J’étais habituée au supplice du miroir, à prendre des vérités en pleine figure.
Mes enfants me témoignaient un amour merveilleux, désintéressé, instinctif, qui grandissait avec eux ; mais l’amour que j’avais reçu de Simon était d’une tout autre nature. Je m’étais sentie désirée, appréciée, respectée, précieuse. Et cela me manquait, tellement. Avec lui avait disparu quelque chose que je n’imaginais pas me manquer aussi cruellement.
L’ignorance était une bénédiction, et elle me manquait déjà.
Je me demandai ce qui faisait défaut à mon père pour qu’il soit incapable de garder Doreen. Pourquoi ne l’aimait-elle pas comme Elaine aimait son mari ? Que lui manquait-il pour que ma mère éprouve le besoin d’aller se réfugier dans les bras d’un autre ? Il ne lui manquait rien, bien sûr. Ma négativité masquait à peine mon propre sentiment d’échec en tant que fils. Je savais très bien que l’homme qui me donnait tout ce qu’il pouvait avait ses limites.
En tant qu’enfant unique, j’étais fasciné par le monde étrange des relations entre frères et sœurs – leur manière de jouer, d’apprendre, de se disputer. Je leur dois ma première définition de la famille. Mais les regarder vivre engendrait chez moi du ressentiment à l’égard de mon père.
Je lui étais juste reconnaissant de ses attentions maternelles, quand bien même elle n’était pas ma mère. Plus tard, Shirley essaierait de me materner, mais je n’aurais plus besoin alors de ces attentions-là.
J’étais consterné de voir comment quelque chose que l’on avait jadis entouré de tant d’attentions pouvait être sciemment abandonné, même si l’ironie de la situation, ou plutôt le parallèle avec ce que je vivais, ne m’échappait pas complètement.
J’étais tombé amoureux de ses qualités autant que de ses défauts. J’avais accepté ses imperfections comme je ne l’aurais jamais fait pour rien ni personne. Je savais aussi qu’on ne règle pas un problème structurel en se contentant de masquer des fissures. Je mourais d’envie de faire en sorte que le Routard International redevienne l’hôtel de la Côte.
Certaines personnes dressent des barrières pour se protéger d’elles-mêmes ou de ceux qui partagent leur douleur. D’autres se ferment totalement, ou bien encore portent le deuil jusqu’à la fin de leur vie. Les plus courageux acceptent la situation et vont de l’avant.
J’étais une mauvaise mère, je veux bien l’admettre. Mais, regonflée à bloc par le nouvel intérêt que l’on nous portait, je placardai partout – dans les villages environnants, les gares routières et ferroviaires, les hôpitaux, les bibliothèques et les foyers municipaux – des affiches que j’avais imprimées moi-même, avec une description et une photographie de Simon.