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sur 2572 notes
Herman Melville prend d'emblée un parti osé : écrire une sorte de monographie romanesque sur la baleine et la chasse qui lui est faite au milieu du XIXème siècle.

Choix doublement hasardeux d'une part parce qu'à l'époque la connaissance des cétacés n'est pas mirobolante et d'autre part, parce que le sujet de la chasse à la baleine n'est ni très fédérateur ni très palpitant, a priori. Comme quoi, l'auteur démontre qu'on peut faire un véritable chef-d'oeuvre avec n'importe quoi, qu'il n'y a pas de mauvais sujet ou de petites portes d'entrée pour faire un grand roman, qu'il suffit d'un grand talent, et ça, Melville en a à revendre.

Il aborde, à travers le prisme de la baleine, l'univers dans son entier, où j'ai remarqué, pêle-mêle : l'économie, le consumérisme, l'écologie, les relations raciales entre les hommes, le système social d'un microcosme, les valeurs humaines, les passions, les mythes et les religions, l'histoire, la philosophie, le développement technique, la compétition athlétique, la législation, la solidarité, la folie, bref, le monde, à l'image de ses interminables océans où se meuvent nos augustes mammifères marins.

Quelle étrange activité tout de même quand on y songe ; il s'agit d'un bateau de pêche, mais à la vérité, on y chasse. On y chasse quoi ? le plus grand prédateur carnivore du monde, le grand cachalot aux terribles mâchoires. On le chasse comment ? À l'arme blanche (sachant qu'à l'époque, les chasseurs utilisaient déjà le fusil pour pratiquement tous les autres types de chasse). On le chasse où ? Sur la Terre entière et son vaste océan, autant dire une goutte d'eau dans une piscine. Dans quelle zone ? Dans la mince et improbable zone de contact entre ce géant des profondeurs aqueuses et ce frileux minuscule primate aérien. Avouez qu'il y a de quoi s'arrêter sur une activité aussi singulière.

Nous suivons donc le brave Ishmaël, en rupture avec le monde citadin de New York, qui s'embarque à la fois pour oublier, se sentir vivre, donner un sens à sa vie, et aussi se faire des petites montées d'adrénaline au passage. Une manière de Kerouac avant l'heure en quelque sorte.

Notre matelot par intérim, rencontre à Nantucket — le grand port baleinier de la côte est — un harponneur coupeur de tête, Queequeg, qui deviendra un ami indéfectible. Les deux gaillards s'embarquent sur le Péquod, un baleinier de réputation acceptable, à la tête duquel officie un obscur capitaine qui sème le froid dans le dos, avec son regard farouche et sa jambe de bois, ou, plus précisément, avec sa jambe d'ivoire taillée dans une mâchoire de cachalot.

On découvre vite que ce vieux fou de capitaine se contrefiche que des gars, voire un équipage complet risque sa peau, pour peu que lui, Achab, puisse assouvir sa vengeance envers celui qui lui a retaillé les mollets, à savoir, Monsieur Moby Dick en personne, un cachalot étonnamment blanc, doué d'un caractère assez vicieux (du point de vue de l'humain) pour qui essaie de lui planter un harpon dans la carcasse.

Vous avez compris que Melville fait de ce roman bien plus qu'un basique roman d'aventures, que de bout en bout, il lui donne une consonance biblique et que le nom d'Achab n'est pas choisi au hasard et qu'il fait visiblement référence au Livre des Rois de l'Ancien Testament où Achab, un roi d'Israël, estimait ne rien posséder tant qu'il n'aurait pu mettre la main aussi sur la vigne de Naboth. On peut en dire autant de beaucoup des noms utilisés dans le roman et qui renvoient quasiment tous à des passages de la Bible.

Le personnage du capitaine Achab est donc particulièrement intéressant, avec sa manie qui tourne à la folie de vouloir à tout prix la dernière parcelle de l'océan qui lui résiste, sa science et son caractère taciturne qui le rendent comparable au Capitaine Nemo de Jules Verne, mais je sens qu'il est grand temps de ne pas vous en dire plus si je ne veux pas déflorer davantage le noeud de l'intrigue pour celles et ceux qui auraient encore le bonheur de ne pas connaître la substance de cet immense monument de la littérature mondiale, père de tout un courant de la littérature américaine, en passant du Vieil Homme Et La Mer au célèbre Sur La Route.

