Premier tome d'une série mettant en scène Perro Lascano, policier argentin. Dis ainsi, cela paraît épouvantablement simple : « tiens, un polar argentin ! » Sauf que je connaissais
Ernesto Mallo pour avoir préfacé «
Buenos aires noir », un recueil de nouvelles qui donne une vision très sombre de l'Argentine. Quand je lis ce roman, je me dis que l'auteur, en préfaçant ce recueil, est resté fidèle à sa ligne de conduite – ou d'écriture, comme vous voudrez.
Nous sommes en 1979, et les choses sont en train de bouger. Non, elles ne bougent pas timidement, l'on est plutôt en pleine guérilla (c'est du moins ce que disent les autorités pas du tout corrompues, n'est-ce pas ?), arrestation et exécution arbitraire se succèdent, et l'on sait, l'on se tait. Ainsi, quand deux jeunes adultes sont retrouvés, le crâne explosé, Lascano sait bien qu'enquêter est inutile puisque c'est l'armée qui est derrière leur mort. Par contre, le troisième corps ne correspond pas à ce mode d'exécution donc il devrait y avoir une enquête en bonne et due forme. Devrait, parce que cela n'intéresse personne, sauf Lascano et Fuseli, deux hommes intègres dans un système judiciaire qui ne l'est pas vraiment. Deux hommes qui n'ont rien ou plus rien à perdre. Ce n'est pas que, selon la formule consacrée, Lascano peine à se remettre de la mort de sa femme, non, c'est qu'il vit complètement avec sa femme, morte, son souvenir, son fantôme, tout ce que vous voudrez, jusqu'à ce qu'il fasse une rencontre qui l'entraîne toujours plus loin dans la voie de l'intégrité, même si cela semble incroyable, dans cette Argentine des années 70 finissantes.
Est-ce un trait caractéristique de la littérature argentine ou un fait de traduction ? Les dialogues nous sont livrés de manière compacte, sans guillemets, sans tirets, sans que l'on sache vraiment quand l'on change d'interlocuteurs, ce qui demande une vraie gymnastique intellectuelle pour les suivre de bout en bout.
Lascano d'un côté, major Giribaldi de l'autre – un homme prêt à tout, sûr de ses choix, âpre aux gains et à la répression, n'ayant guère qu'un seul moyen pour parvenir à ses fins. Son seul point faible, celui sur lequel il ne peut pas utiliser ses méthodes préférées, c'est sa femme, qu'il ne comprend pas. Grâce à elle, la religion entre dans ce roman, la religion, les prêtres, et les accommodements qui permettent de laisser faire, laisser tuer en toute impunité : un bel exercice de casuistique.
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