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Critique de gabb


gabb
23 septembre 2021
Nous sommes le 6 août, quelque part sur l'A7.
Bitume, canicule, chassé-croisé.
Des tonnes de particules fines, des milliers de bolides chromés et parmi eux Roland, Claire, Peter, Zoé, quelques autres... Une douzaine d'âmes piochées au hasard dans la foule anonyme des automobilistes, douze usagers de la route comme autant de cobayes pour une expérience romanesque épatante.
Dans chaque véhicule un homme, une femme, un enfant, et dans chaque boite cranienne des pensées, des souvenirs, des rêves, des idées noires...
Qui sont-ils, où vont-ils, que faut-il voir dans les trajectoires enchevêtrées de ces fourmis pressées, qui n'ont a priori pas grand chose en commun ?
Faut-il d'ailleurs y voir autre chose qu'un bête mouvement brownien, vain, désordonné, une fuite en avant sans véritable finalité ?

Pour répondre à ce genre de questions tordues, on peut compter Marcus Malte !
Très imaginatif et un brin facétieux, il joue à merveille les bisons futés et se penche pour nous, depuis son poste d'observateur omnisicient, sur cette poignée de voyageurs et sur leurs parcours plus ou moins tortueux, qu'il décrypte sur un ton à la fois cynique et désabusé, émaillé de calembours et de traits d'esprit souvent percutants.
À mesure que les kilomètres défilent, l'auteur alterne les histoires individuelles, fouille dans le passé de ses personnages et saute allégrement de l'un à l'autre, avec toujours en fond sonore les pubs stupides, les slogans criards et les mauvaises nouvelles du monde que l'intarissable bande FM diffuse en continu dans chaque habitacle, sur chaque aire de repos.
C'est vif, original, intelligent et teinté d'humour noir : un régal !

Après l'inoubliable rencontre avec "Le garçon" (l'unique Marcus Malte trônant jusqu'alors dans ma bibliothèque), j'avais peur que ce nouveau roman radicalement différent ne souffre un peu de la comparaison. Fort heureusement il n'en fut rien, et je ne me suis pas ennuyé une seconde !
Sans trop savoir où l'auteur nous conduit, on est rapidement conquis par cette galerie de personnages en mouvement et finement croqués, on se laisse facilement embarquer, on avance ("on avance, on avance, c'est une évidence", comme chante le poète) avec eux, les mains bien cramponées à 10h10, l'oeil rivé sur l'asphalte.
Bien sûr on attend une explication, une révélation qui tarde à venir, un alignement des planètes. On se doute bien que "tout est lié [...], les événements, les êtres, les trajectoires, tout s'imbrique et se confond et va-t-en démêler tout ça". Alors très vite on se prend au jeu, on cherche à assembler les pièces du puzzle, on traque les indices qui nous permettraient de relier les destins de ces individus d'horizons si divers, on guette les coups du sort et les éventuelles collisions...
Un accident est si vite arrivé !

Avec ce roman étonnant, inventif et proétiforme, Marcus Malte dénonce en outre avec habileté quelques travers de notre époque (individualisme, course au profit, duplicité dans les rapports humains).
Par la même occasion il nous met en garde, non sans humour, contre les maux de notre société malade (crises économiques, inégalités, instabilité du marché l'emploi, perte de repères, addictions...) et les ornières qui jalonnent les autoroutes de nos existences.

Comme Roland, Claire, Peter et les autres, ne sommes-nous pas tous embarqués dans une même course contre la montre ? Chacun à son rythme, chacun sur sa voie mais tous dans le même sens, marche arrière interdite. Quelques coups d'oeil quand même dans les rétroviseurs, des manoeuvres hasardeuses, des échangeurs manqués, certains convoiturages heureux, et la nécessité toujours d'aller un peu plus loin...
Jusqu'au prochain virage, jusqu'à la prochaine aire.
En avant toute !
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