Qu'est-ce qu'Herman Melville cherche à nous dire avec l'essence de ce livre ? On pourrait hasarder des milliers d'interprétations car, dans cette oeuvre, tout est parabole, tout est symbole, tout est à interpréter (bien que l'auteur s'inspire à la base de faits réels, notamment issus du livre d'Owen Chase à propos du baleinier Essex). Selon notre propre jus culturel on y lira des choses résolument différentes. Je me bornerai donc à n'en livrer que deux, plus que jamais d'actualité.

La première interprétation, c'est celle de l'homme qui essaie de maîtriser, de contrôler, de juguler la nature, la fantastique et surpuissante nature qui, quand il se sent trop fort, trop sûr de lui, lui rappelle qu'il n'est qu'un homme, un tout petit homme, et qu'Elle est grande, qu'Elle est éternelle tandis que lui est dérisoire, horriblement mortel et risiblement fragile.

Le cachalot géant l'a rappelé au capitaine Achab et le monde nous le rappelle à nous périodiquement, avec un tsunami, une sécheresse, un tremblement de terre, un glissement de terrain, que sais-je encore, un avion qui s'abîme en mer, tellement petit, tellement frêle dans cet océan qu'on n'arrive même pas à en retrouver la moindre miette...

La seconde interprétation, si l'on se souvient qu'Herman Melville s'est appuyé sur des éléments réels : le capitaine Achab s'inspire du capitaine baleinier Edmund Gardner, Moby Dick de Mocha Dick, du nom de l'île Mocha au large du Chili et que les informations monographiques de l'auteur proviennent en grande partie du travail d'un passionné anglais en 1831, Thomas Bill.

Bref, à cette époque, l'Atlantique est déjà largement écumé et il ne reste que bien peu de cachalots à y chasser. Les Américains, dont Gardner, s'aventurent à contourner le cap Horn pour aller faire une curée dans le Pacifique. Les populations locales, notamment chiliennes, ont voué une sorte de culte à Mocha Dick, espèce de grand démiurge qui lutta contre l'envahissante pression des baleiniers américains. Donc, surpêche et lutte des pays du sud contre les pays du nord, ça ne vous rappelle rien ?

Mais tout ceci, bien évidemment, n'est que mon tout petit avis planctonique qui évolue gauchement au milieu de l'océan de ceux qui l'ont dit et pensé mieux que moi, autant dire, une larve de krill, presque rien.

P. S. : la science a maintenant établi le pourquoi des fameuses attaques de cachalots vis-à-vis des baleiniers. Il est vrai que le mystère était doublement étrange : d'une part, seuls les individus mâles (et donc solitaires) attaquaient les bateaux, alors qu'on sait que les baleiniers étaient friands de tomber sur des groupes de femelles avec leurs petits. On aurait raisonnablement pu s'attendre à ce que des mères cherchent à défendre leur petit et s'en prennent aux vaisseaux responsables du désastre. Il n'en est rien. Alors pourquoi ?

Eh bien, c'est là que la littérature nous aide parfois à résoudre des énigmes et Moby Dick, en particulier, nous livrait une partie de la réponse, aux chapitres CXII et CXIII. Quel est le problème biologique posé ? Des mâles solitaires s'en prennent parfois — mais pas toujours — à des baleiniers. Essentiellement, de nuit. Étrange, non ? Comment ces mâles savent-ils, de nuit, qu'il s'agit d'un bateau qui pourrait éventuellement être un ennemi ?

On sait maintenant que c'est le plus parfait des hasards qui fait que les mâles cachalots communiquent en émettant des sortes de claquements agressifs à l'égard des autres mâles de leur espèces. Or, comme les baleiniers restaient parfois trois ans en mer, ils avaient à bord une forge, laquelle fonctionnait le plus souvent de nuit, car de jour, on était affairé à chasser la baleine. Et, précisément les bruits de marteau sur l'enclume imitent à s'y méprendre les claquements agressifs des mâles cachalots. Il était donc là, ce fameux mystère des attaques ciblées. Si n'importe quel autre type de bateau avait fait le même genre de bruits, l'addition aurait été la même à la fin : un bon vieux coup de boule de cachalot en plein dans la carène (mais pas dans l'étrave, car les cachalots ne se font pas face comme des béliers ou des cerfs).

