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Critique de Fabinou7


J'aime lire du théâtre car, comme dans un script, il n'y a que les dialogues, c'est une forme littéraire dynamique et qui laisse beaucoup de place à l'imagination, sur deux niveaux d'ailleurs, car on imagine à la fois la mise en scène et l'histoire, le faux et le vrai salon, l'acteur et le personnage.

“On est chacun, devant sa propre vie, comme devant une charade… on cherche le mot. Il y en a qui le trouveront peut-être… A la fin, trop tard pour que ça serve… Tout de même : ça doit être un rude soulagement.”

Cette pièce du Prix Nobel de littérature français Roger Martin du Gard est, pour reprendre le titre de la chanson de Diana Ross, diva des Supremes, le “coming out” littéraire de l'écrivain, resté sa vie durant bien plus discret que les contemporains qu'il fréquentait. Néanmoins aborder le sujet de l'homosexualité (masculine et féminine) par la voix populaire et vivante du théâtre, surtout dans les années trente, bien moins conciliantes que les années folles, me semble un pari tout aussi risqué et courageux que les publications plus clandestines sinon anonymes des écrivains de son temps comme le Corydon d'André Gide, son grand ami, ou encore le Livre Blanc de Jean Cocteau. Les indiscrétions de correspondance ou de journal, à l'image de celui (non expurgé) de Julien Green finissent par nous renseigner plus amplement sur la vie amoureuse de Martin du Gard, qu'il vivait loin de Paris et de son épouse, comme beaucoup de bourgeois de son temps, dans les lieux interlopes du Berlin d'entre-deux guerre, guidé par l'adrénaline de rencontres clandestines ou vénales.

Drame en trois actes, monté en 1933 avec Louis Jouvet (l'inoubliable Docteur Knock adapté de Jules Romains) et le fils du peintre Renoir, “Un Taciturne” joue évidemment sur les sous-entendus, les regards appuyés, et certaines et certains spectateurs (in) ou (a)vertis ont du comprendre bien avant leurs voisins de siège de quoi il retournait vraiment. Histoire encore sulfureuse pour l'époque, où le jugement du dramaturge, qui ignore toutes considérations morales au profit de l'amour, ne suffira pas à faire échapper son drame à la seule issue socialement acceptable pour l'époque.

“WANDA.— C'est donc bien amusant d'expliquer, de force, aux autres, ce que vous croyez qu'ils sont ?
ARMAND.— Passionnant ! Et puis, c'est ma seule supériorité…Laissez- la moi ! Une arme de faible, peut-être… tant pis !
WANDA.— Une arme empoisonnée ! Qui laisse du vitriol dans la plaie…
ARMAND.— Tant pis ! Sur le moment, ça brûle peut-être un peu… mais, je vous assure, ça assainit !”

Sentiments inconscients, honte de soi, bonheurs contrariés et sensualité sont au menus, le tout servi dans une prose magnifique. Toujours avec la finesse dans les observations qui caractérise Martin du Gard, comme par exemple sur le travail qui dévore l'existence, et qui, à l'heure du télétravail et de la semaine de 4 jours ou de 32H, résonnent plus que jamais : “croyez-vous que l'homme, le vrai, pourra jamais avancer d'un pas pris comme il l'est maintenant dans cet engrenage ? Il a fini par perdre complètement de vue qu'il aurait tant de meilleurs façons d'organiser sa villégiature sur ce globe !”.
Enfin, quelques effets d'humour viennent brièvement dégager un ciel narratif qui n'a de cesse de s'assombrir.

A redécouvrir, toute l'année bien sûr, mais plus particulièrement peut-être, en ce mois des fiertés !

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