AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de BlackFramboiZe


Le 6 décembre 2013, Johannesburg se réveille avec l'annonce du décès de Madiba, le nom affectueux et respectueux que les Sud-africains ont donné à Nelson Mandela. L'espace d'une journée, sous les cameras du monde entier, la Nation arc-en-ciel est unie dans la douleur, elle rejoint la Résidence où le corps de Tata repose, pour un ultime hommage.
A deux pas de là, une fête se prépare. Gin Brandt a quitté New York le temps de célébrer les 80 ans de sa mère Neve à Johannesburg. le dîner qu'elle a prévu en son honneur au soir de cette journée de décembre est loin de faire plaisir à sa mère Neve. Une vieille acariâtre, « très blanche à l'intérieur comme à l'extérieur », qui donne tout son amour à sa chienne plutôt qu'à sa fille, et si peu à sa bonne Mercy. Neve n'a jamais compris Gin, ni son arrogance, ni son désir de fuir sa famille aussi loin que possible, ni pourquoi elle a rejeté Peter, un excellent parti qui lui aurait assuré une situation et une descendance respectables. Mais pour Gin, pas d'autre issue possible pour continuer à vivre que de rompre avec ce carcan culturel de bonne famille Afrikaner.
Un événement inattendu va semer le chaos au beau milieu de cette journée : la chienne Juno se retrouve par mégarde dans la rue, perdue et assoiffée. La panique saisit toute la maison, débute alors une course folle vers une tragédie.

Le récit ne se cantonne pas à ce huis clos entre ces trois femmes Neve, Gina et Mercy. Dans la maison voisine, Duduzile la domestique de cette famille blanche méprisante à son égard, prend soin de son frère September, un sans-abri qui trouve parfois refuge dans le jardin. Son quotidien à lui est de mendier sur les îlots des carrefours routiers et de se rendre au pied de l'immeuble Diamond, une société minière, pour protester contre le massacre d'ouvriers sur qui on a tiré au cours d'une manifestation. Il en a été une des victimes.
.
On retrouve dans ce récit la construction du roman de Virginia Woolf « Mrs Dalloway » et de nombreuses références à la vie de cette femme. Fiona Melrose ne s'en cache pas, bien au contraire. Elle affirme son admiration pour cette auteure. Elle reconstitue également avec justesse l'ambiance de la chambre si chère à Virginia Woolf, « une chambre à soi » où ces femmes trouvent refuge et où elles créent un monde à elle.

Ce qui m'a vraiment plu dans ce roman c'est la place centrale accordée à la ville de Johannesburg et à ses habitants. Je suis allée à Joburg, et j'y suis retournée en plongeant dans ce roman, un immersion sensorielle incroyable à travers les bruits de la pluie d'orage de 16h, les hélicos survolant les hauts murs des résidences ultra-sécurisées des Blancs, les descriptions colorées et les parfums des fleurs qui embaument les rues de la ville (agapanthes, jacarandas, hydrangeas, frangipaniers, l'herbe des parcs) que les habitants préservent et honorent.
Johannesburg est une des villes les plus violentes au monde, mais elle sait aussi être généreuse, passionnée et unie le temps d'une journée.

Fiona Melrose porte un regard sévère sur cette nation qui peine à sortir de sa période ségrégationniste. Difficile de rendre sa place au peuple Noir au coeur d'un pays dirigé par une communauté blanche qui garde le pouvoir entre ses mains. Alors l'auteur nous force à ouvrir les yeux sur la situation de ce pays. Tout remonte à la surface : l'opulence des Blancs, les domestiques noires asservies et contraintes de laisser enfants et parents au pays, le Zimbabwe, pour une poignée de Rands, la volonté, mise à mal parfois, du respect des traditions des ethnies Zoulous, Sothos, Xhosas, la misère des « coloured people » laissés sur le carreau, les Noirs qui mendient et vendent des fleurs au bord des routes à des automobilistes blancs dédaigneux, et qui, le soir venu, rejoignent les townships dans les taxis-bus bondés. Voilà à quoi ressemblent 24 heures dans la vie de Johannesburg.

Les femmes font battre le coeur de cette journée - l'auteure évoque également les femmes de Mandela qui ont joué un rôle essentielle dans sa vie. Pourtant ce roman ne serait pas la même sans September, le frère de Dudu. Personnage lumineux et aimant, droit et fier comme un guerrier Xhosa malgré sa physionomie difforme, comme Quasimodo devant la façade du building impugnable de la compagnie minière qui a ouvert le feu sur la foule des grévistes, détruisant sa vie à jamais ; il est temps de rendre des comptes, alors, avec son panneau sur son dos bossu, il demande dignement justice chaque jour. September honore chaque parcelle de vie, humaine et animale. C'est un personnage magnifique qui arbore les fleurs des parcs en couronne.

Je suis encore sous le charme de cette écriture sensible, touchante, et ce regard très pertinent sur la société sud-africaine. Un coup de coeur !
Commenter  J’apprécie          60



Ont apprécié cette critique (5)voir plus




{* *}