La cohabitation de deux sous-officiers dans un même groupe, surtout dirigé par une femme, ne va pas être facile. C’est regrettable, mais Cestero sait qu’il en est ainsi avec beaucoup de ses collègues, et Txema n’est pas une exception.
Cela correspond davantage à un profil typiquement psychopathe. La tulipe, la retransmission… C’est un loup solitaire, froid et calculateur. N’oublions pas qu’il avait beaucoup d’éléments à coordonner. À commencer par les services des machinistes. Il n’a pas choisi n’importe quel train, remarque Silvia.
Il y a des rumeurs, plutôt fondées, selon lesquelles Natalia lui était infidèle. Nous ne pouvons écarter une vengeance du mari. Bien sûr, son alibi a l’air en béton. Il faudrait voir ce qu’il a fait dans les minutes qui ont précédé l’accident. Y a-t-il eu un arrêt inhabituel ? Il y en a sûrement une trace quelque part.
Ce n’est pas agréable, quand on rentre du commissariat, fatiguée, de trouver Andoni vissé devant la télé à plein volume avec une série de Netflix. Comment peut-il passer des heures entières à gober tous les épisodes les uns après les autres en fumant comme un pompier ? Il n’est même pas foutu d’ouvrir la fenêtre pour chasser les odeurs de tabac… Quand il s’agit de tabac, car lorsque ses moyens le lui permettent, ce sont des joints qu’il grille avec entrain.
Cestero a été jeune, elle aussi. Diable, elle l’est encore, et il lui est aussi arrivé de consommer un peu plus que du tabac, mais la moindre des choses est d’aller fumer sur le balcon pour ne pas incommoder la personne qui vit sous le même toit.
Natalia n’est pas une citoyenne ordinaire, c’est la journaliste vedette, celle qui a l’émission matinale la plus écoutée dans la région de Gernika. Julia s’inquiète. Elle voit déjà la presse épier le moindre de ses mouvements et demander sans cesse où en est l’enquête. Là, ça ne va pas être facile.
Le choc d’avoir écrasé quelqu’un peut rendre flou le visage de la victime et y calquer à sa place celui d’une personne proche. C’est peut-être le cas. Mais ça ne change pas grand-chose : une femme a été froidement assassinée sur une voie de chemin de fer.
Elle déteste avoir l’air de réciter une formule de politesse : en réalité elle pense tous les mots qu’elle prononce. Ils lui raclent la gorge et elle a du mal à enfiler deux syllabes de suite.
On n’affronte pas de la même façon une scène désagréable en plein jour ou à la lueur des lampes.
Il n’est déjà pas facile de sonner à une porte et d’annoncer le décès d’un être chéri, mais c’est pire d’évoquer l’hypothèse d’un suicide. Comment expliquer à une personne que son fils, sa sœur ou son mari a choisi une route qui va inévitablement provoquer chez ses proches des sentiments de culpabilité difficiles à surmonter ?
Dans les yeux de sa femme, Santi lit une terreur comme il n’en a jamais vu. Ses propres yeux n’expriment sans doute pas un message plus rassurant. Il est trop tard. Un train ne peut pas s’arrêter net. Natalia est condamnée.