Journal d'un vampire en pyjama

Un bug... Je me suis fait hacker le système immunitaire, du coup je m'autodétruis. Je suis mon propre cancer.

Le problème est que je donne plus que ce que j'ai. Je suis le plus con des dragons. Celui qui crache des étincelles et se crame les ailes avec.

- La greffe que vous venez de recevoir, c’est du sur-mesure… A chaque prise de sang, on vérifie partout et au moindre signal d’alarme, on intervient. C’est aussi complexe que le tableau de bord d’une navette spatiale. Des biologistes que vous ne voyez jamais travaillent tous les jours sur vos analyses. Et nous ajustons les traitements au millimètre en fonction des résultats.

Il fait encore bon, je pourrais faire le tour de France en skate-stop. J’ai ma carte de groupe sanguin, une petite transfusion par-ci par-là et c’est reparti ! Je tiendrais un carnet de board. Je goûterais à tous les alcools, ne dormirais quasiment jamais et parlerais toutes les langues, surtout celles que je ne connais pas. J’en inventerais une, prendrais des photos, écrirais dessus et les enverrais en guise de cartes postales. J’apprendrais à construire des jouets en bois, je rencontrerais le Père Noël et, si je ne le trouvais pas, le deviendrais moi-même. Je me bâtirais un atelier en haut de la Rhune, cette montagne majestueuse qui surplombe la baie de Saint-Jean-de-Luz, je descendrais sur un vieux BMX jusqu’à l’océan pour aller surfer. J’écouterais de la musique toute la journée, j’en jouerais toute la nuit.
Je ferais claquer des bouquets de feux d’artifice par la cheminée de l’atelier, fabriquerais une constellation mouvante juste au-dessus du toit, des étoiles entre lesquelles je tisserais des hamacs. Dans le jardin, il y aurait des balançoires argentées et un terrain de football miniature en moquette épaisse. J’élèverais des écureuils parlants et mes chiens de garde seraient des hérissons géants.il y aurait un volcan de cinquante centimètres de haut en activité pour faire cuire les omelettes – parce que j’aurais des poules. Les seules poules capables de pondre des œufs en chocolat !

- Vous avez besoin d’autre chose, monsieur Malzieu ?
- Un steak haché, des frites et un bon Coca bien frais…
- Pour le steak haché et les frites, ça ne va pas être possible, mais pour le Coca, je vais voir ce que je peux faire !
Elle revient avec une véritable canette de Coca Light. C’est si fabuleusement peu médical ! Cette typographie venue du monde extérieur, ces reflets de chrome et ce rouge acier… Le « clic » si agréablement familier du décapsulage ! Tremper mes lèvres, sentir l’effervescence des bulles sur ma langue, c’est mieux qu’un grand cru de Bordeaux. La première gorgée de l’élixir me donne l’impression de me retransformer en être humain. Je descends l’intégralité du contenu d’un coup. Je suis au bord des larmes pétillantes, les bulles me piquent les yeux. La joie… Je ne savais pas qu’une cuite au Coca Light pouvait rendre si heureux.

- Ne pas produire d’effort physique violent (à cause du manque d’oxygène dans le sang).
- Eviter les lieux publics, les bisous et autres contacts physiques avec à peu près tout le monde (à cause des défenses immunitaires affaiblies).
- Et surtout ne jamais, au grand jamais, me cogner (pour éviter tout risque d’hémorragie).
Autant dire l’enfer pour qui aime se rouler par terre et se jeter dans la foule. Au revoir les concerts, les miens comme ceux des autres, les copains, les whisky-bars, le cinéma, le vélo, le galop en skateboard, le Midi en famille, les voyages, l’improvisation, la liberté… Même me laver les dents avec une brosse à dents est devenu trop dangereux.

Quand j'étais petit, je croyais que les magasins de pompes funèbres vendaient des chaussures pour les morts. Des modèles vernis, neufs pour toujours, qui auraient le droit de faire mal aux pieds.

Réveil matinal et rock'n'roll se marient à peu près aussi bien que tartines de confiture et whisky.

"I 'm transforming ,I'm vibrating,I'm glowing,I'm flying ...Look at me now" , chantait Nick Cave.Il faut que je me fasse à cette idée : rien ne sera plus jamais comme avant .Me faire sauver la vie est l'aventure la plus extrodinaire que j'aie jamais vécue .

L'infirmière règle le goutte-à-goutte et vérifie que tout fonctionne. "C'est parti!" me glisse-t-elle, épique et douce à la fois. J'ai l'impression que le sang vient directement de son sourire. J'ai envie de la prendre dans mes bras et de l'empêcher de quitter la chambre. Une joie profonde se diffuse en moi avec une telle intensité que je sens venir les larmes, mais je ne veux pas chialer devant l'infirmière avec mon T-shirt Spiderman et tout.