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Critique de tamara29


Je remercie Babelio et les Editions du Seuil pour le dernier roman de Pascal Manoukian « le cercle des Hommes ». Roman d'aventure, il se révèle avant tout un vibrant conte écolo mettant en exergue les excès et dérives de notre société de consommation d'aujourd'hui. Je suis ravie de voir qu'une très grande majorité d'autres lecteurs l'ont aimé tout autant que moi.
Pour se rendre à un rendez-vous d'affaire, un riche industriel français survole l'Amazonie à bord de son avion. Il a un accident et s'écrase en pleine forêt, pas loin de la tribu d'indiens, les Yacou. Leur survie est menacée par l'exploitation et le défrichement de leur forêt. Ne le reconnaissant pas comme un homme, mais comme une « chose » tombée du ciel, ils le font prisonnier et le jettent dans un fossé parmi les cochons sauvages. Commence alors pour le français Gabriel une lutte au jour le jour pour se faire reconnaitre et accepter en tant qu'homme, bien décidé à se sauver et retrouver sa compagne Marie. Tentative bien difficile alors que tout les oppose. Alors même que la définition de l'homme les oppose. Parce qu'en plus de la langue, c'est toute une culture, une mentalité, des règles de vie qu'il va découvrir et devoir comprendre et assimiler. Une vie de frugalité, nus, parmi la nature, en respect avec la nature. Tant de règles si loin de son (de notre) monde, pour ne pas dire en complet décalage avec nos habitudes et comportements de sociétés dites « civilisées ».
Tous les matins, les Yacou régurgitent ce qu'ils n'ont pas digéré pour rendre à la terre et la nourrir comme elle les a nourrit. Tous les soirs, ils votent pour élire le chef du lendemain. Chaque matin, ils énoncent la couleur du vert qui prédomine autour d'eux et qui constituera leur journée plus ou moins active et enjouée. Ils respectent et remercient tout ce qui les entoure, la faune et la flore qui font partie de leur vie. Dès qu'il y a une source de désaccord entre eux, ils parlementent, discutent et votent. Chacun ensuite respecte ce vote, sans broncher (ou presque). Ils sont huit dans cette tribu et pas un de plus, car ils ont appris depuis des générations qu'être trop nombreux engendre des problèmes de survie et de conflits. D'ailleurs, une autre règle vitale est de ne jamais sortir du cercle dans lequel ils vivent pour leur sécurité et leur survie...
Autant de règles étonnantes pour nous, occidentaux et pourtant certaines sont si logiques, pour ne pas dire sensées et évidentes. le seul passage sur la recherche du miel nous ouvre un peu les yeux sur notre propre habitude de consommation facile, jetable... Quelle claque pour nous ‘'super-consommateurs'' ayant perdu conscience et morale (pour ne plus penser que profit et réussite) !
Chaque fois que je découvrais une de leurs « lois » et traditions, j'étais amusée, interloquée. Quelle étonnante imagination et conception de vie que cet auteur nous propose tout au long de ce roman ! Comme si, à chacun de nos problèmes et excès que connait notre civilisation occidentale, Manoukian avait soupesé les différentes solutions et choisi celle justement tellement opposée à nos habitudes, celle justement qui pourrait sauver encore notre planète avant que tout implose par notre inconscience et inconsistance. Dans ce roman, Gabriel est chacun de nous, français, européen, occidental. Loin d'être un ange tombé du ciel, il est notre miroir. A chaque page, nous sommes forcés de nous regarder bien en face, de réaliser ce que nous sommes, ce que nous sommes devenus, cherchant à posséder toujours plus, encore plus. Il nous représente, nous, ces humains individualistes avec des ornières.

On veut l'IPhone dernière génération, qu'importe son prix exorbitant, qu'importe sa durée de vie, qu'importe ensuite qu'on soit fliqué par des Big Brother, qu'ils connaissent nos comportements et nous géolocalisent, qu'ils nous proposent ensuite -lorsqu'on navigue sur internet- les produits qui nous correspondent et qu'il est bon de posséder. Ils le savent mieux que nous-mêmes, mieux que notre mère.
On veut le dernier jean, qu'importe s'il a parcouru pour cela des milliers de kilomètres. Faut avouer qu'il est trop bien, ça nous fait une belle paire de fesses quand même. J'ai réussi à l'acheter pendant le black Friday, j'avais loupé l'occas' lors des dernières soldes et des ventes privées. Et ce tee-shirt à 10€, il me tente bien aussi. Bon, j'en ai des tas entassés dans mon placard un peu pareils, mais celui-là, non quand même, il change des autres. Je sais qu'il est pas cher parce qu'il a été conçu par des petites mains asiatiques, peut-être très jeunes ou surexploitées. Mais, j'vais quand même pas acheter un tee-shirt qui vaut le double ou le triple parce que dit « écoresponsable » (je viens de m'acheter le dernier Iphone, soyons raisonnables, voulez-vous) et faut bien que les petites-mains vivent aussi. Je vais couper l'étiquette et oublier vite fait d'où il vient. Et il fera super bien avec mon jean.
