AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Davjo


J'ai l'impression d'avoir fait un grand voyage dans la stratosphère des idées où des têtes de penseurs au-milieu des nuages devisent sur le devenir de l'homme en société. Et la philosophe Dominique Méda apporte son grain de sel, elle retrace la généalogie de la valeur travail et elle construit une critique constructive. Grâce à ce livre, on comprend à quel point les idées pèsent sur la vie concrète des hommes. Et ces idées ont d'autant plus de force qu'elles prennent racine dans la Grande histoire et les changements de civilisation.

L'auteur commence par souligner un paradoxe : la multiplication des discours qui valorisent l'utilité sociale du travail au-moment où celui-ci se raréfie. Ces idées sont réactualisées au-moment où la crise frappe de plein fouet : le travail est nécessaire à l'homme pour vivre en société, pour développer des compétences sociales, se sentir utile à la société.

Ces discours représentent-ils la réalité ?

La philosophe veut résoudre cette énigme: comment en sommes-nous venus à considérer le travail et la production comme le centre de notre vie individuelle et sociale ? Elle invite le lecteur à une analyse des discours et des représentations...

Elle remonte donc dans le temps. Avec nos critères, nous imaginons que, pour le primitif, la lutte pour la survie occupe tout son temps. Il n'en serait rien. Ses besoins naturels sont limités, il produit assez pour lui-même, ne ressentant pas le besoin de produire plus pour échanger.

Puis elle étudie la civilisation grecque, là où la démocratie s'est inventée. Ce sont des idées très différentes des nôtres: la pensée est valorisée, elle-seule peut nous soustraire à l'action du temps. L'activité éthique et politique est mise tout en haut car elle est au service de la cité, et l'homme doit être libre d'exercer au mieux toutes ses facultés. Tout ce qui est fait par nécessité est méprisé, le travail est une tâche dégradante, nullement valorisée. On bénéficie d'une main d'oeuvre servile et gratuite: celle des esclaves.
Puis arrive le Christianisme. Saint Augustin demande aux moines de se mettre au travail pour assurer leur subsistance. Il développe toute une argumentation: on se procure ce dont on a besoin pour vivre. Mais surtout, on interprète avec le Nouveau Testament l'action de Dieu: Dieu travaille quand il crée le monde. le cadre est donc prêt pour une valorisation du travail. le spectre s'élargit: il y a de moins en moins de métiers illicites, mal vus, liés aux péchés capitaux. Les classes qui se développent veulent obtenir une reconnaissance sociale. Certaines inventions peuvent être développées parce que la représentation du travail s'est modifiée. (Marc Bloch et le moulin à eau)

Sur la frise du temps qu'elle nous dessine dans ce chapitre, on voit les idées évoluer de manière radicale, les lignes bougent sous l'effet des croyances, des religions. L'auteur développe sa pensée en s'appuyant sur l'histoire, on la suit, fasciné, par ces idées qui évoluent au cours des siècles et qui ont une influence sur la vie concrète des hommes. On se demande quelle est la prochaine étape....
Nous en arrivons à l'invention du travail proprement dite. Elle se penche sur l'oeuvre d'Adam Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations. Nous sommes à un moment où la richesse devient désirable. le travail réclame un effort, il représente une quantité d'énergie en échange de la richesse.. Mais ce qui intéresse Smith et Malthus, c'est l'accroissement des richesses d'une nation, ce qui implique une conception purement économique et déjà réductrice de cette richesse.
Depuis la révolution copernicienne, la révélation des lois de la gravitation universelle par Newton, on sait que la nature est mesurable, on peut lui appliquer les lois de la physique.
Mais alors, il faut trouver un ciment dans la société pour assurer l'ordre social. Car l'individu, sujet pensant, n'a plus peur des forces occultes invisibles, il se sait libre, certain de son existence, porteur de droits et de devoirs particuliers.
C'est donc l'économie qui va donner son unité à la société. le désir d'abondance, l'intérêt individuel qui place l'échange au centre des relations humaines garantit l'ordre social. L'échange est le producteur du lien social, celui qui nous pousse à respecter l'autre pour qu'il accepte de coopérer avec nous.

Voici donc le travail installé au centre de la vie sociale.

En France, pour Saint Simon, le travail incarne une idée de bien-être et d'abondance. Dans la société d'alors, où les découvertes techniques décuplent les pouvoirs de l'homme, les penseurs et politiques sont grisés par ce pouvoir de l'homme sur lui-même. Il y a un discours de valorisation du travail, décrit comme une force vitale qui transforme l'aspect physique des choses.
Mais il y a un paradoxe : ces discours de valorisation du travail interviennent au-moment où ses conditions sont les pires.

Dominique Méda écrit que la social-démocratie va s'imposer sans résoudre toutes ses contradictions. La pensée sociale démocrate est pragmatique: on ne sera jamais dans un travail libéré, il s'agit simplement de rendre supportable sa réalité en développant un Etat-providence. On fait tout pour améliorer les conditions de travail, le travailleur voit son pouvoir de consommateur augmenter, ce qui fait que le travail n'est pas voulu pour lui-même, mais pour acquérir autre chose. Il est un accès aux richesses et à une place dans la vie sociale.
Dans le chapitre suivant, Utopie du travail libéré, elle note que les théoriciens qui exaltent le travail ont un métier intellectuel.
Dans le chapitre Critique de l'économie, elle plonge aux racines de l'économie, son développement et la façon dont elle s'est imposée au point que "les indicateurs économiques ont été érigés en indicateurs politiques".
Il est indispensable à l'économie de faire tenir ensemble des individus que rien ne dispose à coopérer pour augmenter les échanges et donc la production. Dominique Méda enchaîne avec de belles pages convaincantes sur les "désutilités". le social par-exemple est considéré comme un coût par l'économie qui se refuse à ajouter sa valeur ajoutée dans son calcul. Elle plaide pour un "inventaire de la richesse sociale".

Elle fait la description d'une société où la politique court après l'économie, où l'État social se charge de panser les éventuelles plaies ouvertes par l'économie.

Dans les deux derniers chapitres, Réinventer le politique: sortir du contractualisme et Désenchanter le travail, Dominique Méda parle de la crise que vit notre société, du risque de segmentation, de balkanisation. Elle fait des propositions, dessine les contours d'une nouvelle société basée sur la communauté. Elle n'oublie pas que le travail reste un facteur d'émancipation féminine. Cela reste passionnant, on a envie de citer beaucoup de passages, mais j'ai parfois eu l'impression de lire de la science-fiction.

Voilà, j'espère que mon résumé ne simplifie pas trop ce livre qui est encore pétri de nombreuses idées. C'est un livre de travail, qui fourmille d'idées, et qu'on peut reprendre, discuter, puiser dedans.
Lien : http://killing-ego.blogspot...
Commenter  J’apprécie          60



Ont apprécié cette critique (5)voir plus




{* *}