Citations sur Et mon fantôme en rit encore : Journal (1892-1944) (40)
Le philosophe est tel un alpiniste qui, à grand peine, a gravi une montagne afin d'admirer le soleil levant et qui, arrivé au sommet, ne trouve que le brouillard; sur quoi il redescend. Il faut qu'il soit bien honnête pour ne pas prétendre que le spectacle était prodigieux.
Il est des hommes à l'humour si peu développé qu'ils en veulent encore à Copernic de les avoir détrônés de la position centrale qu'ils occupaient dans l'univers.
La douleur est néfaste, et l'idée qu'elle ennoblit absurde.
Nietzsche, dans sa glorification de la souffrance, est semblable au renard qui, dans la fable, avait perdu sa queue. Son argument que la douleur forge le caractère se résume au désir de vengeance d'un homme qui a souffert.
Ce qu'il prend pour de la force n'est que le plaisir d'infliger à ses pareils la souffrance qu'il a subie.
(1896).
Un jour, un professeur de droit dit à ses étudiants :
- Quand vous défendez une affaire, si vous avez les faits de votre côté faites-les entrer dans la tête du jury, et si vous avez la loi de votre côté, faites-la entrer dans la cervelle du juge.
- Mais quand on n'a ni les faits, ni la loi de son côté ? objecta l'un de ses auditeurs.
- Alors tapez sur la table, répondit le professeur.
On lui avait donné si peu d'amour quand il était petit que plus tard cela l'embarrassait d'être aimé. Il se sentait intimidé et gêné quand on lui disait qu'il avait un joli nez et des yeux mystérieux. Il ne savait que répondre lorsqu'on lui faisait un compliment, et la moindre marque d'affection lui donnait l'impression qu'on se moquait de lui.
Il écrit des vers qui ne manquent que d'originalité pour être passable.
Saint-Laurent-du-Maroni. 1936.
Le directeur est un petit homme trapu aux grands yeux brillants, en uniforme blanc impeccable, arborant sur sa tunique la croix de la légion d'honneur. Il a des gestes exubérants et parle avec un fort accent du Midi. Il est jovial, vulgaire et ignorant, mais bon et tolérant. Il a obtenu son poste grâce à des appuis politiques. Son salaire est de six mille francs par an, auxquels s'ajoutent probablement de nombreux petits profils. Il aime ce travail qui lui permet de vivre à peu de frais et de faire des économies. Il attend impatiemment de prendre sa retraite dans dix ans, et de se faire construire une villa sur la Riviera.
Les oiseaux de riz. Ils voletaient en désordre, en bande blanche, semblables aux pensées décousues qui traversent l'esprit sans rime ni raison.
Chaque adolescent est pareil à l'enfant né dans la nuit qui, voyant le soleil se lever, pense qu'hier n'a jamais existé.
(1902)
Un écrivain n'a nul besoin de dévorer tout un mouton pour pouvoir en décrire le goût. Il lui suffit de manger une côtelette. Mais cela, il doit le faire.
(1941)