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Critique de Woland


Etoiles Notabénistes : *****

ISBN : Non connu pour l'exemplaire montré et non indiqué dans l'Edition de la Pléiade préfacée par Armand Lanoux

Cette nouvelle des plus courtes est l'une des premières écrites par Maupassant mais aussi l'une des premières qui parut dans un journal, il est vrai de province, aux alentours des années 1870. C'est donc une oeuvre de jeunesse, une sorte d'esquisse - l'écrivain reprendra le thème, en lui donnant une fin certes ouverte mais plus marquée au coin du scepticisme, dans une nouvelle bien plus tardive et simplement intitulée "La Main" - qui sent un peu son apprêté. L'auteur, peut-être plus occupé à l'époque à canoter pour oublier sa vie d'employé de ministère qu'à perfectionner sa technique littéraire, y obéit plus aux règles fantastiques, et même gothiques, que l'on retrouve par exemple dans "La Main de Gloire" (ou "La Main Enchantée") que Nerval avait déjà donnée en 1832 - s'inspirant pour sa part de l'un des contes les plus connus d'E.T.A. Hoffmann. le Maupassant que nous apprendrons à connaître, essentiellement par ses nouvelles, ce Maupassant-là paraît ici peu présent. Mais, à bien y regarder, est-ce bien certain ?

Cette "Main d'Ecorché" est en fait une sorte d'exercice de style, comme un tableau recopié par un élève d'après l'oeuvre d'un grand maître. Mais qu'importe ? Il faut bien commencer quelque part et c'est de ce filon que jailliront plus tard "La Peur" et, bien sûr, l'inoubliable "Horla" dans lequel, avec un maîtrise incontestable, le disciple et fils spirituel de Flaubert transcende et ennoblit à jamais la maladie qui va l'emporter. Aussi ne doit-on pas la négliger.

D'autant que, çà et là, quelques touches pointent, timides mais bien reconnaissables, qui sont du Maupassant. du Maupassant jeune, peut-être mais du Maupassant.

L'ambiance, d'abord. Cette ambiance pesante et enveloppante, qui vous revêt immédiatement, vous, lecteur, d'un lourd manteau de ténèbres, sans souci des chandelles clignotantes de la mansarde où la bande de jeunes gens voient débouler Pierre, retour de Normandie. Si l'auteur a produit quelques textes gaillards, voire carrément obscènes, et des nouvelles non dépourvues parfois d'une gaieté bien franche, le noir est la couleur qu'il préfère, consciemment ou pas. Quiconque a lu "Pierrot" par exemple ne me contredira pas. "La Parure" est un chef-d'oeuvre de critique sociale et d'humour ... noir. "Boule-de-Suif" est un monument de mépris envers la lâcheté humaine - un monument de noirceur également. "Yvette", la tendre et fragile "Yvette" elle-même promet un avenir peut-être luxueux à son héroïne mais incontestablement tout aussi sombre en raison de ses origines sociales, et ceci malgré la sincérité de l'amour que lui porte son premier soupirant sérieux.

Point n'est besoin de diplômes universitaires pour aimer à étudier l'évolution qui amène un auteur, de ses débuts hésitants et quelquefois peu enthousiasmants, à devenir l'un des Grands de la Littérature. En ce sens, "La Main d'Ecorché" nous fait entrer de plain-pied dans les ténèbres De Maupassant. Ces ténèbres, prescience ou pas, il les portait en lui et ce sont elles qui nous accueillent dans la mansarde des étudiants à demi-ivres. Elles encore que Pierre sort de sa poche en même temps qu'il "présente" à ses amis le fameux "grand criminel" dont il a racheté une partie de la dépouille terrestre. Elles toujours qui s'expriment, au-delà le cliché utilisé, dans la solennité avec laquelle l'étudiant en médecine, pourtant aux trois-quarts ivre, recommande au jeune homme de faire inhumer convenablement le malheureux débris humain. Et elles enfin qui emportent le reste de la nouvelle dans un tourbillon d'une rapidité quasi diabolique où un réalisme inquiétant mais qui n'avoue pas son nom côtoie une folie d'autant plus mystérieuse qu'elle demeure, en bonne logique, inexplicable.

L'ambiance .. A mi-chemin entre le Réalisme et le Naturalisme, Maupassant n'a pas choisi. Il a façonné son propre style : une ambiance forte, des détails précis mais qui ne virent jamais, comme parfois chez Zola, à l'exagération de l'accumulation, une écriture plus poétique, moins sèche que celle de Flaubert , une tendance, aussi naturelle que celle qui l'attire vers les ténèbres, à célébrer la Vie et la Nature dans toute leur beauté, des personnages qui vivent avec d'autant plus d'intensité que leur statut social est humble, des dialogues simples et naturels, sans être "parlés", où la balle passe d'un camp à l'autre avec une facilité qui n'est pas sans évoquer l'aisance et la sûreté avec lesquelles l'écrivain menait sa barque de canotier : tout cela sur un fond, réel ou connoté de fantastique, qui nous donne un ensemble cohérent, solidement planté sur des bases soigneusement calculées en dépit de l'indifférence apparente et dont le discours nous touche presque toujours au coeur.

Le but de "La Main d'Ecorché" est de faire peur et son auteur prend sa besogne à coeur. Malgré les maladresses et les clichés, avec une astuce qu'on est tenté de qualifier de bien normande, il ne laisse certes pas son lecteur sur sa faim mais il lui donne, en quelque sorte, le choix. Après tout en effet, on ne sait rien du passé de Pierre. Il doit être libre-penseur et, de surcroît, il a les audaces de la jeunesse. Pour autant, ce que nous nommons aujourd'hui l'Inconscient du malheureux héros n'a-t-il pas pu lui jouer un tour ? (En ce qui concerne "Le Horla", de nos jours, certains psychanalystes admettraient sans problèmes l'hypothèse de la dissociation, c'est-à-dire que Maupassant aurait pu se voir lui-même. Cela n'a rien à voir, précisons-le tout de même, avec un dédoublement de la personnalité et, pour ceux que cela intéressent, qu'ils lisent "Gérer la Dissociation Traumatique" de Suzette Boon, Otto van der Hart & Kathy Steele). Oui, m'objectera-t-on, mais cet incident, au cimetière ? Pure coïncidence, voilà tout. Mais la peur, cette peur monstrueuse, sur le visage de Pierre ? Eh ! bien, au lieu d'éléphants roses et de rats bleus, lui, il a vu, ou plutôt cru voir, la fameuse main accomplir les actes de son possesseur légitime avant de se retourner contre lui.

En résumé, si la fin de "La Main d'Ecorché" reste moins franchement ouverte que le sera celle de "La Main" et si la première peut se ranger sans problèmes parmi les nouvelles fantastiques de l'écrivain alors que la seconde est moins facile à cataloguer, une bonne partie de ce qui rendra Maupassant unique et lui conférera une place tout à fait à part, entre deux grands Chefs d'Ecoles littéraires, est déjà tapie dans cette nouvelle qui, à première vue, j'en suis pourtant sûre, vous paraîtra somme toute assez banale. Elle vaut pourtant le détour, croyez-en mon expérience ... ;o)
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