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Le poète russe paiera cher pour ses vers. En lutte contre le stalinisme, la poésie d'Ossip Mandelstam ne peut pourtant être réduite à sa dimension politique.

Le recueil qui ouvre cette anthologie est un témoignage puissant du courant acméiste qu'ont incarné Akhmatova comme Mandelstam. En effet, les poèmes de « Pierre » sont le monde sensible tout entier capté, enveloppé, traduit et rendu au lecteur dans la langue poétique. Ainsi, nous éprouvons « le gel de l'éternité » qui « pleut dans le diamant glacial » ou encore « le frémissement des libellules, promptes à vivre et aux yeux bleus ».

Le recueil « Tristia » prend des airs de voyage, la Russie des allures toscanes, la Neva couleur de Styx baigne aux pieds de l'immortelle Jérusalem. de Dante à Perséphone, de Venise à Moscou, le poète se fait unificateur de mythes.

C'est peut-être dans ses « Poèmes », pour beaucoup non publiés de son vivant, que nos chemins se séparent, l'acméiste devient plus esthète que touchant, ces poèmes moins immédiatement accessibles.

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La mémoire du coeur

Ossip Mandelstam était un poète russe du mouvement “acméiste” (dont faisait partie également la grande Anna Akhmatova).

"Acmé" signifie "apogée". Et l'on comprend mieux pourquoi à lire les poèmes de cet ensemble de recueils que constitue "Tristia et autres poèmes". C'est l'apogée d'une âme qui se délivre, qui s'offre au lecteur capable de lire en laissant parler son émotion. Il y a de la vie brûlante au sein de ces pages comme un feu enclos dans le papier.

Ossip Mandelstam a eu un jour l'idée fatale d'écrire un poème pour ridiculiser Staline. Il fut donc envoyé dans un goulag où il y mourut. Brutale méthode mais inefficace à tuer l'oeuvre du poète. On n'empêche pas l'herbe fauchée de repousser.

J'aimerais vous raconter une très belle anecdote qui vous donnera peut-être envie de découvrir la poésie de Mandelstam.
Peu de temps avant qu'il ne soit envoyé au goulag, sa femme Nadejda et quelques amis du couple Mandelstam, ont appris "par coeur" l'intégralité de son oeuvre. Tous ses papiers avaient été, au préalable, détruits : la bureaucratie soviétique ne méritait pas de mettre la main sur de tels écrits.

C'est donc dans le coeur de sa femme et de ses amis que la poésie d'Ossip Mandelstam a pu survivre, continuer de battre. Ce coeur de poète a été ensuite rendu aux hommes lorsque les dépositaires se sont chargés de retranscrire son oeuvre.

Et si nous avons aujourd'hui encore, la chance de pouvoir nous plonger dans cette poésie d'une immense richesse, c'est à ces âmes de scribes fidèles que nous le devons. Et l'on dit que c'est une chose stupide que de faire apprendre "par coeur" des textes aux enfants...
Si Nadejda Mandelstam avait suivi cette voie stérile, c'est une pierre importante qui manquerait à l'édifice de la beauté. Il n'y a d'ailleurs qu'en français, étrangement, que se trouve l'expression "apprendre par coeur". Et bien peu de gens savent en saisir toute l'importance.

Car le coeur n'est pas seulement cet organe de vie défini par la science, cette pompe qui irrigue tout le corps.
Le coeur – n'en déplaise aux scientistes de bas étage –, est aussi ce qui nous pousse à vivre au-delà de nous-mêmes.

© Thibault Marconnet
Le 30 janvier 2014
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Tristia est vraiment le marqueur d'une époque troublée par tous les événements qui s'enchaînent sur le sol russe.
L'auteur avec une musicalité bien à lui, nous conte au travers de vers aux mots empreints d'un réalisme mélancolique, un quotidien brumeux, incertain.
Sa poésie, synthèse d'une prose qui trouve ses sources dans la grandeur antique, chrétienne et juive, puis indéniablement dans l'âme russe et slave ou un incontestable fatalisme du poids de l'histoire se fait jour, dans sa pensée d'artiste prisonnière d'un système politique, qui l'empêche d'exister pleinement en toute liberté.
Se réfugiant dans la beauté de la poésie des anciens ou dans les évocations de lieux qui l'inspirent, Mandelstam essaie toujours de garder le contact avec un réel gris et difficile pour lui et les siens. Ses vers reflétant en permanence cette liaison intense avec cette terre qu'il aime tant pour sa diversité culturelle, n'hésitant pas à crier une prose poétique d'espoir, de révolte, de vie pour lui et tous les artistes entravés dans leur liberté créative.
D'ailleurs, c'est cette attitude courageuse qui lui sera fatale avec son fameux poème sur le tyran Staline, l'emmenant dans les affres des persécutions, de la prison et de la déportation au goulag.
Mais pour le poète qu'il était, se taire aurait été contraire à ses valeurs, son caractère et surtout à sa poésie libre, ancrée sur ces terres de l'Europe orientale aux influences cosmopolites et universelles comme son parcours
pétrit d'une culture aux racines plurielles.
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L'acmé, c'est la pointe, le comble, l'apogée. Un terme directement tiré du grec antique, et que le courant poétique russe de l'acméisme rattache à la célébration du monde quotidien et concret. L'acméisme s'oppose ainsi au symbolisme, en cherchant à revenir au contact de la vie réelle, minérale, et d'en faire le matériau direct du poème. Une poésie qui idéalise l'artisan, ou le paysan. Pour Mandelstam, la musique s'approche du moujik, dans une Russie où couvent les Révolutions de 1917.

