L'enfant dort. Dans un flot de couettes blanches l'enfant
doucement dérive. Elle est la mer. Elle est la nuit, et le cri
des mouettes dans le soir finissant. Qui est-elle ? D'où
vient-elle ? Elle ne sait plus. Elle ne veut plus. Derrière ses
paupières closes, elle hésite encore. Au bord de la vie – au
bord de son âme. En disparaissant tous les trois, ils l'ont
emportée. Surtout lui, l'ami, le frère, le complice, le
jumeau tant aimé. D'elle il ne reste rien, si ce n'est cette
déchirure et ce cri asphyxié.
p.11
Silence. Silence opaque, sans couleur, des dérives
océanes. Mouvement sans mémoire, sans commencement
ni fin qui menace encore l'enfant qui roule, glisse, sombre
‒ elle n'en finit pas de sombrer ‒ dans l'ombre de cette
masse nocturne où à son tour, elle devient ce silence, cet
abîme. Et cette masse qui, à nouveau, à grand fracas, la
presse, la serre, la broie, la pousse puis, enfin se sépare
d'elle, et s'enfuit par son nez, par sa bouche, ses oreilles. Et
toutes ses cellules qui, dans un violent tumulte, explosent,
tourbillonnent, éclatent, reviennent, traversent, investissent
une deuxième fois cette peau, ce corps, parcelle de vie que
la mer finalement rejette – dépose ? – exsangue sur le sable.
Avec le bruit, le froid. Glacial. Et le retour de la mémoire.
Insoutenable. Terrifiante comme ce cri qui la chasse.
p.11
C'est Thomas qui l'avait trouvé sur la plage.
En la déposant sur la table, près du comptoir
quelqu'un avait dit : on dirait un oiseau. Une mouette. Une
mouette blessée. Un petit tas de plumes mouillées avait dit
Marietta. Plutôt un hérisson avait maugréé Thomas. Mais
c'était Plume qui devait lui rester.
Puis elle s'était dressée. D'un coup. Hagarde, hirsute. Et
elle avait crié. Un long cri d'épouvante. D'horreur. Puis elle
était retombée. À nouveau inconsciente, comme retirée
d'elle-même.
Maintenant Marietta arrivait avec une couverture – d'un
geste elle avait écarté le cercle des hommes qui se pressait
autour de l'enfant – déjà elle frictionnait, de ses larges
mains habituées à soulever et à tordre de lourdes toiles, le
corps tuméfié de la petite sur lequel restaient plaquées des
croûtes, encore humides, de sable et de goémon.
…
Les hommes peu à peu retrouvaient la parole, dis-
cutaient, s'inquiétaient de cette enfant venue d'on ne sait
où. Quel âge pouvait-elle avoir ? Onze ans, douze ans ?
Un peu plus ?, Un peu moins ? Dieu qu'elle était maigre !
Combien de temps avait-elle été roulée par les vagues et le
vent ? Et le froid ? Comment avait-elle pu résister au froid ?
De quel naufrage ? De quel pays ?
p.8-9
Tout est brun, presque noir. C'est sans doute pour cela
que Mélanie m'a tenté. Oui, Henriette est brune. Elle a la
peau mate. Je n'arrive pas à lui donner d'âge. Je sais
seulement qu'elle n'est plus très jeune et qu'il y a en elle ‒
dans son regard – quelque chose de solitaire. Elle
marche sur la plage immense, déserte à perte de vue. C'est
le soir. La nuit n'est pas encore tombée. Il n'y a personne
d'autre qu'elle. Elle marche lentement le long de l'océan
qui commence à descendre. Elle ne pense à rien, à peine si
elle entend le clapotis des vagues encore toutes gonflées de
la marée qui lentement se retire, s'étire. Elle est la mer ce
soir, surface étale sans un souffle de vent. Elle est la nuit
qui vient. Tiède nuit de septembre encore toute illuminée
de pourpre. Là-bas, où la mer s'arrête, Là-bas où finit la
nuit.
p.4-5
C'est Thomas qui l'avait trouvé sur la plage.
En la déposant sur la table, près du comptoir
quelqu'un avait dit : on dirait un oiseau. Une mouette. Une
mouette blessée. Un petit tas de plumes mouillées avait dit
Marietta. Plutôt un hérisson avait maugréé Thomas. Mais
c'était Plume qui devait lui rester.
Puis elle s'était dressée. D'un coup. Hagarde, hirsute. Et
elle avait crié. Un long cri d'épouvante. D'horreur. Puis elle
était retombée. À nouveau inconsciente, comme retirée
d'elle-même.
Maintenant Marietta arrivait avec une couverture – d'un
geste elle avait écarté le cercle des hommes qui se pressait
autour de l'enfant – déjà elle frictionnait, de ses larges
mains habituées à soulever et à tordre de lourdes toiles, le
corps tuméfié de la petite sur lequel restaient plaquées des
croûtes, encore humides, de sable et de goémon.
…
Les hommes peu à peu retrouvaient la parole, dis-
cutaient, s'inquiétaient de cette enfant venue d'on ne sait
où. Quel âge pouvait-elle avoir ? Onze ans, douze ans ?
Un peu plus ?, Un peu moins ? Dieu qu'elle était maigre !
Combien de temps avait-elle été roulée par les vagues et le
vent ? Et le froid ? Comment avait-elle pu résister au froid ?
De quel naufrage ? De quel pays ?
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Tout est brun, presque noir. C'est sans doute pour cela
que Mélanie m'a tenté. Oui, Henriette est brune. Elle a la
peau mate. Je n'arrive pas à lui donner d'âge. Je sais
seulement qu'elle n'est plus très jeune et qu'il y a en elle ‒
dans son regard – quelque chose de solitaire. Elle
marche sur la plage immense, déserte à perte de vue. C'est
le soir. La nuit n'est pas encore tombée. Il n'y a personne
d'autre qu'elle. Elle marche lentement le long de l'océan
qui commence à descendre. Elle ne pense à rien, à peine si
elle entend le clapotis des vagues encore toutes gonflées de
la marée qui lentement se retire, s'étire. Elle est la mer ce
soir, surface étale sans un souffle de vent. Elle est la nuit
qui vient. Tiède nuit de septembre encore toute illuminée
de pourpre. Là-bas, où la mer s'arrête, Là-bas où finit la
nuit.
p.4-5