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Critique de Lucilou


Près de mille contes et nouvelles pour seulement six romans, mais quels romans!
Si le génial créateur du "Horla" et de "La Parure" maîtrisait comme personne l'art de brièveté, et celui, plus exigent encore, de la chute, force est d'admettre qu'il fut également un romancier de talent, capable d'injecter dans ses romans la force et l'intensité, la fulgurance qu'il mettait dans ses nouvelles. Ce trait si caractéristique est peut-être encore plus manifeste dans "Pierre et Jean" que dans les autres romans de Guy de Maupassant, peut-être parce que l'histoire de ces deux frères -plus Caïn et Abel que Castor et Pollux- est plus courte que celle de Jeanne ou de Georges Duroy ou parce qu'elle fut écrite d'une seule traite et fiévreusement (je n'imagine pas que Guy de Maupassant ait pu l'écrire sans fièvre!) pendant l'été 1887...

"Pierre et Jean" est un roman complexe et cruel. Un roman qui se lit comme il a dû être écrit, dans l'ardeur, l'exaltation. Sous tension. Un roman dont on est soulagé de tourner la dernière page. Il y a trop de non-dits dans ce coin de Normandie. Trop de rancoeurs et une violence sourde aussi.

M. Roland était bijoutier autrefois. La vieillesse et l'aisance financière venues, lui et son épouse quittent Paris pour s'installer au Havre où l'ancien boutiquier prend plaisir à jouer les navigateurs et à taquiner le poisson. Capitaine du dimanche nantis aux beaux jours de pêche de sa femme, point trop laide encore pour son âge, et de ses deux fils: Pierre et Jean.
Jean est brun, Pierre est blond.
Le premier est sec, nerveux, emporté; le second est un tendre, un doux, un peu trop sage peut-être, indolent sans doute.
Jean est un médecin insatisfait. Pierre un avocat serein.
Les deux frères s'opposent et ne s'entendent pas: le feu et l'eau, le trèfle et le carreau. Moins Castor et Pollux qu'Abel et Caïn; Tybalt et Mercutio.
Malgré ces irréconciliables différends, la famille parvient à conserver un semblant d'unité: en mère attentive, Mme Roland y veille et elle ne s'en sort pas si mal, même lorsque qu'une charmante veuve s'invite dans le tableau et la partie de pêche familiale, accentuant au passage la rivalité fraternelle. Elle ne s'en sort pas trop mal jusqu'à la visite du notaire qui va faire éclater l'orage. Ce dernier vient en effet annoncer à la famille que Léon Maréchal, un ami parisien et depuis longtemps perdu de vue, vient de mourir en léguant toute sa fortune à Jean.
Dès lors, l'inimitié larvée, tapie entre les deux frères éclate, croît et tourmente, empoisonne de son venin le cours de la vie des Roland. C'est l'avènement d'une jalousie dévorante et destructrice qui ne laisse plus de répit à Pierre qui erre sur le port brisé, mauvais.
Pourquoi Jean? Pourquoi Jean et pas lui? C'est inexplicable, incompréhensible... A moins que... Oui, peut-être... Mais non, c'est trop brutale, c'est trop atroce! Et pourtant... A moins que Jean ne fut le fils de Maréchal... Il n'y a pas d'autres raisons, si?
Dès lors Pierre ne connaîtra plus aucun répit et il fera de la vie de sa mère, cette femme qu'il aimait tant, un enfer jusqu'au moment où il pourra tourmenter son frère à son tour.
Et puis, partir peut-être, prendre la mer et disparaître.

"Pierre et Jean" est un roman réaliste, naturaliste même, d'une stupéfiante efficacité et qui s'y prend à merveille pour sonder les affres de l'âme humaine. Les pages consacrées aux tourments de Pierre, qui n'ont pas été sans me rappeler "Le Horla", sont douloureuses et magnifiques à la fois. En à peine deux-cent pages, Maupassant parvient à sculpter des personnages complexes et poignants qui nous bousculent, qui interrogent aussi la notion de famille et fraternité, le rapport au père et à la mère... Hamlet n'est pas si loin quand Pierre - qu'on croit d'abord détester avant de le regarder avec une infinie compassion- torture sa mère, non pas pour la question de l'héritage finalement, mais parce qu'elle a trahi son père, le lui rendant lui aussi insupportable. Et pour Pierre, comment ,dès lors, se sentir chez lui parmi les siens, comment?
Et par ailleurs, comment ne pas s'apitoyer sur cette mère au supplice et à la vie gâchée? Comment ne pas s'attendrir sur l'amour que ne cesse de lui porter Jean?
Même M. Roland, naïf à en pleurer (ou à en rire!) attise un rien de compassion au coeur de cette intrigue déchirante...mais pas autant, cependant que M. Marowsko. Lui, allez savoir pourquoi, il m'a brisé le coeur.










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