Ci-dessous, les deux passages des chapitre CXII et CVIII :
« Cela fait, le charpentier reçut l'ordre de terminer la jambe pour la même nuit et de se procurer tous les accessoires nécessaires, indépendamment de ceux qu'on pourrait prélever sur la jambe suspecte encore en usage. En outre, ordre fut donné de monter la forge de la cale où elle dormait et, pour gagner du temps, le forgeron fut prié de se mettre sur-le-champ à forger toutes les pièces de fer paraissant nécessaires. »

« Debout à son établi, le charpentier lime activement, à la lumière de deux falots, le morceau d'ivoire, destiné à la jambe, serré dans son étau. Des plaques d'ivoire, des lanières de cuir, des mandrins, des vis et des outils de toute sorte sont étalés devant lui. Sur l'avant, à la flamme rouge de la forge, on voit le forgeron au travail. »
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En préliminaire je tiens à préciser que je ne suis pas un littéraire et je précise de surcroit que si je suis sensible à la beauté et à la grandeur des textes et aux effets de style ,j'ai la fâcheuse habitude de considérer les romans et tous les autres types de textes littéraires comme des sources historiques ou autres ( même les textes contemporains ) ...

Je ne reviendrais pas sur les aspects grandioses et envoutant de Moby Dick qui en font un fabuleux roman d'aventure édifiant ...
Ce texte est moins un texte épique que un conte moral selon mon humble avis ..
Sur le contexte général , je voudrais insister sur le fait que ce texte est quasiment un commentaire biblique qui tourne autour du Mal , qui est ici étudié dans ces différents aspects ( typologie ) mais surtout dans ses conséquences et ses procédés ..
Il s'agit d'un véritable monument de la littérature anglo-saxonne et sa résonnance fut immense dans ces sociétés où la bible était intimement connu de toute personne du fait des oeuvres de mise à disposition des deux testaments bibliques A LA PORTEE D'UN LARGE PUBLIC QUI LES CONNAISSAIENT ET LES RESSENTAIENT INTIMEMENT et qui jonglait spontanément avec ces connaissances ...
Le lecteur contemporain ne doit pas faire l'impasse sur cette donne au risque de tâtonner dans ses efforts pour comprendre intimement ce texte intimisme et intense sur la lutte du bien et du mal dans chaque conscience où les idées se déchainent comme les éléments et qui représente surtout le lieu où le libre arbitre ne semble pas toujours avoir sa place ,ce qui légitime le fait et la nécessité de présenter au public des imago apparemment soumises à la fatalité et destinées à nourrir une profitable réflexion .
Il ne me semble pas utile ici de présenter ce roman en détail et je ne souhaite pas non plus « spoiler « ,aussi je me contenterais de revenir sur les aspects et valeurs bibliques qui seront une piste utile pour appréhender ce texte à la manière des lecteurs contemporains de sa rédaction , qui soyez-en certains n'ont pas manqué de faire des associations d'idées avec des épisodes bibliques qui se télescopaient avec leurs expériences personnelles ...
Ismaël premier fils d'Abraham porteur d'espoir et au destin grandiose mais avortée en grande partie , car non dépositaire de l'alliance avec la divinité finalement .
Il symbolise la réponse humaine à la stérilité de la matriarche Sarah et il n'est « que cela » finalement .C'est un personnage très touchant , aimé de de dieu et qui de par sa destinée devra faire son chemin seul et qui devra compter sur ses propres ressources morales et matérielles pour réussir sa vie dans un anonymat biblique assez remarquable et lourd de sens ..
N'est-ce pas le destin de la plupart des êtres humains qui ont vécu et qui vivront jamais .. ??
Achab , roi d'Israël et persécuteur des prophètes sectateur à certains moments des dieux aux cultes interdis par l'alliance sacrée ..
Achab mourra et les chiens laperont son sang royal .
Achab est dans l'erreur et il symbolise la volonté qui se nourrit d'hubris au dépend de la sagesse qui consiste en grande partie à être clairvoyant en matière de dessins divins .
Achab est aussi à plaindre et dieu n'a pas fait que s'acharner contre lui et il a su répondre à ses prières lorsqu'elles furent sincères ..
Il est touchant car le repentir ne lui est pas inaccessible et parce que il témoigne de ce que la volonté ne suffit pas toujours pour s'affranchir de l'erreur de jugement et pour ne pas courir à sa perte.
Elijah fait référence à Elie ( Eliyahou ) le prophète de la rédemption , des temps messianiques et de la libération D'Israël ..
Il a prophétisé la venue du rejeton de David mais il reviendra aussi annoncer la parousie en même temps qu'il sera le témoin de l'effort des hommes pour accueillir ou rejeter la rédemption ..
Ill est donc prophète mais témoin sacré également ..
Cet aspect est à mettre en rapport avec l'Ismaël et l'Achab du roman ..
YONAS ( yns ) prophète est la clef de la compréhension du personnage ( ou de la métaphore ? ) du cachalot blanc ..
Il séjourna dans le ventre d'un grand poisson dans la grande mer ( Yam hagdola –la méditerranée ) .. son nom est ambigu car en hébreu il signifie colombe et en araméen : -grand – poisson ...
Il se lèvera pour prophétiser la chute de Ninive que dieu épargnera car ses habitants jeuneront en signe de repentir et au contraire d'Achab qui mourra dans la honte posthume ...
Le cachalot est blanc comme la colombe ...
Jonas est par ailleurs le seul prophète capable de s'apitoyer de la mort d'une simple plante !
Le cachalot du roman avale Achab plus qu'il ne le mange ...
Ce roman est beaucoup plus que la simple figuration de la lutte du bien et du mal .
Il est le témoignage que rien n'est simple décidément et que la victoire du bien ne peut être que le résultat de la volonté et de l'effort et que ce drame se joue et se rejoue perpétuellement dans chaque conscience qui fut et qui sera et qui fera ou dira (asah – léaguide ) des choses ou des paroles ( dévarim débarim ) ...

