AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de NicCarca


Agnes Martin-Lugand s'est distinguée grâce à son livre Les gens heureux lisent et boivent du café, sortit via l'auto-édition considéré parfois à tort ou à raison comme une voix de garage dans le milieu du livre. L'autrice a une petite dizaine de livres à son actif et les critiques sont plutôt dithyrambiques. Michel Lafont, édition classique donc, publie La Datcha. C'est le premier ouvrage de AML que je lis.


Pour la forme. le livre fait environ 340 pages, est raconté à la première personne en strict narration interne, c'est à dire que l'on vit l'histoire à travers les yeux et les pensées du protagoniste. Ici il s'agit d'une femme, Hermine. le choix est pertinent dans le sens ou ces thématiques abordés sont traités avec nettement plus d'intimité et d'immersion que si l'autrice avait opté pour la troisième personne.
L'originalité réside dans le saut dans le temps entre le prologue et le début réel du roman. Hermine passe de 21 ans à 41 ans et on oscille donc entre des moments à l'instant T, le présent, à des évènements antérieurs via l'utilisation de « mini flash-back ». Si le recours à ce procédé n'est pas un problème en soi, il est toujours très intéressant, voir essentiel, d'avoir accès à des moments clés du passé d'un ou plusieurs personnages, sa mise en pratique n'est pas particulièrement bien gérée. Car son utilisation répétée, et parfois vraiment exagérée, donne vite le tournis et rend le tout très artificiel.
le phénomène est amplifié de par l'utilisation à outrance de la technique du « on dit » à défaut du « on montre ». On nous dit que X personnage est courageux alors qu'on pourrait montrer, le courage du même personnage lorsqu'il prend part à une rixe ou il se retrouverait à deux contre cinq. Ce n'est qu'un exemple. le problème avec cet outil du « on dit » est que nous n'avons que la parole du narrateur et qu'à défaut d'avoir assisté et vécu une scène dans laquelle la bravoure d'un personnage est démontrée, on se retrouve avec une information bien fade et il est très difficile de parcourir un voyage aux côtés des protagonistes.

Comme si ça ne suffisait pas la gestion de la tension et du suspens laisse aussi à désirer. L'histoire s'arrête parfois soudainement par un saut de ligne et un nouveau paragraphe, pour nous expliquer via le « on dit » pourquoi un tel agit de cette façon dans le bloc de texte précédent. Un peu comme une biographie sortit de nulle part mais qu'on se doit de lire pour pouvoir découvrir la suite et, comme dit plus haut, l'information fournit n'est pas assez consistante pour reconnaître la pertinence de cet aparté. Les « mini flash-back » disparaissent à environ la moitié du livre. Leur interventions abusives et soudaines brise l'immersion et entretient la tension de façon si mécanique qu'on perçoit très vite les rouages (en coulisse) de cette technique. Un peu comme les cliffhanger sans intérêt qui n'ont en tout et pour tout que le rôle de passer au chapitre suivant.
Une autre facilité est prise par l'auteure dans le chapitre 3 ou on passe soudainement à une narration externe, omnisciente, à la troisième personne. Si encore le livre était scindé par un partage des deux points de vue, forme hybride, pourquoi pas. Mais c'est le seul passage du livre qui se trouve dans ce cas. Là ou on aurait pu en apprendre plus sur les personnages qui sont évoqués via des dialogues, par exemple, on nous sert un bloc de texte très indigeste. À croire que l'autrice a fait un copié collé de ses fiches personnages et, hop, ça fait un chapitre.
La plume est simple et modeste. Pas besoin d'un style ampoulé avec des structures de phrases complexes pour rendre une lecture passionnante et émouvante. Mais ici aussi ça coince. Les répétitions sont légions que cela soit dans les mots ou les expressions. Il doit y avoir une bonne cinquantaine de « Je pris une grande inspiration pour me donner du courage » sur 340 pages. le calcul est simple. le vocabulaire est également très pauvre. Les verbes être, avoir et faire pullulent. Il me semble que La Datcha est le neuvième livre de AML. Il n'est pas déraisonnable de s'attendre à un peu plus sophistiqué que cela.
On note également que l'autrice prend souvent la liberté de faire un résumé d'une conversation à la fin d'un dialogue. Dans le cas ou le lecteur n'est pas assez attentif ou simplement idiot ? Ce n'est pas très agréable mais ça a le mérite de faire du remplissage.
En bref si aux premiers abords le roman peut se montrer original par sa forme il n'en est rien. C'est bancale, d'où les raccourcis narratifs qui sautent de plus en plus aux yeux au fil de la lecture.


