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Critique de batlamb


L'acmé, c'est la pointe, le comble, l'apogée. Un terme directement tiré du grec antique, et que le courant poétique russe de l'acméisme rattache à la célébration du monde quotidien et concret. L'acméisme s'oppose ainsi au symbolisme, en cherchant à revenir au contact de la vie réelle, minérale, et d'en faire le matériau direct du poème. Une poésie qui idéalise l'artisan, ou le paysan. Pour Mandelstam, la musique s'approche du moujik, dans une Russie où couvent les Révolutions de 1917.

Dès les poèmes initiaux, on relève une profusion, d'images empruntées à l'Antiquité, parmi lesquelles Psyché et les fleuves des enfers comme le Lethé, et dont l'eau apporte l'oubli. Cet oubli, Mandelstam et l'acméisme ne le cautionnent pas. Car le savoir passé peut permettre de mieux incarner le présent, de lui rendre saveur et sens, et donc de garder un cap au coeur du chaos révolutionnaire qui s'abat sur cette oeuvre poétique en gestation.

« Courage, humains !
Rayant l'océan comme avec une charrue,
Nous nous souviendrons même dans la froidure du Léthé
Que la terre nous coûta dix ciels. »

Malgré ce contexte difficile, Mandelstam n'est pas du genre à s'apitoyer. Il continue de chanter cette nouvelle Russie avec hargne, acceptant et même célébrant l'effort que demande ce nouveau siècle pour continuer à créer.

La parole parfois rugueuse, et même rocailleuse de Mandelstam emprunte à toutes les époques. Antiquité, mais aussi Renaissance italienne, en particulier l'âpreté de la langue de Dante et la suavité de celle de l'Arioste. Mandelstam tisse un réseau de signes et références, images et sonorités inspirées d'autres cultures, et qu'il s'attache à recréer en russe. Les mots qui en résultent présentent « une gerbe de signification qui fuse dans toutes les directions », comme le déclarait Mandelstam dans ses Entretiens sur Dante.

Maître artificier, le poète acméiste fait résonner la nature, de la syrinx à la pierre. Tel un « duvet de fer » ou une « tendre épouvante », ses vers oxymoriques entremêlent étroitement brutalité et douceur. Mandelstam imite en cela la Phèdre de Racine, autre influence importante.

Même dans les paysages les plus secs et glacés, le poète travaille la terre et la pierre pour recomposer une parole en forme de cathédrale personnelle, où la voix auparavant assourdie par le bruit du temps retrouve de l'élan, de l'écho.

« Pour le mot bienheureux, pour le mot insensé,
Je m'en vais dans la nuit soviétique prier. »

Cette poésie-cathédrale fait souvent penser à un orgue baroque, mais se fait soudain beaucoup plus recueillie et accessible au moment de la déportation et de l'imminence de la mort à Voronèje. Cherchant la fraternité des plus humbles, non sans cesser de fixer l'immensité des montagnes et du ciel, Mandelstam compose un chant du cygne, expression qui peut difficilement mieux s'appliquer qu'à cet amoureux des oiseaux et à la beauté simple et universelle de ses derniers poèmes.

Et les rêves ravivés par l'épreuve du réel peuvent alors renaître l'espace de quelques instants qui résonnent dans l'avenir :

« dans les livres souriants, dans les jeux des enfants,
Je vais ressusciter pour dire que le soleil brille »
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