.
– Je ne sais pas Caer, mais si ce lieu est maudit depuis des siècles, il y a une raison.
– Alors nous la découvrirons sur place et il sera bien temps d’aviser.
– Nous ? répéta Séber.
– Nous ! confirma Moran. Je préfère tenter ma chance dans l’Enclave plutôt que de laisser ces vermines filer.
– Nous ! l’appuya Ascane. Météor et moi ferons tout pour délivrer les siens.
Séber serra les mâchoires, prêt à laisser éclater sa rage. Un de ses licorniers et son apprentie étaient prêts à lui désobéir et à entreprendre avec le mage une aventure qui ne pourrait se terminer que tragiquement. Il les dévisagea l’un après l’autre, sans aménité, secouant la tête. Il s’attarda sur Ascane qui soutint fièrement son regard.
– Vous, une fille, dans ces lieux où Dieu seul sait quels périls nous guettent ? À quoi nous servirez-vous s’il faut nous battre ?
– Je ne suis pas une fille, maître Séber. Depuis des mois, je suis votre apprentie et comme telle, jamais vous n’avez eu à vous plaindre de moi, objecta Ascane sans ciller.
Marchez, licornes, marchez.
Marchez, sans penser.
A quoi vous servirait-il de penser ?
Je suis le seul ici à penser.
N'est-il pas plus simple de se laisser guider ?
Marchez. Obéissez.