AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de enjie77


C'est très émue que je referme le livre de Valérie Manteau sur cette phrase « le Sillon est dédié à ceux dont l'absence et le souvenir résonnent entre ces lignes ».


Pourquoi suis-je autant concernée par ce pays aux faux airs de Titanic pour paraphraser Valérie Manteau. Ce n'est pas la Turquie en particulier mais c'est plutôt le symbole qu'elle représente aujourd'hui à mes yeux, celui d'un pays qui meure de la perte de sa liberté d'expression voire de sa liberté simplement et c'est cela qui m'oppresse. le sang qui circule dans mes veines charrie la mémoire d'une partie de mes grands-parents qui ont vécu une communauté de destins avec les arméniens, les kurdes, toutes ces minorités qui ont été injustement maltraitées, humiliées, anéanties. La Liberté est un trésor à nul autre pareil et la chanson « Diégo » de Michel Berger me vient en mémoire.

Et puis, restent gravés les instants douloureux, les images en direct de l'attentat de Charlie que je retrouve en filigrane dans ce livre comme ceux de l'aéroport Ataturck , la boîte de nuit Reina ou encore celui d'Ankara lors d'une manifestation.

Le 11 janvier, nous avions défilé aux côtés des kurdes. Je n'ai rien oublié, Charlie, le Bataclan, Nice, le père Hamel. A la lecture de ce livre, tout remonte, s'entremêle, pour donner à cette lecture une multitude de pistes de réflexions toutes aussi essentielles les unes que les autres.

Valérie Manteau met en scène une jeune femme, la narratrice, écrivaine en mal d'inspiration, partie à Istanbul rejoindre son amant, et qui à travers ses relations, ses balades stambouliotes, nous offre une photographie de la Turquie d'aujourd'hui. A travers ses déambulations, elle va trouver le sujet de son livre en découvrant la figure importante de Hrant Dink, journaliste turque d'origine arménienne, athé, assassiné en 2007 devant son journal « Agos » et dont la voix continue de résonner en Turquie. Elle retrace ainsi la vie de cet homme, journaliste délinquant aux yeux du gouvernement turque, cible des nationalistes et qui n'hésitait pas à écrire sur le génocide arménien.

Agos, le journal de Dink, signifie le Sillon, c'était un mot partgé par les turcs et les arméniens en tout cas par les paysans à l'époque où ils cohabitaient.

Que ce soit les assassinats de Hrant Dink, Tahir Elçi, ou l'emprisonnement de tous ceux qui veulent résister, se battre pour continuer d'écrire, de penser, Valérie Manteau sait leur redonner la parole et souligner à la fois la défaillance des autres nations devant les exigences de la realpolitik et la difficulté de lutter contre un président qui contrôle tout un système judiciaire, les médias, alors qu'un simple tweet peut vous envoyer en prison. Les individus finissent par avoir peur de parler, même de penser, et parviennent à se méfier de leur ombre. Valérie Manteau dépeint très bien cette chappe de plomb qui étouffe la Turquie.

Il faut lire le chapitre relatant le procès d'Asli Erdogan et de Necmiye Alpay, c'est effrayant et très instructif sur la dérive du système judiciaire.

Page 256 :

résonnent les mots d'Asli, dans le New Yorker, « Que ca vous plaise ou non , je suis la Turquie. Que vous l'acceptiez ou pas, nous les journalistes, les écrivains, sommes le langage et la conscience de ce pays » ou encore « je vais me défendre comme si le droit existait encore ». « le silence même n'est plus à toi », ce livre, écrit par cette femme très engagée et courageuse, en dit long sur la vie quotidienne en Turquie.

C'est une lutte permanente comme pour Elif Safak, Orhan Pamuk, le droit ne vaut plus rien.

Valérie Manteau parvient très bien à faire ressentir cette crainte diffuse qui intoxique l'atmosphère d'Istanbul depuis la contestation de la place Taksim en 2013 et qui s'aggrave jusqu'au coup d'état militaire de 2016 où les conséquences sont très bien restituées.

Je reconnais que Valérie Manteau a choisi un style de narration qui déroute au début de la lecture et qui peut malheureusement en décourager plus d'un. Il faut parvenir à cerner son système d'écriture rien que pour lire les derniers chapitres qui sont remarquables.

J'attendais la sortie de ce livre témoignage. L'écriture m'a touchée, émue. J'ai réussi à dépasser la forme pour ne m'interesser qu'au fond qui est un instantané de la Turquie. J'ai une pensée pour mes amies ou amis turques, arméniens, kurdes et pour l'un de mes acteurs fétiches, Tchéky Karyo.
Commenter  J’apprécie          6213



Ont apprécié cette critique (55)voir plus




{* *}