Dès les poèmes initiaux, on relève une profusion, d'images empruntées à l'Antiquité, parmi lesquelles Psyché et les fleuves des enfers comme le Lethé, et dont l'eau apporte l'oubli. Cet oubli, Mandelstam et l'acméisme ne le cautionnent pas. Car le savoir passé peut permettre de mieux incarner le présent, de lui rendre saveur et sens, et donc de garder un cap au coeur du chaos révolutionnaire qui s'abat sur cette oeuvre poétique en gestation.

« Courage, humains !
Rayant l'océan comme avec une charrue,
Nous nous souviendrons même dans la froidure du Léthé
Que la terre nous coûta dix ciels. »

Malgré ce contexte difficile, Mandelstam n'est pas du genre à s'apitoyer. Il continue de chanter cette nouvelle Russie avec hargne, acceptant et même célébrant l'effort que demande ce nouveau siècle pour continuer à créer.

La parole parfois rugueuse, et même rocailleuse de Mandelstam emprunte à toutes les époques. Antiquité, mais aussi Renaissance italienne, en particulier l'âpreté de la langue de Dante et la suavité de celle de l'Arioste. Mandelstam tisse un réseau de signes et références, images et sonorités inspirées d'autres cultures, et qu'il s'attache à recréer en russe. Les mots qui en résultent présentent « une gerbe de signification qui fuse dans toutes les directions », comme le déclarait Mandelstam dans ses Entretiens sur Dante.

Maître artificier, le poète acméiste fait résonner la nature, de la syrinx à la pierre. Tel un « duvet de fer » ou une « tendre épouvante », ses vers oxymoriques entremêlent étroitement brutalité et douceur. Mandelstam imite en cela la Phèdre de Racine, autre influence importante.

Même dans les paysages les plus secs et glacés, le poète travaille la terre et la pierre pour recomposer une parole en forme de cathédrale personnelle, où la voix auparavant assourdie par le bruit du temps retrouve de l'élan, de l'écho.

« Pour le mot bienheureux, pour le mot insensé,
Je m'en vais dans la nuit soviétique prier. »

Cette poésie-cathédrale fait souvent penser à un orgue baroque, mais se fait soudain beaucoup plus recueillie et accessible au moment de la déportation et de l'imminence de la mort à Voronèje. Cherchant la fraternité des plus humbles, non sans cesser de fixer l'immensité des montagnes et du ciel, Mandelstam compose un chant du cygne, expression qui peut difficilement mieux s'appliquer qu'à cet amoureux des oiseaux et à la beauté simple et universelle de ses derniers poèmes.

Et les rêves ravivés par l'épreuve du réel peuvent alors renaître l'espace de quelques instants qui résonnent dans l'avenir :

« dans les livres souriants, dans les jeux des enfants,
Je vais ressusciter pour dire que le soleil brille »
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Il se voulait l'ami des Grecs anciens et de l'Italie renaissante. Il cherchait dans la forêt des mots à dire un monde simple, mais le siècle, ce siècle fatal qui revient de plus en plus souvent dans ses poèmes, le ronge. Il n'est pas un Hellène du temps de l'élégie. Il est un Soviétique du temps de l'ogre. Il voit fondre sur son monde songeur la bêtise des censeurs réalistes. Peut-on inventer une langue plus anticommuniste que ce lyrisme fasciné par les grands rites sombres, que ce regardeur solitaire d'un monde qu'on n'assomme pas de formules précuites, que ce suicidaire qui, pour qu'on en finisse avec lui, dit de Staline la vérité? Cela s'est remarqué. Il en est mort.
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Il ne savait que faire de ce corps, Ossip
homme égaré de lui-même
splendide de pauvreté,
miséreux somptueux,
parmi les juifs qui chantaient dans le temple en flammes,
entre le dernier râle d' un coq grec
et le triple chant du coq de Jérusalem.
Trouver le mot perdu
dans le frémissement de l'air,
où pas un mot ne vaut mieux que l'autre.
Le soleil noir,
sur la place noire du Kremlin
pour ce frère en exil d' Ovide,
exilé celui qui ne fut jamais le contemporain de personne,
celui qui camisolé,
défie le temps
pour lire les livres rationnés
et retrouvé le verbe égaré qui
instruisit les premiers hommes;
et donner son âme pour une parole
à jamais dans la bibliothèque de notre mémoire.



Nous écouterons les chants juifs qui accompagnent Ossip Mandelstam vers le camp de triage de la presque' île de Kolyma, dernière étape de douleur et nous boirons notre chagrin jusqu'à la dernière gorgée, à Moscou.






Les poèmes qui m'ont accompagné: What shall I do with this body they gave me, le 1° janvier 1924, This night is irredeemable, J'ai oublié le mot…, Celui qui trouve un fer à cheval, Non, je ne fus jamais le contemporain de personne, Minuit dans Moscou, Arménie
Tristia et autres Poèmes (Poésie Gallimard; tr. François Kérel) The Selected Poems of Osip Mandelstam (New York Review Books Classics tr..W. S. Merwin Clarence Brown )


©Mermed
Lien : http://holophernes.over-blog..
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Parmi les nombreux poètes juifs assassinés par Staline, Mandelstam demeure la figure de proue, le symbole de cette barbarie, car il était en son temps considéré comme l'un des plus grands poètes en langue russe avec Akhmatova et Pasternak.
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