Pour le fond. Hermine vit de façon marginal depuis plusieurs années. Elle se réfugie dans la chaleur d'un bistrot quelconque ou elle fait la connaissance d'un homme qui lui offre un travail dans l'hôtel qu'il tient avec sa femme. L'héroïne accepte et se retrouve donc à La Datcha. C'est le prologue. Et ça ne commence pas vraiment sur les chapeaux de roues. Car si on peut comprendre « l'instinct de survie » qui la pousse à entrer dans ce troquet (elle est fatiguée et frigorifiée) on est droit d'attendre un peu plus de méfiance vis à vis de cet inconnu qui l'emploi de but en blanc d'autant plus que ses années dans la rue ont probablement dut aiguiser sa vigilance. Mais non. Elle va même jusqu'à somnoler pendant le trajet. En l'espace de quelques pages on nous sert le coup de l'instinct, (elle rentre dans le bistrot) du coup du sort (une proposition d'emploi qui tombe du ciel) et de l'intuition (elle sent qu'elle peut faire confiance à cet homme). Mais bon, il faut bien amorcer l'histoire, alors soit.
Vingt ans plus tard le tenancier de l'hôtel, Jo, décède. Ce qui sème un trouble et un vide au sein de la Datcha, lui et sa femme constituaient le poumon et l'essence du lieu. Depuis son arrivée Hermine est passée de femme de chambre à la direction et la gestion à mesure que les propriétaires vieillissaient. Ils lui ont légué leurs savoirs, leurs valeurs. Ce sont ses parents de substitution. le protagoniste est d'ailleurs elle même mère de deux enfants, séparée de son conjoint mais avec qui elle reste en bon terme. Toute la question va donc être de savoir et découvrir la gestion de ce deuil et ce que l'avenir réserve à l'emblématique lieu connu et prisé dans toute la région mais aussi au delà.
La Datcha tient une place presque aussi importante que l'héroïne. Dès la fin du prologue, en en quatrième de couverture d'ailleurs, c'est décrit comme « majestueux, imposant, féerique ». Et il faudra se contenter de ça. Car même si on imagine sans mal la disposition des différentes pièces de l'hôtel les descriptions sont minimalistes, générales et passe partout. Très peu d'éléments, voir aucune, ne distingue La Datcha comme un lieu particulièrement atypique. Les couleurs sont absentes, les perceptions via la vue, l'odorat et le toucher sont dérisoires, tout comme l'atmosphère générale. de la même façon la région, le Lubéron, est transcrite de façon très sommaire : il y a du soleil, des montagnes ici et là et les insectes grésillent. Point. La Datcha dispose d'un restaurant géré par un cuisinier hors pairs. Pourtant la gastronomie local n'est pas mise en avant, il faut se contenter des ravioles au pesto qu'il sert à Hermine tout au long du livre. Seul un passage oblige le chef à varier sa carte. En somme on nous dit que le lieu est un petit bout de paradis mais dans les faits, ici ou ailleurs, l'histoire se serait dérouler de la même façon. le titre du livre porte le nom de l'hôtel. Mais c'est à peu près tout ce qui le caractérise.