Si on remet un peu les choses dans leurs contextes pratiques, quand je consomme, que je sors ma CB, je ne suis pas égoïste, c'est ma façon à moi de penser à l'économie française, au PIB, au taux de chômage. Les français économisent trop, c'est un fait. Heureusement avec la baisse du taux d'intérêt du livret A, espérons qu'ils se mettent à dépenser plus et arrêtent de s'inquiéter pour le lendemain. Si je garde mon super jean comme exemple (je sais, je focalise un peu trop dessus, mais ça passera avec le prochain), en l'achetant, j'oeuvre pour mon pays. Y'a pas à dire, il est top, mon jean. Je me sens hyper bien dedans.
Les émissions télévisées pour sauver la planète se multiplient et y'a plus vraiment de bons films sur les chaines tv (heureusement Netflix et Amazon sont là pour nous sauver de ce gouffre). Les scientifiques nous martèlent qu'il faut agir vite contre le réchauffement de la planète Terre, notre mère nourricière. Ils nous parlent de la fonte des glaces (J'en sais rien, j'suis jamais allée au Pôle Nord mais j'ai vu plusieurs fois « L'âge de glace »), des animaux et de tout l'écosystème en danger et tout le tralala. Certains écrivains de littérature blanche ou noire se mettent même à écrire des essais sur ce sujet (Fred Vargas avec « L'humanité en péril » pour ne citer qu'elle).
La jeune militante Greta Thunberg, élue personnalité de l'année 2019 par le magazine Time (et qui n'a rien à voir avec Adamsberg), est souvent citée dans les média. Certains hommes politiques se moquent d'elle et la fustigent et sont critiqués pour cela. Sérieusement, il faudrait arrêter d'ennuyer les politiques, tels que les sénateurs, à propos de leurs avantages financiers et leur retraite dorée. Rappelons qu'ils n'ont pas été élus pour ça mais parce qu'ils pensaient d'abord à leur pays. Eux, en plus de leurs longues études, ils ont pas mal bourlingué, sont bien au fait du système et connaissent quelques lobbyings fichtrement intéressants. Parce que, faut pas se mentir, la p'tite Greta de 17 ans avec ses petits yeux de cocker, ça finit par être assez agaçant, voire flippant. Elle ne pourrait pas sourire de temps en temps ? Ok, le monde va mal et tourne à l'envers. Mais est-elle vraiment obligée de faire une tête de quatre mètres de long et nous plomber le moral ?
Et, d'ailleurs, elle veut que je fasse quoi de plus ? J'en fais déjà pas mal, j'trouve, sûrement plus que la moyenne, j'ai ma conscience tranquille. Je fais mon tri hebdomadaire, je ne prends plus que des douches, j'ai réduit ma consommation de viande (je suis au courant que les cochons, en bout de chaine, créent les algues vertes sur nos plages ; que pour nourrir les vaches ça nécessite beaucoup d'eau et, en plus qu'elles pètent et sont en partie responsables du réchauffement climatique, sans parler des poulets maltraités), j'ai arrêté la pâte à tartiner avec huile de palme, et j'ai même limité ma consommation d'alcool, c'est dire...
Même les industriels s'y mettent et surfent sur les produits plus écolo, avec plein de labels environnementaux dessus, tous sains, tous beaux. Et même si on ne comprend toujours pas grand-chose à toute la liste des ingrédients, le label est là pour nous rassurer et surtout pour donner une bonne image du produit (et de l'industriel)…
Dans une récente émission, j'entendais que le 1/3 des ‘'produits'' issus de l'agriculture n'arrivait jamais dans nos assiettes parce qu'ils ne « respectaient » pas les normes imposées (et que des tonnes de pommes-de-terre trop grosses ou au mauvais calibre sont jetés par les agriculteurs). C'est sûr que pour finir en purée, j'aime bien qu'elles soient jolies et respectueuses, mes patates. Un quart ou plus des produits dans les supermarchés sont ensuite jetés car non achetés avant la date de péremption. Et, si on continue, une bonne partie de notre caddie finit aussi à la poubelle (yaourt périmé ou tristes carottes oubliées). Et entre temps, les assos caritatives essayent de se faire entendre pour dire qu'il y a de plus en plus de précaires et de moins en moins de dons… On marche un peu sur la tête, mais heureusement, on a de la chance, on est du bon côté…
Parce que, forcément, on peut pas s'occuper de ses belles petites fesses coincées dans son jean tendance, ou encore être ‘'plongés'' dans les réseaux sociaux où on a des tas d'amis virtuels et en même temps penser aux autres qu'on ne connait même pas. Ma mère m'a toujours dit de faire attention aux gens que je ne connaissais pas. (Ah, mais, j'avais pas vu ce super tuto qui m'explique comment bien me maquiller et me coiffer ! Hé, mais, c'est quoi son vernis à cette influenceuse ?! Je veux le même pour mon Noël !!...).
