Jeanne qui, les bras ouverts, l avait accueilli, lui, le jeune réfractaire du STO...Jeanne qui inspectait son linge de corps pour le prendre en flagrant délit de libertinage...Jeanne qui cachait son unique pantalon pour l empêcher de sortir...Jeanne qui ne supportait pas de l entendre chanter des airs de son Midi natal de peur qu il ne retourne chez Elvira...
Jeanne qui devenait furie quand les femmes lui manifestaient une attention trop marquée...Jeanne qu il conduisait à Paimpol avec sa ménagerie...Jeanne qui venait de se remarier avec un ivrogne...Celle qui l avait logé, blanchi et nourri avait été toutes ces femmes à la fois. Elle venait de disparaître pour toujours et cet adverbe de temps lui faisait l effet d un coup de poignard en plein cœur.
Pendant que l'on descend le cercueil dans la tombe fraîchement creusée, Georges ferme les paupières sur ses yeux rougis de chagrin. Demain, il ira porter 50 000 francs à sœur Odile. Des images fugaces de celle qui fut " ni tout a fait la même ni tout a fait une autre" viennent se telescoper dans son cerveau endolori par le chagrin : Jeannette qui lui envoyait des colis à Basdorf et qui avait apporté son cofinancement pour ses premiers ouvrages...
Jeanne aime la fantaisie, les gens qui ne marchent pas dans les clous, le swing, Charles Trenet et les mots doux… L’existence n’a pas toujours été tendre avec elle. Sa vie ressemble à celle d’un bon nombre de paysannes bretonnes montées à Paris au début du siècle. Pour trois francs six sous, elle effectue, le dos courbé sur la machine des travaux de couture.
Il aime se comparer à un vieil Indien qui traîne dans sa musette les ossements de ses ancêtres. Il déteste la mort et conchie cette idée révoltante de s’habituer à l’absence de l’autre même si les souvenirs restent vivaces…
Respect, pudeur. Georges tient à son intimité. Quant à l’amour, il l’entoure d’un halo sacré. Le quotidien pour lui revêt un caractère trivial ? Drôle de spectacle que d’assister à la toilette de l’être aimé. La femme, la sienne, doit garder un part de mystère…
On ne devrait jamais demander à quelqu'un s'il est heureux, parce que c'est indiscret.
Les fantômes du passé reviennent plus souvent qu’à l’accoutumée peupler ses nuits et maintenant ses journées. La camarde rode.
Avec le corps inerte de Jeanne que l'on met en bière, c'est une partie de Jo que l'on enterre. Il était un chien fou quand Jeanne le connut, l'aimait et l'hébergeait dans "la cour des miracles " de l'impasse Florimont . Elle lui fit co fiancé toutes ses années de vaches maigres. Le succès est venu, il demeura chez elle. Mais chez elle, il était chez lui avec Marcel, auprès de son arbre. Et puis Marcel, Jeanne et l' arbre sont morts.
Georges cultive le paradoxe et ne s' en cache pas .S'il fait des chansons, c'est pour se plonger dans un monde qu'il crée selon ses envies et se détourner du quotidien...Il préfère, à la réalité de l'ordinaire, ces voyages intérieurs.
Une année est fractionnée par un disque et huit nouvelles chansons et un récital de music-hall.