Sur mon oreiller, je commence à trouver des cheveux. puis des mèches de cheveux. [... ] Perdre mon panache roux est un symbole non négligeable. La partie émergée de l'iceberg de ma personnalité. Cette tonte stigmatise de façon visible mon statut de malade.
Les infirmières portent des armoires à glace émotionnelles sur leur dos en souriant. Ce sont les grandes déménageuses de l'espoir. A elles la lourde tâche de diffuser quelques brides de lumière aux quatre coins de l'enfer, là où les anges perdus font du stop à main nue. Comme avec les médicaments, elles doivent en ajuster constamment le dosage. Elles sont cigognes-mamans-nymphes-filles. Elles gagnent à être (re)connues.
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La légèreté. Ah, l'importance de la connerie douce !
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Une transplantation de moelle osseuse ressemble un peu à du jardinage de science-fiction.
Pour tenir compagnie à mes insomnies j’ai adopté un hérisson. J’en aurais voulu un vrai, mais à cause des puces, il est en plastique. Je le pose sur mon épaule et on se promène dans mon trente-cinq mètres carrés. On regarde les voitures par la fenêtre. Cet animal a l’art de se protéger, du coup il me protège aussi. Je vais mieux depuis qu’il est là. Pourtant c’est pas un hérisson terrible terrible non plus, mais bon…
J’ai moins de 7 grammes d’hémoglobine dans le sang. Ce matin en sortant de la douche, je me suis senti tellement fatigué que j’ai eu l’impression de m’effacer en me séchant.
Le taxi a des airs d’ambulance classe. J’ai envie de lui dire de foncer jusqu’à l’océan pour aller petit-déjeuner au bord de l’eau. Vampire en cavale recherché par les autorités médicales le long du littoral. Signalement : très blanc, tout petit, fait du skateboard au ralenti.
Puis je pense à sampler les bruits impressionnants de la machine, mais Charlotte Gainsbourg a déjà fait le coup avec Air. Je ne réécouterai plus cette fantastique chanson de la même façon désormais. On me remonte. Le brancardier n’arrête pas de renifler au-dessus de ma tête. C’est encore plus stressant que le marteau-piqueur électronique de l’I.R.M.
On reconnaît le chemin qui mène à l’hôpital aux joyeux commerces semés autour par le Petit Poucet de la mort. Quand j’étais petit, je croyais que les magasins de pompes funèbres vendaient des chaussures pour les morts. Des modèles vernis, neufs pour toujours, qui auraient le droit de faire mal aux pieds.
L’entrée de l’hôpital est située juste après la troisième échoppe. On dirait un grand lycée triste dont tous les élèves auraient été punis. Il y a une chapelle pour que les gens pleurent tranquille et une boutique Relay où on peut acheter des bonbons et L’Équipe. Regarder les résultats de foot, prier un coup et grignoter un Mars.
Je vais me faire changer les plaquettes. M’en faire poser de nouvelles, disons. J’ai plus de sang-frein. Liquidation quasi totale des particules coagulantes. Si je caresse un hérisson du bout des doigts, j’aurai un bleu sur l’avant-bras.
L'appartelier commence à ressembler à l'intérieur d'un Kinder Surprise.