Durant l'hiver, plusieurs soirs de suite, j'ai vu des CRS et des membres de la sécurité de la RATP, alors qu'il faisait froid, déloger et obliger les SDF à sortir des métros. le CRS à qui j'ai demandé pourquoi ils ne s'occupaient pas d'abord des bandes de dealers à la gare St Lazare, m'a répondu qu'il n'était pas fier mais que c'était les directives. C'est sûr, ça fait plus propre... Les sans-abris dans Paris, ça casse un peu l'image d'Epinal de la plus belle des capitales. Pourtant le constat s'impose sous nos yeux : des hommes et des femmes, de tout âge, de toute nationalité, étaient de plus en plus nombreux dans la rue. Alors nous, nous marchons vite le soir, on détourne les yeux, on rentre vite dans notre logement pour préparer le dîner, en produits bio ou produits industriels qui facilitent notre quotidien.
Lors du dîner, on se dira « bon appétit » parce que c'est poli ou après, ça nous arrivera de dire « J'ai trop mangé » ou encore un « Tiens, il serait temps que je me fasse un petit régime » (cool, y'a des sociétés comme j'aime bien qui nous proposent des menus diététiques vite fait bien fait et nous garantissent de perdre dix kilos en deux mois et sûrement pour pas beaucoup plus chers, -ou si peu- qu'un repas standard qu'on aurait préparé soi-même, comme si on avait le temps avec notre rythme de vie effréné, ils nous font rire avec leur limitation de vitesse à 80 km/heure).
Et on s'installera dans notre canapé pour regarder un film sur notre TV Ecran extra large pour vite oublier ces images de la réalité. Et si une petite image désagréable nous harcèle encore sous les yeux, (oouhh, la méchante image qui fait mal aux yeux) on n'aura qu'à se rassurer en se disant qu'il y a au moins un mal pour un bien : ok, ils n'auront pas plus de patates mais avec le réchauffement de la planète, y'aura moins de SDF qui mourront de froid l'hiver (y'a qu'à voir ces records de température en janvier, ça donne du baume au coeur quand même, j'en parlais encore l'autre fois à ma voisine)… Enfin bon, j'dis ça, pas sûre que ce soit la solution. Déjà, on ne sait plus quoi faire de nos vieux, la population vieillit, les Ehpad se multiplient plus vite peut-être que les abeilles qui meurent.
Au moment des fêtes et des soldes, des opérations spéciales (pour la St Valentin, la fête des mères, la fête des grands-mères, Pâques, les vacances d'été, la rentrée, Halloween, Noël, j'en oublie ?), les boites aux lettres sont gavées comme des oies de prospectus sur toutes les bonnes affaires à ne pas manquer. Prospectus qui finiront en un rien de temps à la poubelle, dans le meilleur des cas dans la poubelle jaune… Tant pis si les forêts brûlent. Si le poumon de la mère Terre commence à ressembler à un poumon de gros fumeur de cinquante ans. Elle est plus vieille déjà, notre planète, elle a de la chance. Et tout a une fin, faut pas se leurrer, même les plus belles histoires d'amour.
A la télé, des dizaines de reportages évoquent l'évasion de Carlos Goshn. Ça change de Kim Kardashian ou de l'affaire Halliday. Y'aura sûrement un film sur la rocambolesque évasion de Goshn, sa personnalité atypique qui a gagné des millions et dépensé tout autant. D'accord, il a les dents longues, il se la joue un peu perso, il est dans son monde à penser que tout lui est dû, mais il est quand même très intelligent, il a réussi et est donc bien plus captivant que le quotidien de ces ouvriers à la chaîne de chez Nissan ou Renault qui peinent sous le labeur (CQFD). On parle déjà d'eux quand même avec les gilets jaunes, surtout quand ça pète et que ça flambe.