Moby Dick est quasiment la scénarisation d'une psychè , c'est l'effet que me fait ce texte ...
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Une lecture qui peut paraître parfois fastidieuse à cause de l'aspect didactique de nombreuses pages. de longs passages sont consacrés à la chasse à la baleine et à ses principes, ce qui peut s'avérer assez ennuyeux. Mais ce long roman reste une magnifique épopée. Achab et Moby Dick sont des figures mythiques, l'apogée de leur affrontement étant les trois jours de chasse. On peut aussi relever l'importance de la religion et établir un parallèle entre Moby Dick et la baleine ayant avalé Jonas (bénédiction ou malédiction divine ?).
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Me voici enfin devant ce géant de la littérature, cet immense classique faisant figure de référence dont on entend même parler sans savoir de quoi il en retourne : oui Moby dick ça me dit quelque chose c'est quoi déjà? Un groupe de rock non?

Trêve de plaisanterie nous voilà face à l'histoire d'une vie, la quête d'une existence, un graal après lequel pas seulement le capitaine Achab courra toute sa vie mais après lequel chacun d'entre nous court à sa manière et à sa vitesse mais inexorablement.. le but d'une vie qu'il soit conscient ou inconscient mais qui fait avancer les choses, qui fait avancer le monde.

Ode fantastique, quasi mystique, Herman Melville (Melvill de naissance) nous entraîne à la poursuite de Moby Dick, la plus célèbre des baleines n'ayant pourtant jamais existé! L'écriture est simple, sans fioriture, mais belle et entraînante, ce qui correspond bien à l'ambiance générale de ces marins harponneurs de baleines. A savoir qu'Herman Melville a lui même été chasseur de baleines et que Moby Dick n'aura connu son succès littéraire que de nombreuses années après sa mort.
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Malgré le manque de reconnaissance de son vivant, Herman Melville figure aujourd'hui comme l'une des figures incontournables de la littérature américaine. Aujourd'hui considéré comme une oeuvre fondatrice de la littérature des XIXe et XXe siècle, Moby Dick a fait l'objet de plusieurs traductions en français. Lorsque le livre paraît en 1851 Herman Melville est déjà très connu, pourtant les critiques sont mitigées et le livre ne sent vend pas aux États-Unis. Il n'a pas offert aux critiques et aux lecteurs ce qu'ils attendaient de lui, de paisibles croisières exotiques, de pacifiques récits de voyages maritimes. Avec ses interrogations métaphysiques, la baleine blanche l'a emmené loin des rivages tranquilles de la notoriété bourgeoise américaine.

