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Critique de Floyd2408


Curzio Malaparte erre dans l'esprit d'Elsa Morante, comme une ombre lorsque Naples respire La Peau, puis ses amours avec ses conquêtes comme Virginia Agnelli, Moravia lors d'une interview y disait « Malaparte n'était pas spirituel, mais brillant, ce n'était pas un écrivain… Tout au plus un homme de lettres. »

J'aborde Malaparte, comme une nouvelle lecture venant, celle d'un roman lu récemment, pas encore publié, une biographie comme une respiration intime, un dernier souffle d'Elsa Morante, une auteure italienne, à la vie passionnée, traversant celle de Malaparte. Alors comme ma curiosité est toujours comme le tranchant d'une lame aiguisée, fine et tranchante, je me suis précipitée vers la librairie et le quatrième de couverture du roman le soleil est aveugle me plut toute suite comme un appel lointain, une envie irrésistible de me plonger dans cette prose torturée, une aimantation instinctive vers ce récit issu de carnet, publié comme correspondant de guerre, assujetti à la censure.

Malaparte lors de la grande guerre, franchit les Alpes pour s'engager dans l'armée française à l'âge de 16 ans et lorsque Mussolini déclare la guerre à la France, étant reporteur de guerre, Malaparte doit attaquer la France à son grand d'âme, comme un remords venant dans sa prose éclairer cette narration baroque et lyrique. Dans un préambule, Malaparte comme une confession, un remords d'une plaie ouverte, la censure ayant privé le lecteur de trois chapitres trop compatissants vis-à-vis des Français, ce malheur, perdu à jamais, dans les bureaux de censure, ayant envoyé ses écrits originaux sans en avoir des copies, ce roman semble être amputé à jamais de ces trois chapitres pouvant éclairer la pensée de Malaparte. Il y a dans cette déclaration préliminaire et nécessaire, en guise de préambule, une vérité aiguisée et certaine de Malaparte, sa vision d'une guerre inutile, des soldats alpins comme des marmottes et autres folies imagées tel un Boris Vian.

Le titre sonne une litanie sourde d'une nature esclave et spectatrice de la folie humaine, de cette guerre…..

« Une guerre sans espoir, sous le Soleil, indifférent, impassible, aveugle aux souffrances humaines. Que le Soleil éclaire les actions, des hommes : on ne peut rien lui demander d'autre. On ne peut pas demander au Soleil de souffrir avec nous, de s'émouvoir de nos souffrances. On ne peut pas lui demander d'être bon, juste, pitoyable. le Soleil est aveugle. Finalement, nous aussi, pour la première fois peut-être dans notre très vieille histoire, nous sommes sans secours, sans prétextes, sans justification, sous l'oeil aveugle du Destin, sous cet oeil qui nous regarde fixement sans nous voir et resplendit, impassible, hors et au-dedans de nous, à pic sur nos têtes, à pic au fond de notre conscience. Et il est inutile d'invoquer le Christ contre cet oeil blanc, aveugle, sans paupière et sans cils, immobile dans le ciel désert de notre conscience. »

La narration est une prose poétique, entre coupé de description, de dialogue, de phrases entre parenthèses comme une spontanéité où l'homme de lettres tisse sa toile piégeant l'instant pour nous l'offrir, ces mots transpercent une vérité sourde comme un roman fantasque, sortie tout droit des entrailles de l'imaginaire de Malaparte, mais à travers ses lignes noircissant des feuillets d'un reporteur italien au coeur fasciste, antifasciste, Malaparte cite des vrais noms, des soldats connus sur le front escarpé des Alpes, des hommes pour la plupart morts sur le front d'une guerre sans relâche, une tuerie humaine à la bestialité humaine, une humanité humaine.
La description lyrique de la nuit prenante possession de la nature, cette nuit est vivante, telle une bête, pour les alpins « une grande sale vilaine bête », le tableau de la nuit est une peinture Baudelairienne, la nuit devient viscère à l'intérieur de la tente du capitaine, tout devient terreur, la peur prend sa place dans la nuit, le corps devient en alerte, les sens en éveil, la bête est aux aguets, la nuit est plus effrayante que la guerre déclarée.

Le capitaine, traversant ce périple, rencontre, au fil de sa marche vers sa mission, les alpins, se prend d'amitié pour l'un des leurs, Calusia, un jeune d'homme simple, paysan, amoureux de ses vaches, avec autour du cou une cloche de ces ruminants, aimant boire leur lait à leur pis. Au-delà de cette rencontre, le capitaine erre au fil de sa mission de soldats en soldats, ayant chacun leur caractéristique, décrit avec précision par Malaparte, comme celui au visage moisi, ayant la couleur de la mort, celle de la guerre s'invitant dans cette nature alpestre magnifique aux teintes prédominantes de vert. Ces couleurs teintent la vision de Malaparte, comme la fille aux cheveux rouges de l'auberge, et ce vert présent tout le temps comme filtre, noyant cette nature bientôt défigurée par la guerre.

Les mulets ont une part importante, dans cette aventure, comme si par leur labeur, ils devenaient au détriment de l'homme, les plus à plaindre, comme folie naturelle, à balader les hommes vers leurs morts, dans cette guerre virtuelle, au début le capitaine s'exclame « On n'a même pas l'impression d'être en guerre », de cette ironie, la guerre est déclarée depuis trois jours, mais encore rien, silence, « pas un coup de canon, pas une fusillade. », et le panneau incroyable « Interdit de tirer près de la maison du PC », une pirouette à cette guerre, comme un mirage.

L'itinéraire à travers ces montagnes, au fil des sentiers, ces noms, refrain de notre auteur, à la mélopée d'allégresse, à la tranquillité de la nature, une paix intérieure, est un trompe-l'oeil, « une cruauté vierge », un bel oxymore. Malaparte continue ce sarcasme avec la farandole des marmottes qui sera l'événement le plus marquant de cette journée de la première attaque française, sur le col de la Seigne le 21 juin 1940.

L'animalité de la guerre prend les armes comme les obus pour des chevaux, les bombes pour des oies grasses, les mitrailleuses pour des poules, Malaparte dénature cette guerre, la rend animale.

Même la mort semble être un adage humain pour les rendre méchants, lâches et égoïstes, avoir la conscience de cette mort que les bêtes ont l'instinct de conversation, Malaparte explique cette folie humaine par la conscience de la mort, mais le capitaine devient une bête, il pense ne plus être un homme, mais une « bête, un chien, un mulet », dans sa conversation avec le curé,

« Ça m'est complétement égal que je meure ou que je vive »

De cette folie, Malaparte rend le capitaine intouchable, il devient un animal sans but de survie, mais touché par la mort de ce jeune alpin, se rendant coupable de cette mort, il erre comme une âme en peine, devient le fantôme de lui-même, comme un animal qu'il est déjà.

Un court roman fort et touchant, une écriture simple, des images étonnantes pour une prose décrivant une guerre inutile et idiote, fac à une France qu'il aime, Malaparte a su trouver la parade à cette censure, tel un acrobate jonglant sur un fil avec ses mots et cette liberté prosaïque incontrôlable, poétique, touchante…

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