Et tant pis si, du coup, aux informations, on a vite oubliés (voire on passe sous silence) l'Amazonie qui brûle, les ours polaires, les guerres, les famines, les pays qui souffrent de sécheresse.
C'est moins glamour, ça nous empêche de digérer notre repas un peu lourd. Sinon, au pire, on a encore la possibilité de zapper car c'est trop triste, on a déjà assez avec nos problèmes, merci ça va bien, on ne peut pas porter toute la misère du monde sur nos épaules, j'ai déjà mal au dos.
Et puis moi, dans 20 ou 30 ans, la planète, peut-être que je ne la verrai plus, car je me serai fait écraser alors que je voulais attraper un bus, abimant au passage mon super jean que j'adorais (ch'uis dégoûtée), rongée par le crabe ou encore lobotomisée par la maladie d'Alzheimer. On nous a rabâché du « Carpe Diem » à toutes les sauces, fredonné Hakuna Matata, on nous a rappelé d'apprendre à profiter des petites joies du quotidien… Et maintenant faudrait que je pense à dans 20 ou 30 ans parce que la planète risque de ne plus supporter nos excès ? J'ai déjà mon cerveau qui fume à essayer de calculer le montant de ma retraite, alors, à force, ça risque de faire un trou dans la couche d'ozone.
Et puis si ça se trouve dans 10 ans, on aura trouvé une autre planète où aller vivre, suffira juste d'un long voyage en fusée et elle sera super aussi, la nouvelle planète. Alors qu'est-ce qu'on s'inquiète ?
S'il est très différent du précédent roman que j'avais aussi apprécié (« Ce que tient ta main droite t'appartient » qui traitait de Daesh), à bien y réfléchir, on trouve dans le dernier roman de Manoukian des thèmes récurrents sur l'identité, la différence, le respect entre les sociétés, l'humain (le pire et le meilleur) pour ne pas dire l'humanité.
J'ai trouvé que ce récit était un formidable plaidoyer écologique. Bien écrit, imaginatif, intelligent, sombre, qui n'empêche pas des passages très drôles. Je suis passée par toutes les émotions durant ma lecture. Qui plus est, il a su réveiller notre conscience durant quelques heures. C'est déjà pas mal. Forcément, on s'est senti égoïstes, individualistes, appartenant à cette société consumériste complètement folle, capable de détruire les terres des voisins d'à côté (parce qu'on ne va quand même pas se contenter de saccager uniquement nos champs ou la Méditerranée), juste pour notre petit plaisir personnel pour se croire vivre et importants, capables de s'autodétruire sans à peine s'en rendre compte. C'est à se demander qui sont les vrais sauvages et les êtres intelligents qui ont su se développer dans l'histoire.
Et au fur et à mesure qu'on tournait les pages, on s'est promis de faire un petit quelque chose pour changer un peu les choses, interpeler les politiques, voter vert aux prochaines élections ça fera les pieds aux autres, boycotter certaines entreprises, changer notre modèle économique, notre façon de consommer, notre mentalité d'énorme autruche occidentale. le tout est de ne pas les refermer aussi vite les yeux, une fois le roman terminé.
Et si, pour les prochaines bonnes résolutions des prochaines années, on se décidait à ajouter d'office une autre activité à notre liste ? En plus de faire un peu de sport, d'apprendre le suédois, pourquoi n'ajouterions-nous pas celui de consommer moins et surtout consommer mieux ? de faire un acte altruiste (un don, une heure de bénévolat, un geste écolo supplémentaire, limiter nos achats sur des sites de multinationales, que sais-je) ? Un p'tit quelque chose qui nous rendrait fier et nous donnerait un peu le sourire ?
Malheureusement, on ne peut pas toujours être de grands sages, impliqués et humanistes, verser toutes ces larmes de crocodile, se sentir coupables à chaque seconde, se dire que ce qui se passe dehors (d'autant plus, si ce n'est pas direct' sous nos fenêtres) nous concerne.
Faut que je pense aussi un peu à moi, sinon je vais péter les plombs. Comme j'ai été bien occupée à faire les soldes (j'ai pu enfin reprendre le métro après des semaines de galère et rattraper un peu le temps perdu), il me reste encore à regarder les derniers épisodes de la série qui cartonne en ce moment... C'est une série d'anticipation post-apocalyptique, un truc qui pourrait se passer soi-disant dans une cinquantaine d'années ou moins. C'est parfois un peu tiré par les cheveux, c'est vrai, mais les effets spéciaux sont incroyables de réalisme. Pas sûre que ça se finisse bien mais ça change des bouquins ou des films à l'eau de rose, pas plus crédibles d'ailleurs…
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