Le roman fut négligé durant près de 70 ans et il faudra attendre la traduction de Jean Giono, en 1941, pour pouvoir le lire en français ; trois autres traductions ont suivi, la dernière étant celle de la Pléiade. Pourquoi autant de traductions ? La dernière ne souffre pas de la lourdeur trop souvent inhérente aux traductions « universitaires », mais existe, vivante, dans une belle langue française, qui se lit avec plaisir, et où elle a le mérite de bénéficier d'un demi-siècle d'études sur Melville, absentes au temps de Giono. Aujourd'hui Moby Dick fait partie des oeuvres que chacun pense connaître dès l'énoncé de leur titre, pourtant sans en connaître "les vraies richesses" et caractéristiques. Les commentaires et analyses sont nombreux, y compris dans Babelio, sans toutefois en résoudre tous les mystères et interrogations.

Toujours dangereuse, la pêche à la baleine avait déjà fait l'objet de récits avant le roman de Melville. Toutefois ici, c'est différent, car la baleine fantasmée envoute le capitaine, et se rajoute la vengeance métaphysique que poursuit un capitaine Achab que la haine aveugle, emporté par le désir de mort : celle qu'il veut infliger au cachalot. Melville transforme rapidement le bateau en un théâtre de multiples passions où il y embarque un échantillon d'humanité très diverse et prend un malin plaisir à retarder l'apparition de l'énigmatique capitaine qui n'aura de cesse de traquer le monstrueux prédateur.

Le roman de Melville cache dans ses soutes de nombreux trésors et se transforme peu à peu en une étourdissante odyssée de tous les dangers, aux confins de la condition humaine. L'allégorie de la baleine et de sa poursuite effrénée par le capitaine témoigne d'une relation particulière entre vérité et narrativité. La confrontation entre le capitaine Achab et Moby Dick, objectif lointain de l'ensemble du roman, n'en occupe en fait qu'une petite partie ; elle est comme la mort par rapport à la vie. En effet, plus que la chasse effective du capitaine Achab, qui n'occupe que les trois derniers des cent trente-cinq chapitres, Moby-Dick est le voyage en mer du narrateur, Ismaël, à la recherche de « l'insaisissable fantôme de la vie ».
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QUEL CHOC !!!
Je m'apprêtais à tranquillement lire un roman d'aventure, un peu sur le modèle de l'Île au trésor de Stevenson. Erreur grave ! de l'aventure, certes on en a, mais la narration est tellement entrelardée de morceaux hétérogènes, que le fil du récit se perd totalement.

L'argument général tient en peu de mots. Ismaël, jeune marin de commerce cherche à s'engager sur un baleinier. Il s'embarque à bord du Péquod en compagnie d'un ami harponneur du nom Quequeg (un sauvage originaire des îles des mers du sud). Ce navire baleinier est commandé par le capitaine Achab, habité par l'idée fixe de tuer une baleine blanche du nom de Moby Dick.
Le Péquod, après avoir largement parcouru la planète à la poursuite de cette dernière, engage un combat qui sera fatal à tout l'équipage, excepté Ismaël qui en réchappe, et peut ainsi nous rapporter toute l'aventure. Cette histoire sur l'ensemble de l'ouvrage ne représente qu'environ un tiers de l'ensemble.
Bien sûr, du début à la fin Ismaël (le narrateur) ne nous entretient que de baleines et uniquement de ça, et ce, sous toutes les formes possibles. de quelles manières les chasse-t-on ? Qu'est-ce qu'une baleine ? En quoi elle diffère des poissons ? Comment est constituée sa physiologie interne ? Qui appartient à la famille des cétacés ? Toutes questions qui ne semblent avoir qu'un intérêt purement encyclopédique. Cependant tous ces chapitres qui annoncent des propos strictement scientifiques et rationnels s'achèvent par des envolées poétiques au souffle cosmique. Si, par exemple, l'on prend le chapitre, intitulé La fontaine, consacré au jet d'air et d'eau produit par les cétacés lorsqu'ils remontent à la surface, il débute d'une manière platement descriptive et s'achève par une image d'une beauté ineffable.
« L'idée que nous nous faisons du monstre puissant et brumeux s'élève et s'ennoblit à le voir voguer solennellement dans le calme des tropiques, sa vaste tête surmontée d'un dais de vapeur engendrée par son recueillement incommunicable, cette vapeur que vous verrez souvent glorifiée par un arc-en-ciel comme si le ciel lui-même mettait son sceau sur ses pensées. » Chapitre 86, la fontaine.


