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Critique de Christophe_bj


Hélène a une petite quarantaine d'années et, bien qu'issue d'un milieu modeste, a fait une école de commerce du « top 10 » (donc pas la meilleure). Après un burn-out, elle a décidé de quitter Paris et a retrouvé un poste dans le conseil dans sa province natale, le « Grand Est », obligeant son mari à quitter un « poste en or » chez Axa, et ses deux filles, une fillette et une préado, à la suivre. Là, elle tombe sur Christophe, un ami d'enfance, commercial dans le secteur de l'alimentation animale confronté à des objectifs quasiment impossibles à atteindre, qui a eu son heure de gloire dans l'équipe de hockey d'Epinal et qui envisage de rechausser les patins. Lui n'a jamais quitté sa province et est en instance de divorce avec Charlie, avec qui il a un jeune fils, Gabriel. ● J'ai retrouvé avec un vrai bonheur le style magnifique de Nicolas Mathieu, dont je m'étais déjà délecté dans ses autres livres, Aux animaux la guerre (2014), Rose Royal (2019) et bien sûr son Goncourt 2018 Leurs enfants après eux. Je trouve son style d'un grand raffinement et j'adore ses fulgurances, en particulier ses métaphores et ses comparaisons. Par exemple : « Novembre est gris des façades jusqu'au ciel, et la Moselle même n'a plus de couleurs. Sous les ponts, elle coule avec une lenteur d'huile, on dirait des larmes. » « Charlotte pleurniche et un peu de salive coule sur ses lèvres qui ont pris une drôle de teinte, d'un rose intestinal. » « Dans le battement stroboscopique de la lumière, son corps blanchâtre luisait comme celui d'un lamantin. » « [I]l fermait si fort les paupières qu'on aurait dit des bouches. » « Aldo, le père de Jenn, versa le charbon de bois dans un barbecue et, les bras croisés, regarda la braise rougir avec une satisfaction néandertalienne. » ● Nicolas Mathieu est aussi un analyste très fin de notre société, il connaît à merveille les gens de la France périphérique et les restitue sans manichéisme, avec beaucoup d'humanité. Il sait également très bien parler des entreprises de conseil, qui vendent à prix d'or du vent emballé dans une novlangue atroce, notamment aux administrations, en particulier aux collectivités locales et tout spécialement aux « grandes régions » nouvellement créées grâce à la lubie de François Hollande. S'il n'est pas le premier à le faire, il le fait particulièrement bien : « Il s'agissait aussi de leur apprendre à se comporter en vrais managers, ne bougez pas trop vos mains quand vous parlez, posez votre voix, évitez les phrases à la forme négative, enfin toute cette psychologie tragique faite de lieux communs et de sommaire manipulation qui tient lieu de science dans les hauts lieux de la décision. » ● Il comprend aussi parfaitement le phénomène du transfuge de classe, comme on le voit par exemple dans ce superbe oxymore : « des rouspétances soumises » ou dans ce passage : « [M]algré elle, elle conservait en soubassement des réflexes de gagne-petit, une sorte d'instinct de cocu qui lui faisait voir tout de suite la stupidité des ordres verticaux, l'inadéquation foncière entre les bonnes intentions des belles personnes et le désir lourd des existences moyennes. » ● Ses personnages sont particulièrement bien campés ; j'ai beaucoup aimé notamment la stagiaire Lison et le coup pendable qu'elle réussit, en quelque sorte l'inverse de MeToo. ● La construction du récit, qui fait alterner passé (l'adolescence des personnages) et présent (ils ont une quarantaine d'années) est habile et très bien menée. Nicolas Mathieu a un talent particulier à raconter l'adolescence. ● On sait que les scènes de sexe sont particulièrement difficiles à réussir ; Nicolas Mathieu est un maître en la matière, les siennes sont délectables : « Pour la première fois, ils échangèrent des mots de métal, de ces mots chauffés à blanc qu'on se souffle à l'oreille dans les lieux clos, la nuit, dans le noir, loin des polices et du progrès, des injures qui valent tous les compliments, des paroles honteuses qui engendrent des liens spéciaux et des complicités hostiles au monde entier. Et peu à peu, ils basculèrent dans un de ces accouplements limites. La sueur de Christophe tombait de son front goutte à goutte et Hélène ouvrait la bouche, tirait la langue. Elle disait mords-moi, plus fort, encore. Lui disait tu me sens, tiens-moi, serre-la. Ils sentaient leurs ongles dans la viande, des douleurs et des impatiences qui ordonnaient d'autres postures, des odeurs de marée et de salpêtre, des fadeurs de cosmétiques qui fondaient, des pointes acides qui autrement les auraient dégoûtés, et sous leur langue des poils, du lisse, des fronces, l'enfer de la matière, versatile et inimaginable, l'autre comme soi-même, grand ouvert, liquide, révoltant, comestible, tout entier résumé dans l'enclos des jambes et des bras. » ● Bref, c'est un superbe roman qui illumine le lecteur et que je recommande chaudement !
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