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Critique de Acerola13


Cet extraordinaire essai écrit par Nadejda Mandelstam, la femme du poète du même nom, rend hommage à celle qui fut une précieuse amie du couple Mandelstam : Anna Akhmatova, poète russe du siècle d'argent, chef de file du mouvement de l'acméiste en compagnie d'Ossip Mandelstam et de Nicolas Goumikiov, et qui eût la chance (ou le malheur), de survivre aux deux guerres mondiales qui meurtrirent profondément la Russie, qu'elle se refusera toujours à quitter, malgré son interdiction du publication, son exil à Tachkent, et les multiples emprisonnements de son fils, Lev Goumiliov.

Dans ce curieux récit biographique autant qu'autobiographique, Nadejda narre sa rencontre avec Anna Akhmatova et les indéfectibles liens qui les lièrent, renforcés par la mort en 1938 d'Ossip Mandelstam sur la route de la Kolyma. Pour Anna, c'est comme si le poète défunt vivait à travers son épouse, qui avait appris par coeur ses vers. Leur amitié s'épanouit au fur et à mesure de leurs longues discussions philosophiques, littéraires, sociétales, retranscrites par Nadejda et qui soulignent une réflexion permanente d'Akhmatova sur leur vie dans l'Union soviétique :
"De tout ce que nous avons connu, le plus fondamental et le plus fort, c'est la peur et son dérivé - un abject sentiment de honte et de totale impuissance. "

On découvre que cette période impitoyable pour les écrivains qui ne louaient pas le régime a vu fleurir de nombreux stratagèmes pour faire perdurer la poésie, dont les vers étaient récités à voix basse, et appris par coeur par les proches :
"En poésie, on pourrait dire qu'il y a deux types de vers : ceux que l'on entend, et ceux que l'on écrit. "

Ce formidable fourmillement intellectuel méconnu transparaît pourtant à chaque page de Sur Anna Akhmatova, qui enrageait contre "les spécialistes étrangers" :
"Il était hallucinant de voir à quel point les spécialistes étrangers de littérature ne comprenaient rien à notre vie, ils ne se doutaient même pas que chez nous, l'absence de publication ne signifiait pas du tout l'interruption du travail poétique."

Si dans cet écrit Nadejda conserve un souvenir affectueux d'Akhmatova, on comprend combien il a pu être difficile de côtoyer une telle personnalité à laquelle on pardonnait ses humeurs eût égard à son immense intelligence, et de s'affirmer au-delà de sa fonction "d'épouse" de Mandelstam. Son propos se fera par la suite moins tolérant et admiratif, notamment dans Contre tout espoir, que je compte bien me procurer.

J'ai été profondément marquée par la vie d'Anna Akhmatova et de son courage face aux évènements et aux tragédies qui s'acharnèrent sur elle, de son ex-mari fusillé à la déportation d'êtres proches, ou encore sa survie dans un dénuement total qui ne réussirent cependant à tarir ses vers. Loin de n'être qu'une biographie, cet ouvrage est également une mine d'or sur la vie intellectuelle sous le régime soviétique, du point de vue des femmes. L'avant-propos est très intéressant, tout comme les différentes interventions de la traductrice, Sophie Benech, sur France culture. Laissons tout de même le mot de la fin à Nadejda Mandelstam :
"Ce lecteur n'a même pas remarqué qu'A.A. est le poète non de l'amour, mais du renoncement à l'amour au nom d'une humanité supérieure. "
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