Hermine tient donc depuis des années les rennes de la Datcha et est très efficace dans son travail. Elle a le soutient de l'ensemble de l'équipe et est reconnue par ses paires. Elle se décrit elle même comme une personne forte, combative et déterminée. Elle travaille très dure mais a toujours du temps à accorder à ses enfants. Ça c'est ce « qu'on dit ». Car dans les faits elle ne s'exprime qu'à travers les larmes ou la colère. Un rien suscite instantanément l'un ou l'autre peu importe si son interlocuteur a des questions légitimes ou saugrenues. D'ailleurs la plupart des personnages ne sont animés que par la joie, du coup ils sourient, rigolent, ou la colère, ils hurlent. C'est à peu près l'éventail de réactions générale. C'est très binaire. La tristesse et la fureur d'Hermine se manifestent autant avec les autres qu'avec elle même. Si on peut se montrer indulgent, au début, étant donné qu'elle vient quand même de perdre son père (symbolique) elle réagit exactement de la même façon au fur et à mesure des situations auxquelles elle est confrontées.
Pourtant au vue de son parcours, surtout professionnel, elle est tout de même à la tête d'un hôtel important, on imagine aisément le rythme effréné de la profession, les imprévus, les comportements des clients, etc, on peut s'attendre à ce que cela ait eut un effet formateur sur sa personne. Pour faire ce métier mieux vaut avoir les reins solides et une maîtrisé de soi assez développée. Mais elle ne fait que pleurer pendant 340 pages. du coup, arrivé à la centième page, on finit par lui retire le bénéfice du doute et on la perçoit telle qu'elle est : enfantine et immature. Pis, elle se montre très irresponsable et peu professionnelle. La disparition de Jo éveille des questions sur la suite des évènements, que va t-il se passer ? La Datcha va t-elle être rachetée ? Les employés misent à la porte ? À aucun moment elle ne se soucis de leurs avenirs, de ces gens qu'elle prétend aimé comme sa famille mais pour qui elle ne prend aucune initiative responsabilisantes pour répondre à leurs craintes. Elle ne s'y intéresse vraiment que lorsque ça la concerne directement.
Ce suivi de ses émoi est de plus en plus dérangeants lorsqu'on nous sert un flash-back de dernière minute pour nous expliquer pourquoi elle se comporte de cette façon. Sauf qu'au énième ça ne prend plus et cela sonne plus comme une excuse qu'un simple tenant et aboutissant. Là encore c'est une facilité prise par l'auteure pour tout simplement attendrir le lecteur. Mais le lecteur n'est pas dupe. À force on est même plus compatissant.Le plus consternant est que ses enfants, Alex et Romy, sont nettement plus matures et sages que leurs propres mère.
Les autres personnages sont sans saveurs et ne sont là que pour remplir un rôle scénaristique et narratif. Ici encore c'est très mécanique. Charles le meilleur ami cuistot et ses éternels ravioles au pesto, sa femme qui ne sert strictement à rien dans l'histoire et qui est là probablement pour faire en sorte que le type ne tombe pas dans le cliché du meilleur ami gay, un ami de la famille, Gaby, bougon et bon vivant qui endosse la responsabilité de Hermine à croire que seul un homme peut régler les problèmes de la succession. Samuel, le père des enfants, plein de bonnes attentions mais qui passe pour un vilain petit canard rancunier et médisant alors que Hermine l'est tout autant. Et enfin Vassily, soit le retour du fils prodige qui tient le destin de tout le monde entre ses mains.

Au delà des personnages l'intrique peine à démarrer et s'étale sur des pages et des pages entières dans une succession de péripéties sans intérêts ou on est forcé d'assister aux failles du livre d'un point de vu structurel, à des caractères creux, des émotions qui changent subitement d'un paragraphe à l'autre frisant parfois la schizophrénie, particulièrement chez Hermine. On nous dit tout et son contraire, les rares actions des personnages trahissent leurs prétendues psychologies. C'est épuisant. le roman a clairement cent pages de trop.
Impossible de rentrer plus en détails pour éclairer les propos cités plus haut sans faire de spoilers, ou rendre cet avis interminable. Alors pour faire court :


La relation entre Hermine Jo et Macha. Ce n'est pas de l'amour c'est de la lâcheté. Ils ne se soucient ni l'un ni l'autre de leur fille adoptive et sa place dans La Datcha.

Hermine et Samuel. Tout sonne faux, Hermine est tellement immature qu'on se demande comment ils ont pu rester en bon terme pendant deux ans et comment Samuel a pu prendre la décision de faire des enfant avec une telle inconsciente.


Hermine et Vassily. Fuis moi je te suis. Un pas en avant dix en arrière. Amour impossible. Mais aucune explication pour justifier de leurs attirances mutuelles. On se demande vraiment pourquoi ils s'aiment. Vassily est le stéréotype de l'homme fort et puissant mais son parcours scolaire et personnel est si chaotique qu'on se demande comment il peut être à la tête d'un complexe hôtelier international. le personnage est complètement incohérent. Il claque des doigt et Hermine obéit. Consternant.


La fin. Un petit demonus ex machina puis un deus ex machina et le tour est joué. le tout plâtré avec un monologue de Vassily qui s'étale sur un chapitre entier. On retrouve les traditionnels amitié/fratrie brisé, amour triangulaire etc. Vu et utilisé jusqu'à la corde. Personne ne pleur sauf Hermine qui chiale pour la 137e fois. le lecteur est pris pour un idiot. Impossible d'avoir accès à des informations pour mettre sur la piste de la vérité.



Pour aller plus loin. Donc bien évidement que non je ne recommande pas la lecture de la Datcha. J'ai perdu six heures à lire un roman bancal, bâclé, aux personnages qui laissent indifférent ou qui agacent très clairement. Aussi je ne comprend pas les critiquent qui encensent ce livre. Je ne regrette cependant pas d'avoir passé deux heures à écrire cet avis. Si ça peut éclairer quelqu'un qui hésite c'est toujours ça de pris.
Dans la même thématique (deuil et amour impossible/perdu) et pour élever un peu le niveau, je recommande Poussière d'homme de David Lelait. Tout simplement bouleversant.
Commenter  J’apprécie          7712



Ont apprécié cette critique (32)voir plus




{* *}