La version française que j'ai eue la chance de lire est due au travail talentueux d'Henriette Guex-Rolle. À aucun moment je n'ai senti des formulations artificielles ou plaquées ; le texte que j'avais sous les yeux coulait naturellement en français, ce qui je pense a dû être un travail colossal si l'on considère l'étrangeté des images poétiques. Plusieurs fois, j'ai ressenti le besoin de faire une lecture à haute voix, tant les mots que j'avais sous les yeux résonnaient fortement. Et cela fonctionnait parfaitement bien à l'oral et aurait pu être proféré devant un public, ce qui selon moi est un indice de qualité rédactionnelle.



De par ses envolées lyrico-poétiques ce roman n'est pas sans rappeler «  les travailleurs de la mer », toutefois contrairement à Hermann Melville, Victor Hugo ne nous abandonne pas, il reste présent, on le sent toujours là qui nous guide. Hugo place chaque élément du récit afin qu'il s'insère comme une brique indispensable à l'architecture de l'ensemble. Or Moby Dick n'apparaît pas selon un plan prédéterminé, sous une forme clairement charpentée. Non, j'ai plutôt ressenti une espèce de flux, de poussée interne, enfin quelque chose d'assez organique, un peu comme un arbre dont les branches se déploient au hasard des conditions propices. Ce livre est habité d'une impressionnante force vitale. Il y a un fond très archaïque, quelque chose qui s'apparente aux récits mythologiques antiques du type de l'Odyssée. Toutefois la référence incontournable est l'Ancien Testament. Moby Dick est sans doute une baleine, mais c'est surtout un « léviathan », un être terrible et monstrueux qu'aucune force humaine ne peut vaincre. Afin que la référence au Texte Sacré soit tout à fait claire, Melville situe d'emblée dans le prologue son récit dans un contexte biblique.

Et Dieu créa les grandes baleines : GENÈSE
Léviathan laisse derrière lui un sillage lumineux l'abîme semble couvert d'une toison blanche. JOB
L'Eternel fit venir un grand poisson qui engloutit Jonas. JONAS
Là se promènent les navires
Et ce Léviathan que tu as formé pour se jouer dans les flots. PSAUMES
  Ce jour-là, Yahvé châtiera de son épée dure, grande et forte
Léviathan, serpent fuyard,
Léviathan, serpent tortueux ;
Et il tuera le dragon de la mer. ISAÏE

Ces citations viennent tout de suite après une recherche étymologique sur l'origine du mot baleine, car : « Au commencement était le verbe ».

Moby Dick n'est donc pas un uniquement un très gros cachalot, mais un être funeste engendré par le Créateur dans le but de punir tous ceux qui ne respectent pas la Loi ; toute rencontre avec ce monstre est nécessairement fatale pour celui qui le défie. Or le capitaine Achab l'ose, il ne craint pas la Création et son Auteur, c'est un blasphémateur. À noter que le nom « Achab » est issu de l'ancien testament. Achab désigne un roi impie d'Israël qui se vouait à un faux dieu (Baal) et défiait Yahvé en combattant le prophète Élie. Ce roi sacrilège mourut criblé de flèches, et les chiens se désaltérant de son sang : cette mort était conforme aux prédictions d'Élie. Ainsi, de par son nom même, le capitaine du Péquod vit sous la marque d'une malédiction. Il est prédestiné à combattre Moby Dick et par là à braver la création. Achab agit malgré lui : une force le possède. Et la puissance de cette possession est telle que tout l'équipage est entraîné dans cette aventure funeste ; même ceux, qui à l'instar du second, Starbuck, ont conscience de l'issue inéluctablement fatale de l'aventure, ne peuvent résister à cette force morbide. Cette faiblesse de la volonté humaine devant la puissance divine est manifestée dans un sermon sur Jonas, au début du roman, et résonne comme une prophétie.

«  O père – Toi dont je connais avant tout la colère – mortel ou immortel, me voici sur le point de mourir. J'ai lutté pour être tien, plus que pour appartenir à ce monde ou m'appartenir à moi-même. Et pourtant ce n'est rien.. Je t'abandonne l'Éternité, car l'homme, qu'est-il pour prétendre à la durée de son Dieu ? »

