Il ne me restait plus qu’à emporter ma langue avec moi, comme une maison. La maison de l’escargot. Sur quelque rivage que j’échoue, elle serait pour moi, je le savais, le refuge infantile de la survie.
(p. 246)
Etait-ce un privilège que de vivre, en quelques années seulement, et à un âge encore jeune, une expérience que d'autres ont prolongée jusqu'à la vieillesse ? Réunions, exclusions, délations. Les rituels : la dilatation intense de l'ego dominateur, puis sa contraction dans le corps massifié de la collectivité. Les nominations, la technique du secret, la vanité des honneurs : d'autres ont connu tout cela plus largement et plus profondément, à des degrés infiniment plus glorieux ou plus tragiques. Le moment que j'ai vécu dans cette salle que je dominais depuis la tribune rouge, tous les participants de ce grand jeu utopique devenu inquisitorial l'ont aussi vécu. On est immuablement mis en demeure de choisir entre les identités qui vous composent et se disputent votre moi, non seulement le moi qu'exige l'ultimatum de l'instant, mais encore celui que l'on est vraiment. L'être humain continue, bien au-delà de l'enfance, de la puberté, de l'adolescence, à éprouver sa multiplicité potentielle.
La profession d’ingénieur ne pouvait me protéger de rien et ne me convenait en rien, mais à vingt-trois ans ce ne sont ni les déceptions, ni les confusions, ni l’insondable ennui qui dictent leur loi au calendrier. La rue, les chambres, les visages dissimulés dans le mystère du quotidien, les femmes, les livres, les amis, intensifient le champ magnétique de l’être en devenir que nous sommes.
( p. 129)
"C'est la langue qui est votre blessure."
Le métronome a encore une fois signifié à quelqu'un l'heure de l'éternité.
Je ne savais pas si je voulais éviter de rencontrer là-bas le moi d'autrefois, ou si je redoutais d'être identifié à ma nouvelle image, auréolée des lauriers de l'exil et des malédictions de la Patrie.
"L’horreur n’avait pas remplacé l’ancienne. Elle s’y était ajoutée : elles allaient main dans la main."
"Le crétinisme rayonnait partout, on pouvait difficilement y échapper."
"Je ne savais pas si je voulais éviter de rencontrer là-bas le moi d'autrefois, ou si je redoutais d'être identifié à ma nouvelle image, auréolée des lauriers de l'exil et des malédictions de la Patrie."