Mais la lecture au lit n'est pas qu'une distraction ; on y trouve une intimité d'une espèce particulière. Lire au lit est une activité égocentrique, immobile, libre des conventions sociales habituelles, cachée au monde et qui, parce qu'elle a lieu entre les draps, dans le domaine de la luxure et de l'oisiveté coupable, a un peu de l'attrait des choses interdites.
"Ceux qui savent lire voient deux fois mieux", écrivait le poète attique Ménandre au IVe siècle avant J.-C.
J’appris bientôt que la lecture est cumulative et se développe selon une progression géométrique : chaque nouvelle lecture s’ajoute à ce que le lecteur a lu auparavant.
Marguerite Duras a dit qu'elle lisait rarement sur les plages ou dans les jardins, expliquant qu'on ne peut pas lire sous deux lumières en même temps,celle du jour et celle du livre, mais plutôt à la lumière électrique, avec la pièce dans l'ombre et la page seule éclairée.
On peut reconstituer la vie d'un lecteur d'une infinité de manières : en étudiant l'ordre des livres dans sa bibliothèque, en faisant l'inventaire des ouvrages empilés sur sa table de chevet, en déchiffrant les notes qu'il a griffonnées dans les marges, telles les pistes d'un animal dans la forêt.
« je feuillette une bande dessinée japonaise à l’aéroport de Narita et j’invente une histoire aux personnages dont les paroles sont figurées par des caractères que je n’ai jamais appris. »
Lire m'était prétexte à rester seul, ou peut-être donnait un sens à la solitude qui m'était imposée (...).
Les régimes populaires exigent de nous l'oubli, et par conséquent ils traitent les livres de luxe superflu ; les régimes totalitaires exigent que nous ne pensions pas, et par conséquent ils bannissent, menacent et censurent ; les uns et les autres, d'une manière générale, ont besoin que nous devenions stupides et que nous acceptions avec docilité notre dégradation, et par conséquent ils encouragent la consommation de bouillie. Dans de telles circonstances, les lecteurs ne peuvent être que subversifs.
(...) et je tentais à la fois d'atteindre la fin du livre que j'étais en train de lire et de retarder cette fin autant que possible, en revenant en arrière de quelques pages, en recherchant un passage que j'avais apprécié, en vérifiant des détails qui m'avaient, croyais-je, échappé.
En fonction du temps et du lieu, de notre humeur et de nos souvenirs, de notre expérience et de nos désirs, le plaisir de lire, dans le meilleur des cas, accentue les tensions de l'esprit plus qu'il ne les libère, il les renforce afin de les faire chanter, nous rendant plus -et non moins- conscients de leur présence. Il est vrai qu'à l'occasion le mot passe de la page à notre imaginaire conscient -notre lexique quotidien d'images- et alors nous errons sans but dans ces paysages inventés, aussi égarés et surpris que Don Quichotte. (...) Nous lisons avec un intérêt profond, tels des chasseurs sur une piste, oublieux de ce qui nous entoure. Nous lisons distraitement, en sautant des pages. (...) Nous lisons à longs gestes lents, comme si nous flottions dans l'espace, en apesanteur.