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Critique de Archie


Archie
08 décembre 2019
Aucun couple ne ressemble à un autre. Certains ne durent pas, pour des motifs personnels ou en raison de circonstances externes contre lesquelles on ne peut rien. D'autres durent malgré les difficultés – on pourrait presque dire malgré les impossibilités –, parce que dans le couple, chacun y tient. Dans quelle catégorie faut-il ranger le couple que forment Berta Isla et Tomás Nevinson ?

Tout s'annonçait bien pour eux. Ils sont encore adolescents lorsqu'ils se rencontrent au collège, à Madrid, à la fin des années soixante. Berta est une Madrilène pure souche, Tomás est le fils d'une Madrilène et d'un diplomate anglais. Ils sont beaux, brillants et se destinent très vite l'un à l'autre, même si, pendant des études supérieures qui exilent Tom à Oxford, ils mènent chacun de leur côté les expériences qui en font des adultes équilibrés. Ils se marient un peu plus tard. Il y aura des enfants.

Tom dispose d'une incroyable facilité à apprendre les langues, et un talent exceptionnel d'imitateur lui permet d'adopter n'importe quel accent. Des dispositions qui n'échappent pas aux services secrets britanniques, qui le voient déjà en agent spécial capable de s'infiltrer dans n'importe quel univers étranger. Et malheureusement, Tom se retrouve contraint par à un incident qui s'impose à lui, du moins le croit-il, et de ce fait, il ne pourra plus jamais échapper à des soumissions externes qui guideront sa vie et auxquelles son couple devra s'adapter… Ou pas !

Nous avons tous en tête le brio étincelant de James Bond ou de ses émules. Mais le livre de Javier Marías n'est pas un roman d'aventure ou d'espionnage. Il est l'histoire, racontée par elle-même, d'une femme qui a épousé un agent secret. Elle ne peut rien savoir des missions d'infiltration confiées à Tom, mais elle imagine les ruses, les duperies, les infamies, les meurtres commis au service secret de sa Majesté. Sans oublier les infidélités conjugales sur ordre, assumées plus ou moins plaisamment. Sans oublier non plus les menaces et les pièges mortels auxquels il faut échapper. Des menaces qui pourraient aussi s'exercer sur elle et ses enfants, dans le but de faire pression sur son mari.

Ce mari, cet homme qui dort dans son lit – quand il est là – qui est-il ? Elle a beau insister, Tom ne peut rien dévoiler, ni où il se rend, ni quand il reviendra. Donnera-t-il des nouvelles ? – « Tu le sais bien, si je ne te donne pas de nouvelles pendant un certain temps, et ce peut être long, très long, c'est parce que je ne pourrai pas le faire ». – Jusqu'où peut-on interpréter la notion de ne pas pouvoir ? Et celle de temps très long ? Combien de semaines, combien de mois faudra-t-il pour que Berta arrête d'attendre. Ou d'espérer, ce qui n'est pas la même chose. Berta, qui enseigne la littérature, relit le colonel Chabert, le retour de Martin Guerre.

Le lecteur en sait un tout petit peu plus que Berta. Quelques chapitres sont consacrés aux tribulations de Tomás. Comme un symbole : alors que Berta est la narratrice d'un parcours qu'elle trace elle-même, Tom est soumis au bon vouloir d'un narrateur extérieur.

Les années passent et les armées britanniques de l'ombre n'en finissent jamais : guerre froide avec l'Est, guerre civile en Irlande du Nord, guerre des Malouines ; un bref répit après la chute du mur de Berlin et la dislocation de l'URSS, puis viendra le temps du terrorisme international…

Dans les six cents pages du livre, on peut s'irriter de répétitions, de digressions, de détails inutiles, mais l'ensemble est très agréable à lire, car on se laisse captiver par la destinée de Berta et de Tom. L'écriture est superbe, avec un excellent travail de traduction. Les phrases sont longues et complexes, mais onctueuses, harmonieuses. Et après tout, ces répétitions, ces digressions, ces détails inutiles correspondent aux tourments ressassés par la narratrice, une femme qui ne cesse de s'interroger et qui souffre de ne rien connaître de la vie – si vie il y a toujours ! – d'un mari qu'elle aime.

Berta et Tomás sont des littéraires. Ils trouvent dans des vers de T.S. Eliot, un sens qui éclaire leur relation, et c'est chez Dickens que Berta déniche la conclusion qui s'impose : « Chaque créature humaine est constituée pour être un secret et un mystère profonds pour chaque autre ».

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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