La bête que nous sommes vit peu, le comédien que nous devenons dans la farce sociale joue faux, ce duo vieillit, souffre, meurt et sombre dans l’oubli. Un autre être tente de naître en nous, menacé à tout moment par le duo, persiflé par les gens raisonnables, nié par le bon sens. Et pourtant la présence de cet autre est ressentie par nous tous, avec espoir, avec angoisse, avec incrédulité. La plupart des humains réussissent à le faire taire, à s’interdire de penser à la possibilité de cette Troisième naissance. Dans les rares moments de sincérité parfaite, nous devinons tous que c’est cet autre qui survivra en nous après que la bête et le comédien auront disparu. Mais les humains ne savent pas nommer ce troisième moi ni imaginer sa vie après notre vie.
Pour commencer, il faut cesser d’alimenter la machine avec nos vies, nos corps, nos idées. La première révolte véritable consiste à s’absenter, à s’écarter, à se débrancher car, vous le savez, même les plus contestataires parmi vous sont happés dans les rouages de la machine .
Ma vie ratée, mutilée dès l’enfance, mal dirigée par les aiguillages rouillés du destin, me sembla dotée d’un sens qu’aucun de ces couples endimanchés ne connaissait
À ce moment-là, constatant que, à la fois ébahi et incrédule, je l’écoutais, il a transmis à sa voix une intonation plus personnelle : « Et encore, vous avez ici un échantillon haut de gamme, oui, des privilégiés qui veillent sur notre conscience. Ils écrivent, ils éditent. La sous-littérature mise à part, il reste deux sortes d’ouvrage : des livres-collabos qui flattent leur mode de vie petit-bourgeois et des livres soi-disant rebelles qui étalent complaisamment les miasmes de ce petit monde. Et le livre qui pourrait nous sauver ? Qui nous révélerait notre âme éternelle ? Qui me rendrait l’amour, à moi, tel que je suis ? »
Ma vie cachée était faite de ces instants où je sentais l'essentiel se révéler : un monde différent derrière la machine-outil de la société. Le reste de ma jeunesse n'était que le fonctionnement d'un rouage. Ces fonctions sont connues, je n'étais ni le meilleur exécutant, ni le pire. Je me conformais, me pliais, justement, m'exécutais. Le langage trahit les vérités dérangeantes. S'exécuter, s'intégrer à un ordre de choses mais aussi, au fond, se tuer. Tuer celui qui, en vous, voudrait s'arracher à la mécanique.
Je refusais cette mort qui donne le droit de vivre parmi les humains.
les diggers considèrent l’autisme non pas comme une maladie mentale mais comme une exceptionnelle aptitude à appréhender les manifestations de la Troisième naissance. Et aussi comme une très grande souffrance à l’impossibilité de les exprimer. D’où le refus de communiquer. Il faudrait donc pouvoir nommer ce qui fait si mal à ses enfants. Pour guérir le monde …
Ce livre résume la pensée profonde de Makine le plaçant de fait au coeur de son immense oeuvre. Il nous dit que la poésie est capable d'émanciper l'homme à la fois de ses contraintes physiques mais aussi de son statut social oppressant et vain. Il nous invite à rechercher inlassablement la vision poétique du monde seule apte à nous offrir des instants d'éternité, et à nous éviter les médiocrité et autres mesquineries du quotidien.
Chose incroyable : ce livre est devenu introuvable car il n'est plus édité. Chers éditeurs : qu'attendez-vous ?