Ne reste plus dès lors à l'homme qu'à se consoler de sa petitesse en chantant la grandeur de la création. Et l'on peut considérer que la presque totalité de Moby Dick n'est qu'une sorte de vaste chant. Melville le met en oeuvre en utilisant des formes très diverses : comme nous l'avons vu, par des prédications, mais sont également utilisées des formes théâtralisées. Par exemple, le chapitre 40 emprunte au modèle de la tragédie antique, avec choeur et contre choeur ce qui aboutit à une scansion incantatoire. Mais aussi sur le mode plus traditionnel du dialogue, avec entrée en scène et didascalies (indications de jeux de scène) dans le chapitre 108 dont le titre : « Achab et le charpentier. le pont. Premier quart de nuit » me semble annoncer le caractère théâtral de la séquence, mais l'indication suivante va apparaître beaucoup plus explicitement théâtrale : « Achab s'avance. Au cours de la scène suivante le charpentier continue à éternuer à intervalles ». D'une manière générale l'oralité est cultivée dans l'ensemble du texte. Et là, je pense notamment au chapitre 48, dans lequel on trouve un passage qui n'est qu'une suite de jurons, d'interjections, ou de simples cris ; les répétitions et les assonances y ont une bonne place. Je ne résiste pas au plaisir de vous en donner un extrait dans la version originale, que Nastasia-B m'a gentiment fourni.

« Hurrah for the gold cup of sperm oil, my heroes! Three cheers, men? all hearts alive! Easy, easy; don't be in a hurry? don't be in a hurry. Why don't you snap your oars, you rascals? Bite something, you dogs! So, so, so, then:?softly, softly! That's it?that's it! long and strong. Give way there, give way! The devil fetch ye, ye ragamuffin rapscallions; ye are all asleep. Stop snoring, ye sleepers, and pull. Pull, will ye? pull, can't ye? pull, won't ye? » Chapitre 48 : première mise à la mer.


Au fur et à mesure de la lecture il m'est apparu que si une adaptation théâtrale n'avait pas été faite, ce roman eût mérité que l'on s'y attelât. Après une petite recherche, j'ai effectivement trouvé une adaptation théâtrale française, qui a été jouée vers la fin des années 80, manifestement dans une mise en scène assez innovante, par le Roy Hart theatre (compagnie basée dans les Cévennes). Mais bien entendu l'adaptation la plus célèbre est celle que John Huston a faite pour le cinéma en 1956 ; et je ne vais pas manquer de regarder ce film.


Enfin, pour conclure, parce qu'il va bien falloir que je finisse : même si j'ai un peu de mal tant ce texte m'a bouleversé, ce livre proprement stupéfiant, hallucinant et halluciné m'a dévoilé une part des fondements mythiques de la société américaine. Merci Hermann !
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Ismaël, démangé par le goût du voyage et l'attrait de rivages lointains, s'engage à bord du Péquod sur le port de Nantucket, pour un long périple, qui lui fera découvrir les horreurs de la pêche à la baleine. Ce baleinier est aux ordres du terrible capitaine Achab à la jambe d'ivoire.
Achab est obsédé par le célèbre Moby Dick ; la baleine blanche qui lui a ravi sa jambe.
L'équipage embarqué à bord du Péquod va donc être à la merci de ce capitaine fou, qui voit en Moby Dick le mal incarné. L'Océan représente la vie, les requins les ennemis et le navire l'humanité. Au-dessus d'eux, le ciel ; les anges, Dieu.
Un roman qui promet à son début une belle aventure, se trouve tout à coup freiné par de longs chapitres sur des détails de la baleine. On pense suivre l'aventure d'Ismaël et de son ami à demi sauvage Queequeg, et finalement on assiste à une multitude de dialogues et de réflexions philosophiques. On se retrouve en plein dans le délire du capitaine Achab. On s'y perd parfois.
Ce roman est truffé de paraboles. Achab se place au-dessus de la nature, il la défie. Il se perd dans son combat. Tout comme les hommes se perdent dans la recherche d'un bonheur inaccessible, alors qu'il suffirait de se contenter de ce qui se présente à nous, en harmonie avec la nature et non en rivalisant avec elle.
À l'inverse de son capitaine, Ismaël est serein, il vit en harmonie avec son prochain. Il accepte les croyances païennes de son ami Queequeg et les assimile à une seule et même religion, une religion universelle, celle de l'humanité. C'est un homme de paix et de tolérance. le navire baleinier fut son Yale et son Harvard.
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Moby Dick est clairement LE livre que je m'étais juré de ne jamais lire un jour.
Aimant beaucoup les cétacés et ayant plutôt envie de me jeter à la gorge des chasseurs de baleines, je ne voyais absolument aucune raison de me lancer un jour dans cette lecture. C'est d'ailleurs la même disposition d'esprit qui fait que je me suis toujours refusé à regarder le film du même nom. Je parle de celui de John Huston avec Gregory Peck en capitaine Achab. de toute façon, aimant beaucoup cet acteur, je trouve que dans le registre marin, il est beaucoup plus sympathique dans le rôle d'Horatio Hornblower dans « Capitaine sans peur ».
Malgré toutes mes préventions, je me suis finalement lancée dans cette lecture, la raison principale étant que ce livre fait partie du Challenge BBC de Gwen.
Herman Melville a une très belle plume, assurément. Clairement, je peux comprendre que ce livre soit considéré comme un chef-d'oeuvre, mais les longues parties consacrées à la chasse, au dépeçage, écorchage (et autres détails tout aussi ragoutants ) des baleines ont bien failli avoir raison de moi et ont quand même été dures à avaler, du fait de leur réalisme et de la précision des détails. Ce qui n'est pas étonnant puisque l'auteur a travaillé sur un baleinier.
Mes parties préférées ? : le début, que j'ai adoré, quand le narrateur rencontre Quiequeq et la fin bien sûr, quand Moby Dick répond à toutes mes espérances…

