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Critique de Lamifranz


Le roman d'aventures est basé parfois sur une fuite : fuite d'une situation désagréable vers une meilleure, fuite après une faute, fuite par lâcheté d'affronter l'adversité… Plus souvent, il est lié à une quête : quête de biens matériels : trésor, richesses, héritage ; ou biens immatériels : recherche du bonheur, recherche d'identité, recherche de justice ou de vengeance, quête d'absolu… Parfois ces deux thèmes, fuite et quête, se mélangent, et nous donnent des romans somptueux, complexes et d'autant plus attachants, comme « Lord Jim » de Joseph Conrad
Dans quelle catégorie classer « Moby Dick » ? Sans contestation, dans la seconde : la quête du capitaine Achab est d'ordre personnel : il a un compte à régler avec la baleine blanche qui lui a emporté une jambe il y a longtemps : quête de vengeance, donc, mais le roman, comme nous l'allons voir, va bien plus loin.
Le narrateur, Ismael, s'embarque sur la Pequod, un navire baleinier, pour ne campagne de chasse à la baleine. Il est accompagné de Queequeeg, un cannibale des mers du Sud, tatoué comme il se doit comme un joueur de rugby des iles Tonga. le capitaine se nomme Achab, un nom biblique, nous verrons que la Bible dans cette histoire a un rôle à jouer ; et l'équipage, une trentaine d'hommes venus de tous les horizons et pour tous les motifs complète l'effectif du bateau. Très vite on comprend que le capitaine Achab, homme taciturne et secret, n'est pas intéressé par la chasse aux baleines, mais par la chasse à une baleine, Moby Dick, qui naguère lui a emporté une jambe, remplacée aujourd'hui par un pilon en ivoire de cachalot. La quête est longue et pénible et se limite à un duel entre deux entités, Achab et la baleine, où tous les autres personnages deviennent des « dommages collatéraux »…
« Moby Dick », paru en 1851, fait partie de cette poignée de romans incontournables qui font le patrimoine de l'humanité. C'est un roman d'aventures, certes, d'aventures maritimes, ce n'est un doute pour personne. Mais l'auteur a mis tant de choses dans ce gros roman (pas loin de 750 pages dans l'édition Folio) que plusieurs lectures sont possibles :
Allégorique : au premier abord, c'est la lutte du Bien contre le Mal. Mais assez vite on se pose la question : de l'homme et de l'animal, qui est le Bien et qui est le Mal ? Est-ce qu'ils ne le seraient pas tour à tour l'un et l'autre ? Question subsidiaire : Qui est l'arbitre du combat ? Personne du bateau, il n'y a que des témoins, et des futures victimes (mais non, je n'ai pas divulgaché !)
Métaphorique : plusieurs personnages renvoient à des personnages tirés de l'Ancien Testament : Achab mari de Jezabel, avait la réputation d'être un roi impie. le capitaine Achab, en se dressant contre la baleine, se dresse donc contre Dieu. Ismael, premier fils d'Abraham et demi-frère d'Isaac, est symbole de schisme, de séparation, de fuite, l'Ismael du roman est le seul qui arrivera à se sortir de la tragédie.
Documentaire : En plus des pages purement fictionnelles où l'histoire se raconte, et des longues digressions morales et philosophiques, Melville donne un véritable cours sur la chasse à la baleine, telle qu'on la pratiquait dans les années 1840 sur la plupart des mers du globe.
Sociologique : le kaléidoscope que représente l'équipage, en termes de nationalités, de races, de caractères, de divergence d'intérêt dans cette aventure, donne à l'auteur de montrer le « melting-pot » américain, sa richesse culturelle et peut être ses limites.
Poétique, enfin : nul n'en a parlé mieux que Giono (un des meilleurs traducteurs, ou co-traducteurs) : "la phrase de Melville est à la fois un torrent, une montagne, une mer (...) Mais comme à la montagne, le torrent ou la mer, cette phrase roule, s'étire et retombe avec tout son mystère. Elle emporte ; elle noie. Elle ouvre le pays des images dans les profondeurs glauques où le lecteur n'a plus que des mouvements sirupeux, comme une algue ... (Préface de « Moby Dick »).
Monument incontournable de la littérature, « Moby Dick » a trouvé sa meilleure adaptation en 1956 avec le film éponyme de John Huston avec un Achab de légende incarné superbement par Grégory Peck.
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