Citations sur Croire aux fauves (189)
Le dessous du visage, le fond humain des bêtes, c'est ce que l'ours voit dans les yeux de celui qu'il ne devait pas regarder ; c'est ce que mon ours a vu dans mes yeux. Sa part d'humanité ; le visage sous son visage.
Les ours ne supportent pas de regarder les yeux des humains, parce qu'ils y voient le reflet de leur propre âme. Tu comprends ? Pas trop, non, je réponds. C'est simple pourtant Nastia. Un ours qui croise le regard d'un homme cherchera toujours à effacer ce qu'il y voit. C'est pour ça qu'il attaque inévitablement, s'il voit tes yeux. (...) Les ours ce qui les différencient de nous, c'est qu'ils ne peuvent pas se regarder en face.
J'aime regarder l'eau qui coule sous la glace. Ce trou, cinquante centimètres de diamètre, c'est comme une fenêtre, une lucarne. Un point de vue sur le monde d'en dessous où tout est encore en mouvement, alors qu'en surface c'est immobile, désespérément statique. Ne pas se fier à l'immédiatement donné à voir, je pense chaque fois. Regarder plus loin ou plus profond, vers ce qui est caché.
Tu étais déjà matukha [mot évène qui signifie "ourse"] avant l'ours ; maintenant tu es miedka, moitié-moitié. Tu sais ce que ça veut dire ? Ça veut dire que tes rêves sont les siens en même temps que les tiens.
Daria est une guerrière, une vraie. A Tvaïan, la vieille idée selon laquelle les hommes chassent et les femmes cuisinent est un leurre absolu, une jolie fiction d’Occidentaux qui peuvent dès lors être fiers de l’évolution de leur société et du dépassement des présumés rôles genrés. Ici, tout le monde sait tout faire. Chasser, pêcher, cuisiner, laver, poser des pièges, chercher de l’eau, cueillir des baies, couper du bois, faire du feu. Pour vivre en forêt au quotidien, l’impératif est la fluidité des rôles ; le mouvement incessant des uns et des autres, leur nomadisme journalier implique qu’il faut pouvoir tout faire à tout moment car la survie concrète dépend des capacités partagées lorsqu’un membre de la famille s’absente.
Tu as rêvé, elle chuchote. Oui. Qu'as-tu vu cette fois ? Des chevaux, des centaines de chevaux dans la neige. Bien, elle dit. Les chevaux, c'est toujours bon signe. Ils ne sont pas loin, ils te parlent. Ils n'ont rien dit, je réponds. Ce n'est pas avec des mots qu'ils te parlent, parce que tu ne les aurais pas compris. Si tu les as vus, c'est qu'ils te parlent.
Les personnes comme Daria savent qu'elles ne sont pas seules à vivre, sentir, penser, écouter dans la forêt, et que d'autres forces sont à l’œuvre autour d'elles. Il y a ici un vouloir extérieur aux hommes, une intention en dehors de l'humanité. (...) Dans la phrase "les ours nous ont fait un cadeau", il y a l'idée qu'un dialogue avec les animaux est possible, quoiqu'il se manifeste rarement sous une forme contrôlable ; il y a aussi l'évidence de vivre dans un monde où tous s'observent, s'écoutent, se souviennent, donnent et reprennent (...).
Vivre ici c'est attendre le retour. Des fleurs, des animaux migrateurs, des êtres qui comptent. Tu es une parmi eux. Je t'attendrai.
Voilà ma libération. L'incertitude : une promesse de vie.
J'ai perdu ma place, je cherche un entre-deux. Un lieu où me reconstituer. Ce retrait-là doit aider l'âme à se relever. Parce qu’il faudra bien les construire, ces ponts et portes entre les mondes ; parce que renoncer ne fera jamais partie de mon lexique intérieur.