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Challenge Multi-Défis 2022
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Il y a des livres que l'on sait avoir à lire, mais qu'on reporte, allez savoir pourquoi. Mais voilà, c'est fait, j'ai lu le mythique Moby Dick ! Je dirais que mon impression est plutôt mitigée. D'abord à cause de la forme même du roman, qui mélange allégrement récit et encyclopédie de la chasse à la baleine, dans un enchevêtrement qui correspond bien à son époque, mais peut-être moins à la nôtre où la recherche de connaissances sur un sujet peut passer par toutes sortes de supports. Ensuite, parce que l'écriture est bavarde, bavarde, à la limite de la logorrhée… Mais le livre refermé, il reste vraiment en soi de belles pages noircies, de la première partie (traitant l'avant embarquement) particulièrement pittoresque, aux scènes titanesques des poursuites des baleines. Des impressions fortes de ce monde où l'homme est écrasé, ballotté mais où il compose, résiste ou est englouti. L'apparition de Moby Dick à la page 670 (sur les 730 qu'en compte l'édition) en fait une Arlésienne, parabole de nos démons ! En conclusion, une lecture difficile qui demande des efforts mais qui rend satisfait de l'avoir faite… pour regarder en soi le dépassement nécessaire à l'Humanité ! de plus, je me suis ensuite précipitée sur le site de musée de la baleine de New Bedford pour y admirer tous ces témoignages de cette terrible époque et je suis ravie d'avoir beaucoup appris.
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La lecture de ce classique - qui n'en fut pas un à l'époque de sa publication - m'a toujours à la fois attiré et repoussé. D'abord par sa taille - 800 pages, les pavés me font toujours ce double effet - mais surtout par l'association de cette longueur à un sujet qui me semblait difficilement pouvoir passionner sur un tel "trajet". L'aventure doit être rapide, nerveuse, pour me divertir. Ou en tout cas variée, ce qui me semblait improbable pour une chasse au cachalot, fut-il blanc et légendaire.
Force est de constater que Moby Dick est bien plus qu'un roman d'aventure. Prenant prétexte de cette poursuite d'un animal mythique - l'affrontement réel avec l'animal représente 30 pages sur les 800 - Melville tisse tout à la fois une ode aux baleiniers, une réflexion philosophique sur l'homme et la nature, une analyse des rapports humains en micro société.
Le choix du mode de narration et du narrateur lui-même est décisif. Melville s'inspire de sa propre expérience et choisit un marin débutant, homme cultivé néanmoins et à la recherche d'aventure. Cela nous offre le recul nécessaire, tout en même temps que l'ironie, la soif d'apprendre et de découvrir du personnage. On peut ainsi observer le vrai héros de l'aventure, le capitaine Achab, tout en lui conservant longtemps une part de son mystère. Les chapitres courts permettent aussi de garder un certain rythme, même si j'ai eu certaines périodes de ralentissement de lecture, mais également causées par des raisons personnelles.
Une lecture en tout cas salutaire, comme celles de nombre de classiques à qui les années mais surtout les lecteurs des époques successives garantissent ce statut. Un classique est un livre qui ne laissera jamais indifférent et combattre nos réticences à en affronter certains est sans doute un de nos devoirs de lecteur.

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